L'efficience des patrimoines d'affectation en droit privé( Télécharger le fichier original )par Romain Coquet Université de Bretagne occidentale - Master 2 Droit privé fondamental 2012 |
Chapitre 2 : La consécration de fiducies innommées dans la pratiqueA l'instar du dieu Janus, la fiducie présente un double visage dans la pratique. D'une part, le législateur a fait preuve de pragmatisme en imaginant des alternatives à la fiducie-gestion dans le secteur bancaire et successoral. D'autre part, il semble nécessaire de confronter la fiducie-sûreté à d'autres garanties fondées sur la propriété, afin d'en apprécier l'efficience (Section1). Le trust est actuellement une institution inconnue en droit français, en raison d'un démembrement particulier de la propriété. Son assimilation à une catégorie du for et les conflits de loi qu'il génère plaident en faveur d'un accueil difficile du trust en droit français, d'autant que la France n'a pas encore ratifié la Convention de La Haye du 1er juillet 1985 (Section 2). Section 1 : La fiducie dans le secteur bancaire et successoralContrairement à la fiducie de droit commun, la hiérarchie est inversée. La fiducie-gestion innommée est généralement efficiente (§1) alors que les garanties concurrentes de la fiducie-sûreté ont un régime juridique plus complexe (§2). §1- : L'efficience des alternatives à la fiducie-gestionDans la pratique bancaire, le législateur a règlementé les fonds communs de placement et les fonds communs de titrisation qui s'apparentent à un patrimoine d'affectation (A). L'accueil de la fiducie en droit des incapacités est plus difficile car il s'agit d'un acte dangereux ou interdit selon les cas. Toutefois, la fiducie-gestion existe en la matière par la voie du mandat et des libéralités, dans un souci de protection des personnes vulnérables (B). A- Les copropriétés de valeurs mobilièresLes rédacteurs du Code civil étaient hostiles à toute idée d'appropriation collective des biens en raison d'une conception dogmatique du droit de propriété. Au terme de l'article 544 du Code civil, « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ». Dès lors, le droit de propriété est a priori individuel car seule une personne physique peut avoir le monopole de l'usage, de la jouissance et de la disposition d'une chose. Il contribue toutefois à créer du lien social selon un auteur224(*). Certaines formes d'appropriation collective ont été consacrées par le législateur, en particulier l'indivision et la copropriété en matière immobilière. Mais la philosophie individualiste demeure ancrée dans les moeurs si bien qu'un « réflexe persistant pousse à ramener le collectif à l'individuel »225(*). L'existence de la propriété collective est l'objet de controverses en doctrine, d'un point de vue sémantique et juridique226(*). 1- La nature juridique du fonds commun de placementEn pratique, la gestion d'un portefeuille de valeurs mobilières soulève certaines difficultés. Chaque action constitue un bien distinct mais le portefeuille représente une unité dont les éléments sont modifiés à tout moment eu égard à la situation boursière. En outre, le portefeuille est étendu et diversifié d'où la réunion de plusieurs porteurs227(*). Les organismes de placement collectif en valeurs mobilières sont des produits d'épargne agréés par l'Autorité des marchés financiers. Ils permettent de détenir une partie d'un portefeuille de valeurs mobilières dont la gestion est assurée par un professionnel du secteur bancaire et financier. Parmi ces organismes, la SICAV est une société d'investissement à capital variable qui a pour objet la gestion d'un portefeuille de valeurs mobilières. Elle émet des actions au fur et à mesure des demandes de souscription. En revanche, le fonds commun de placement est une copropriété de valeurs mobilières dépourvue de la personnalité morale et constitue une universalité de patrimoine gérée par une société de gestion au bénéfice des porteurs de parts228(*). Selon Thierry Bonneau, il s'agit d'un « ensemble de valeurs mobilières sur lequel les souscripteurs exercent directement et concurremment un droit réel de propriété »229(*). Véritable alternative à la fiducie-gestion, le fonds commun de placement a été créé par une loi du 13 juillet 1979 avant d'être règlementé par la loi du 23 décembre 1988. La nature juridique du fonds commun de placement est controversée. En effet, le fonds est une copropriété mais celle-ci n'est pas soumise au droit commun de l'indivision et le droit des sociétés ne lui est pas applicable. De plus, le fonds n'a pas la personnalité morale or il est à la tête d'un patrimoine propre, distinct de ceux de la société de gestion et des porteurs de parts. Certains auteurs ont qualifié cette copropriété de valeurs mobilières de société à responsabilité limitée sui generis ou de fonds financier détenu collectivement par les souscripteurs au profit de la société de gestion230(*). La doctrine majoritaire a toutefois opté pour la qualification de patrimoine d'affectation231(*). Le fonds commun de placement constitue en premier lieu une universalité de droit où l'actif répond du passif. Ainsi les porteurs de parts ne sont tenus des dettes de la copropriété qu'à concurrence de l'actif du fonds et proportionnellement à leur quote-part, au regard de l'article L 214-23 du Code monétaire et financier. Par ailleurs, le fonds commun de placement n'est régi ni par le droit de l'indivision, ni par les règles applicables aux sociétés en participation. Les créanciers personnels des porteurs de parts ne peuvent pas exercer leur droit de gage sur les actifs du fonds. En effet, les porteurs de parts n'ont aucun pouvoir sur les actifs du fonds, par conséquent les créanciers ne peuvent se voir reconnaître plus de droits que leur débiteur. En outre, l'article 815-17 alinéa 3 du Code civil permettant aux créanciers de provoquer le partage en cas d'indivision est inapplicable au fonds commun de placement232(*). Les valeurs mobilières peuvent être librement consommées et les dettes peuvent s'accroître, dans tous les cas, l'universalité demeure. Ainsi, le recours à la subrogation réelle est inutile pour expliquer la cohésion entre les éléments du fonds. Le patrimoine serait composé d'instruments financiers acquis en remplacement de biens antérieurs ce qui ne permettrait pas la souscription nouvelle de parts. « Le FCP, copropriété d'instruments financiers et de dépôts, apparaît ainsi plus comme un contenant que comme un contenu : il reflète l'image d'une bourse, d'un réceptacle à contenu variable, d'une enveloppe qui peut être plus ou moins remplie »233(*). Dans la théorie classique du patrimoine, l'unité du patrimoine découle de son rattachement à une personne. Le principe d'indivisibilité selon lequel toute personne n'a qu'un patrimoine n'est pas absolu et souffre de nombreuses dérogations. En vertu de l'article L 214-5 du Code monétaire et financier, « un organisme de placement collectif en valeurs mobilières peut comporter un ou plusieurs compartiments. Chaque compartiment donne lieu à l'émission d'une catégorie de parts ou d'actions représentative des actifs de l'organisme de placement collectif en valeurs mobilières qui lui sont attribuées. Par dérogation à l'article 2285 du code civil, les actifs d'un compartiment déterminé ne répondent que des dettes, engagements et obligations et ne bénéficient que des créances qui concernent ce compartiment ». A l'instar du patrimoine fiduciaire, le législateur a mis en oeuvre un cloisonnement des patrimoines. Il en résulte que les créanciers dont le titre résulte de la conservation ou de la gestion des actifs d'un fonds commun de placement n'ont d'action que sur ces actifs. Par ailleurs, les créanciers du dépositaire ne peuvent poursuivre le paiement de leurs créances sur les actifs d'un organisme de placement collectif en valeurs mobilières conservés par lui234(*). Le législateur organise également une limitation du droit de gage général des créanciers. Mais contrairement à la doctrine allemande qui admet un patrimoine d'affectation sans maître, le droit français conserve le rattachement du patrimoine à la personne. Dès lors, les souscripteurs détiennent ensemble le patrimoine affecté mais ils n'ont aucun droit sur les actifs du fonds. Le fonds commun de placement se définit par l'affectation des liquidités apportées par les souscripteurs à la gestion collective du portefeuille porté par les souscripteurs. Ce fonds doit à ce titre être géré dans l'intérêt collectif des porteurs de parts. Il constitue alors un véritable patrimoine d'affectation en raison de la corrélation actif-passif235(*). Le législateur s'est inspiré des droits étrangers qui admettent que les patrimoines affectés à la gestion collective sont la propriété de personnes physiques ou morale chargées de les gérer. Il est alors possible d'assimiler le fonds commun de placement au trust ou à la fiducie-gestion. Les porteurs de parts peuvent être qualifiés de constituants car ils sont copropriétaires de ce patrimoine d'affectation mais n'exercent aucun pouvoir sur les actifs du patrimoine. Leur droit de propriété est loin d'être absolu. Il aurait donc été judicieux d'attribuer la propriété des valeurs mobilières à la société de gestion, en raison des nombreuses prérogatives qu'elle exerce au profit des porteurs de parts. La copropriété de valeurs mobilières peut aisément s'analyser en une copropriété fiduciaire236(*). Le fonds commun de placement est une copropriété portée par l'ensemble des souscripteurs et non par la société de gestion. Cela permet d'éviter que les actifs gérés dans le fonds deviennent la propriété de la société de gestion ou du dépositaire. Il s'agit d'une copropriété sans pouvoirs. Le souscripteur n'a aucun droit sur les instruments financiers détenus dans cette universalité dès lors il n'est pas titulaire de l'usus, du fructus et de l'abusus. La qualification de copropriété de valeurs mobilières peut apparaître contestable en raison de l'absence de pouvoir des porteurs de parts. Le porteur de parts n'a pas un droit de propriété sur les instruments financiers composant l'actif du fonds mais il est copropriétaire de l'ensemble du fonds. Il est ainsi titulaire d'un droit de créance envers la société de gestion et le dépositaire si ces derniers mettent en péril la mission qui leur est confiée. Au regard de l'article L 214-25 du Code monétaire et financier, le fonds commun de placement est représenté à l'égard des tiers par la société de gestion, qui joue le rôle d'un mandataire spécial237(*). La société de gestion est en réalité un fiduciaire chargé de gérer le patrimoine d'affectation comme un propriétaire ordinaire, et d'en verser les revenus ou les plus-values238(*). Il revient à la société de gestion et non aux porteurs de parts d'exercer les droits attachés aux titres détenus par les organismes de placement collectif en valeurs mobilières qu'elle gère239(*). * 224 M. FABRE-MAGNAN, « Propriété, patrimoine et lien social », RTD civ 1997 p.583 : « L'essence du droit de propriété, comme l'essence de tout droit, doit aussi se trouver dans le lien social qu'il contribue à tisser. La propriété, comme tout droit subjectif, ne peut se concevoir en dehors du rapport aux autres qu'il crée, de la place à laquelle il institue son titulaire dans la société ». * 225 F. TERRE et Ph. SIMLER, « Droit civil - Les biens », 8ème édition, p.432. * 226 F. ZENATI-CASTAING, « La propriété collective existe-t-elle ? », in Mélanges en l'honneur du professeur Gilles Goubeaux, Liber amicorum, Dalloz, LGDJ, 2009, p.589 : « La notion de propriété collective comporte intrinsèquement une aporie. Comment est-il possible de s'approprier ce qui est commun, alors que la communauté est la négation même de l'exclusivité sur laquelle repose la propriété ? Propre et commun sont contradictoires, raillait le père du Code civil, en se réclamant de l'autorité du droit romain. Il est plus prudent de parler de propriété plurale à propos des hypothèses dans lesquelles des biens sont appropriés par plusieurs personnes, car cette appropriation un peu trop facilement qualifiée de collective pourrait bien n'être qu'une forme particulière de propriété individuelle ». * 227 Ph. MALAURIE et L. AYNES, « Les biens », Defrénois, 5ème édition, 2013, p.249-250. * 228 H. DE VAUPLANE, « La fiducie avant la fiducie », JCP E 2007, n° 36 ; Article L 214-20 du Code monétaire et financier. * 229 T. BONNEAU, « Les fonds communs de placement, les fonds communs de créance et le droit civil », RTD civ 1991 p.1. * 230 L. CHATAIN-AUTAJON, « La notion de fonds en droit privé », Lexis Nexis, Bibliothèque de droit de l'entreprise, tome 72, préface J. Raynard, 2006, n° 62. * 231 Ph. JESTAZ, « Fonds communs de placement », RTD civ 1980 p.180 ; T. BONNEAU, « Les fonds communs de placement, les fonds communs de créance et le droit civil », ibid. M. STORCK, « De la nature juridique des fonds communs de placement », in Mélanges en l'honneur du professeur Gilles Goubeaux, Liber amicorum, Dalloz, LGDJ, 2009, p.511 : « Le FCP est une universalité structurée sous forme de patrimoine d'affectation porté par les souscripteurs de parts. Ce patrimoine est géré exclusivement par la société de gestion, qui exerce tous les pouvoirs attachés aux instruments financiers détenus par le fonds ». * 232 Article 815-17 alinéa 3 du Code civil : « Ils ont toutefois la faculté de provoquer le partage au nom de leur débiteur ou d'intervenir dans le partage provoqué par lui » ; T. BONNEAU, « Les fonds communs de placement, les fonds communs de créance et le droit civil », ibid. n° 49. * 233 M. STORCK, « De la nature juridique des fonds communs de placement », in Mélanges en l'honneur du professeur Gilles Goubeaux, Liber amicorum, Dalloz, LGDJ, 2009, p.512. * 234 Article L 214-6 du Code monétaire et financier. * 235 S. GUINCHARD, « L'affectation des biens en droit privé français », LGDJ, 1976, n° 216 et s. * 236 C. WITZ, « La fiducie en droit privé français, Economica, 1981, n° 133 ; F. ZENATI et A. COEURET, RTD civ 1989 p.165 et s. spéc. p.167. * 237 T. BONNEAU, « Les fonds communs de placement, les fonds communs de créance et le droit civil », RTD civ 1991, n° 72. * 238 M. STORCK, « De la nature juridique des fonds communs de placement », in Mélanges en l'honneur du professeur Gilles Goubeaux, Liber amicorum, Dalloz, LGDJ, 2009, p.515 ; C. WITZ, « La fiducie en droit privé français, Economica, 1981, n° 133. * 239 Article L 533-22 du Code monétaire et financier : « Les sociétés de gestion de portefeuille exercent les droits attachés aux titres détenus par les organismes de placement collectif en valeurs mobilières qu'elles gèrent dans l'intérêt exclusif des actionnaires ou des porteurs de parts de ces organismes de placement collectif en valeurs mobilières et rendent compte de leurs pratiques en matière d'exercice des droits de vote dans des conditions fixées par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers. En particulier, lorsqu'elles n'exercent pas ces droits de vote, elles expliquent leurs motifs aux porteurs de parts ou actionnaires des organismes de placement collectif en valeurs mobilières ». |
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