L'efficience des patrimoines d'affectation en droit privé( Télécharger le fichier original )par Romain Coquet Université de Bretagne occidentale - Master 2 Droit privé fondamental 2012 |
c) La validité de la dette parallèle en droit français ?La Cour de cassation se prononce enfin sur la validité du mécanisme de la dette parallèle en droit français. Ce mécanisme consiste à créer une dette miroir de la dette principale à laquelle sont affectées l'ensemble des sûretés. L'agent des sûretés, titulaire de la dette parallèle, a pour mission de gérer et de réaliser les garanties consenties au profit des bénéficiaires. Il n'a pas nécessairement la qualité de trustee car les mécanismes de la dette parallèle et du trust sont des instruments alternatifs. Dans cette affaire, les juges se sont penchés sur le fait de savoir si le mécanisme de dette parallèle était conforme aux principes relevant de la conception française de l'ordre public international. La Cour de cassation estime que le principe d'égalité des créanciers est respecté dès lors que des clauses prévoient un système d'imputation des paiements évitant ainsi tout risque de double paiement384(*). La raison d'être de la dette parallèle se justifie par la constitution de sûretés en faveur de l'agent. Selon certains auteurs, « le caractère abstrait de la cause des créances bénéficiant aux agents des sûretés n'est pas contraire à la conception française de l'ordre public, si bien que ces créances peuvent pleinement déployer leur effet »385(*). Cela semble attester le fait qu'une obligation dénuée de cause ne serait pas nécessairement contraire à la conception française de l'ordre public international, d'où un accueil favorable des montages étrangers dans les procédures d'insolvabilité. La Cour de cassation précise également que le recours à la solidarité active n'était pas judicieux. Elle reconnait donc implicitement la validité de la dette parallèle en droit français. Il ne faut pas confondre ces deux mécanismes puisque la solidarité active ne permet pas à un tiers d'être agent des sûretés. Seul un créancier peut avoir cette fonction386(*). Le mécanisme de la dette parallèle présente des inconvénients par rapport au trust. En l'occurrence, l'agent des sûretés est titulaire à part entière de la dette parallèle. Les sûretés gérées par le titulaire de la dette parallèle se confondraient alors avec son patrimoine propre. Par conséquent, l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité à son encontre affecterait les droits des bénéficiaires sur les biens donnés en garantie. Dans le cadre de la dette parallèle, les bénéficiaires subissent le risque de l'insolvabilité de l'agent des sûretés. C'est pourquoi il est judicieux de remédier au mécanisme de l'agent des sûretés en matière de trust. En transférant la propriété des sûretés à l'agent, le trust permet à celui-ci d'agir en son nom et pour le compte des créanciers. Par ailleurs, en reconnaissant au créancier bénéficiaire un droit de propriété, le trust permet à celui-ci d'exercer ses droits de poursuites individuelles387(*). Jusqu'à l'introduction de la fiducie en 2007, le droit français ne disposait pas d'un régime légal permettant la détention des sûretés par l'agent pour le compte des créanciers. Il incombait dès lors au législateur d'offrir aux opérateurs des financements internationaux des instruments adéquats de gestion des sûretés, en vue de concurrencer le trust. La loi du 19 février 2007 est à l'origine d'un régime ad hoc de l'agent des sûretés inscrit à l'article 2328-1 du Code civil388(*). Ce nouveau régime visait à doter le droit français d'un concurrent direct au trust tout en évitant le recours à la fiducie de droit commun, dont on pouvait redouter le formalisme contraignant. Selon certains auteurs, sa mission s'apparente à celle d'un commissionnaire389(*). La sûreté est gérée par l'agent mais pour le compte d'un créancier. Si la sûreté est une fiducie, le montage conduit à faire de l'agent le fiduciaire des créanciers bénéficiaires. En revanche, si la sûreté est un gage ou une hypothèque, l'opération devrait être organisée autour de la théorie du mandat ans représentation. L'agent des sûretés ne pouvait intervenir qu'en qualité de mandataire de chacune des banques, ce qui était source d'inconvénients. « La technique du mandat obligatoirement utilisée avant la loi sur la fiducie n'offrait pas la souplesse nécessaire à la vie courante d'un crédit consortial »390(*). La question se pose ainsi de savoir si l'agent des sûretés doit être le titulaire des sûretés et les tenir séparées de son patrimoine propre. Afin de concurrencer efficacement le trust, il semble nécessaire d'offrir davantage de sécurité juridique aux bénéficiaires qui ne doivent plus craindre l'ouverture d'une procédure collective. Le législateur pourrait en effet s'inspirer de la fiducie pour isoler les sûretés dans un patrimoine d'affectation. Il semble également nécessaire de prévoir un mécanise selon lequel l'agent des sûretés est titulaire de plein droit des sûretés et garanties. * 384 R. DAMMANN et A. ALBERTINI, « L'arrêt Belvédère : la réception du Trust et de la ParallelDebt en droit français », JCP E 2011, 1803, §67. * 385 L. D'AVOUT et N. BORGA, « Belvédère : les « dettes parallèles » de droit étranger reconnues dans la faillite française », D. 2011 p.2518 ; Cass. Com, 13/09/2011, n° 10-25533 10-25731 10-25908 : « La conception de la cause des obligations contractuelles retenue par le droit français n'est pas, dans tous ses aspects, d'ordre public international. l'absence de constitution par certaines sociétés débitrices de sûretés réelles au profit des agents des sûretés ne fait pas nécessairement obstacle, dans le cadre d'une opération globale de financement soumise à un droit étranger admettant l'existence d'une dette parallèle envers eux, à leur admission aux passifs de ces sociétés qui sont personnellement garantes de l'exécution de l'ensemble des engagements ». * 386 Art. 1197 du Code civil : « L'obligation est solidaire entre plusieurs créanciers lorsque le titre donne expressément à chacun d'eux le droit de demander le paiement du total de la créance, et que le paiement fait à l'un d'eux libère le débiteur, encore que le bénéfice de l'obligation soit partageable et divisible entre les divers créanciers ». * 387 J-F ADELLE, « L'agent des sûretés en droit français : pour une clarification des régimes de l'article 2328-1 du Code civil et de la fiducie de sûretés », Rev. Dr. bancaire et financier n° 5, Septembre 2010, étude 20. * 388 Art. 2328-1 du Code civil : « Toute sûreté réelle peut être constituée, inscrite, gérée et réalisée pour le compte des créanciers de l'obligation garantie par une personne qu'ils désignent à cette fin dans l'acte qui constate cette obligation ». * 389 Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, « Droit civil, Les sûretés- La publicité foncière », 6ème édition, Dalloz, 2012, p.617 ; R. DAMMANN et A. ALBERTINI, « L'arrêt Belvédère : la réception du Trust et de la ParallelDebt en droit français », JCP E 2011, 1803, §90 : « l'agent des sûretés est resté un mandataire, d'où la nécessité extrêmement lourde en pratique de renouveler les formalités d'inscription des sûretés lors d'un transfert de participation dans le prêt syndiqué » ; J-F ADELLE, « L'agent des sûretés en droit français : pour une clarification des régimes de l'article 2328-1 du Code civil et de la fiducie de sûretés », Revue de Droit bancaire et financier n° 5, Septembre 2010, étude 20 : « Lorsque le mandat est choisi, l'agent des sûretés est désigné par les prêteurs pour agir comme leur mandataire afin de conclure, administrer, réaliser les sûretés ou encore en donner mainlevée en leur nom et pour leur compte ». * 390 J-L MICHAUD, « La cotitularité des sûretés », Dr. et pat. 2008, n° 173. |
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