L'efficience des patrimoines d'affectation en droit privé( Télécharger le fichier original )par Romain Coquet Université de Bretagne occidentale - Master 2 Droit privé fondamental 2012 |
Section 2 : L'influence des sûretés sur l'EIRLLes créanciers sont traités de façon inégalitaire selon que la sûreté est constituée antérieurement ou postérieurement à la déclaration d'affectation. Si la sûreté a été constituée avant la déclaration d'affectation, les créanciers peuvent en principe continuer à saisir l'ensemble des biens de leur débiteur (§1). En revanche, si la sûreté a été constituée après la déclaration d'affectation, les créanciers consentent en quelque sorte à une limitation de leur droit de gage général (§2). §1- Les sûretés constituées antérieurement à la déclaration d'affectationLa situation des créanciers varie selon qu'il s'agit de sûretés personnelles (A) ou de sûretés réelles (B). A- Les sûretés personnelles constituées antérieurement à la déclaration d'affectationLorsque l'entrepreneur individuel a consenti un cautionnement antérieurement à sa déclaration d'affectation, il convient de se demander si la division du patrimoine est opposable aux créanciers. En principe, la déclaration d'affectation est inopposable aux créanciers antérieurs445(*). Ils peuvent alors continuer à saisir l'ensemble des biens de l'entrepreneur individuel, quelle que soit leur affectation. Toutefois, l'article L 526-12 du Code de commerce précise que la déclaration d'affectation est opposable aux créanciers antérieurs si elle le mentionne expressément, s'ils ont été informés et s'ils ne forment pas opposition. Par conséquent, le droit de gage général des créanciers ne s'exerce pas sur la totalité du patrimoine, mais seulement sur le patrimoine divisé dont relève le cautionnement, en l'occurrence le patrimoine affecté ou non affecté. L'assiette du droit de poursuite des créanciers se retrouve diminuée. Si le cautionnement garantit les dettes du patrimoine non affecté, le patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel sera immunisé contre le gage des créanciers. Lorsque l'entrepreneur individuel est le débiteur garanti, il convient à nouveau de se demander si la division du patrimoine est opposable au créancier de la dette garantie mais également à la caution qui a honoré la dette d'autrui. A priori, la déclaration d'affectation est inopposable aux créanciers antérieurs. Ils peuvent ainsi appréhender tous les biens de l'entrepreneur individuel, indépendamment de l'affectation. Encore une fois, si le débiteur déclare sa dette, si le créancier est informé, et s'il ne forme pas opposition, la déclaration d'affectation lui est opposable. Le droit de gage général des créanciers s'exerce donc sur les biens du débiteur compris dans son patrimoine affecté ou non affecté, au choix de l'entrepreneur individuel. La division du patrimoine de l'entrepreneur individuel peut avoir des conséquences sur les recours de la caution à son égard. L'affectation n'est pas sans effet sur le recours subrogatoire ou personnel de la caution contre le débiteur446(*). Si le cautionnement a été conclu avant la déclaration d'affectation, la caution est en réalité un créancier antérieur de l'entrepreneur individuel447(*). La jurisprudence considère alors que le recours personnel de la caution naît au jour de l'engagement de la caution448(*). Dans ce cas, la déclaration d'affectation est en principe inopposable aux créanciers antérieurs et la caution peut exercer son recours sur l'un quelconque des biens du débiteur. Si la déclaration d'affectation en dispose autrement et que la caution ne forme pas opposition, la déclaration leur est alors opposable, conformément au mécanisme de l'EIRL. L'intérêt pour l'entrepreneur individuel est donc d'inciter la caution à former opposition à la déclaration d'affectation, afin de limiter l'assiette du recours personnel de la caution. La difficulté vient du fait que l'entrepreneur individuel ne pense pas à informer la caution de sa faculté d'opposition. De plus, cet entrepreneur peut ignorer que sa dette fait l'objet d'un cautionnement449(*). La caution solvens peut également exercer un recours subrogatoire par lequel elle prend la place du créancier de l'entrepreneur individuel450(*). Selon Hervé Synvet et Antoine Gaudemet, « la caution y exerce la propre action du créancier contre son débiteur ». Le sort de la caution suit celui du créancier, ainsi lorsque la déclaration d'affectation de l'entrepreneur individuel est opposable au créancier, elle devient mécaniquement opposable à la caution. L'assiette du recours subrogatoire de la caution solvens est alors limitée au patrimoine affecté ou non affecté de l'entrepreneur individuel, en fonction de l'emplacement de la dette garantie. Il est alors judicieux de s'interroger sur la possibilité pour la caution d'invoquer le bénéfice de subrogation451(*). Si le créancier ne forme pas opposition à la déclaration d'affectation, il diminue volontairement l'assiette du recours subrogatoire de la caution. La jurisprudence estime en la matière que seule la perte d'un avantage particulier au créancier peut être invoquée par la caution au titre du bénéfice de subrogation452(*). Or le créancier n'a pas perdu un avantage spécifique mais simplement renoncé à son droit de gage sur le patrimoine affecté ou non affecté de l'entrepreneur individuel. S'il a sciemment décidé de ne pas former opposition à la déclaration d'affectation, le créancier diminue l'assiette du recours subrogatoire de la caution dans une intention dilatoire. La jurisprudence affirme notamment que « le créancier qui, dans le même temps, se garantit par un cautionnement et constitue une sûreté provisoire s'oblige envers la caution à rendre cette sûreté définitive »453(*). Cela démontre que le créancier doit autant que possible préserver les chances de succès relatives au recours subrogatoire de la caution devenues créancière. * 445 Article L 526-12 alinéa 2 in fine du Code de commerce. * 446 C. LE GALLOU, « Sûreté et valorisation des patrimoines affectés », IFR Actes de colloque n°16, 2012. * 447 Article 2305 alinéa 1er du Code civil : « La caution qui a payé a son recours contre le débiteur principal, soit que le cautionnement ait été donné au su ou à l'insu du débiteur ». * 448Cass. Com, 01/03/2005, n° 02-13176, D. 2005, 1365, note P.-M. Le Corre. * 449 H. SYNVET et A. GAUDEMET, « EIRL et sûretés », LPA avril 2011, n°84, p.32. * 450 Article 2306 du C. civ : « La caution qui a payé la dette est subrogée à tous les droits qu'avait le créancier contre le débiteur ». * 451 Article 2314 du C. civ : « La caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution ». * 452 Cass. Civ 1ère 21/03/1984, Bull.civ.I, n° 111. * 453 Cass. Ch.mixte, 17/11/2006, Bull. civ. n°10 R. p.383. RTD civ 2007 p.157 : Pierre Crocq affirme que la différence est bien mince entre le fait de laisser dépérir une sûreté déjà née en ne renouvelant pas son inscription et le fait de laisser dépérir une sûreté « embryonnaire » en ne confirmant pas une inscription provisoire par une inscription définitive. |
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