5.3.3 La négativité de la «
situation-source »
Quant à la négativité de la
« situation-source » et son impact sur l'apprentissage, nos
entretiens montrent que les sentiments négatifs de nuances
différentes surgissent dans la plupart des « situations-sources
» : la sensation de pression et de souci dans la pensée d'une fille
de 12 ans (entretien N° 02-A), la peur d'un jeune père pour son
fils (entretien N°03-B), la virulence d'une formatrice envers ses
élèves et sa colère face aux dysfonctionnements du
système d'évaluation, (N°04-D), le choc culturel d'un
dirigeant face à ses nouveaux employés étrangers
(N°05-E) et enfin la déception et la perte de « foi »
d'un mathématicien, chercheur envers son directeur, qui «
était plus qu'un père » (N°06-D). Les émotions
négatives générées au cours de ces situations
n'empêchent pas les dirigeants d'avancer et d'apprendre le leadership.
Bien au contraire, il nous semble qu'elles les aident plutôt à
stimuler leur réflexion et l'ajustement de leurs comportements.
L'interlocutrice (A) a appris à être « carrée »
dans la façon dont elle traite les lettres administratives, pour
éviter toutes les
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conséquences négatives
représentées par le mot « soucis » dans sa
pensée. Elle a appris à construire une relation humaine en «
faisant la chambre » avec sa subordonnée afin d' « effacer
» l'image d'une personne « nerveuse », rappelant l'image de son
père. Le dirigeant (B) a appris à contrôler sa peur et
à gagner le respect des autres.
Dans l'enseignement classique, l'émotion
négative a le potentiel de perturber la capacité de raisonner ou
d'apprendre. Alors que dans chacun des six cas de notre enquête, les
dirigeants ont réussi à tirer des leçons à partir
de ceux qui ont causé leurs émotions négatives. L'aptitude
à percevoir une situation « difficile » comme une source
inépuisable pour « tirer des leçons » a
créé chez eux un réflexe d'apprentissage en permanence. Le
point commun de ces récits réside dans le fait que ces
émotions négatives peuvent être des motifs importants, qui
aident la personne à anticiper les conséquences inattendues ou
les « dangers » à éviter. Telle est l'explication que
nous donnons au fait que le « sentiment d'apprendre » a bien
existé et servi l'élément grâce auquel les
dirigeants ont pu maintenir leur équilibre émotionnel pour
avancer. Ces exemples confirment que le « sentiment d'apprendre »
peut être généré à partir de l'écart
entre ce que la personne savait ou ne savait pas et ce que la personne a su
dans l' « après-coup ». Cet argument a été
illustré clairement par les cinq premiers cas de façon positive.
Quant au dirigeant présenté dans le dernier cas, la
déception causée par la « situation-source » dans sa
jeunesse a généré un « sentiment d'apprendre »
fort mais de façon très négative. La personne a
refusé complètement d'utiliser sa compétence de «
leader », ou autrement dit d'actualiser son « leadership », bien
qu'il ait reçu une bonne formation et qu'il ait acquis d'excellentes
connaissances en gestion pour assumer sa fonction de dirigeant. Dans ce dernier
exemple uniquement, la personne (E) apparemment n'a toujours pas pu «
réussir » à regagner sa confiance en un leader. La perte de
confiance causée par la déception dans ce récit
représente la négativité d'un niveau
particulièrement élevé. Si, dans d'autres cas, la
négativité de la « situation-source » a juste un effet
stimulant sur le « sentiment d'apprendre », alors que la
négativité causée par la perte de confiance a un impact
considérablement destructif sur l'apprentissage.
Les anciens Grecs disaient « par la souffrance la
connaissance », les Anglais disent : « no pain, no gain »
(pas de souffrance, pas de résultat) et selon les bouddhistes :
toute vie implique la souffrance. Au sujet de la négativité de la
« situation-source », même si nos
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interprétations faites à partir de six
entretiens ne peuvent pas être représentatives, avec ces proverbes
populaires, apparus parfois depuis des siècles, nous pouvons affirmer
que le « sentiment d'apprendre » de la vie quotidienne est
très attaché aux émotions fortes, des émotions
provoquées par la négativité de la situation de
vie.
Le dernier argument que nous voulons soulever est
inspiré par le travail de Vygotski qui a distingué,
l'apprentissage des concepts quotidiens de l'apprentissage des concepts
scientifiques. Les entretiens avec les dirigeants de notre enquête ont
démontré que l'émotion générée par la
négativité des situations de vie peut les influencer de
manière totalement différente que celle dont elle influence les
apprenants dans les formations classiques. Nous avons remarqué dans
certains récits que, les dirigeants interrogés ajoutaient assez
souvent les mots tels que : « Tu sais ...». En même temps,
lorsque la personne évoquait une émotion forte, voire
négative, nous avons pu constater, à travers son regard, son
intonation une sensation de fierté, la fierté implicite d'avoir
surmonté les épreuves difficiles de la vie. Diriger les
subordonnés et gérer les relations humaines ne sont pas des
tâches simples. Bien au contraire, ces tâches impliquent de
nombreuses prises de décisions et de nombreux de défis à
relever. De plus, c'est souvent dans des situations d'incertitude et de
complexité que le leadership du dirigeant devient un facteur
déterminant. La fierté peut être
générée de manière très variée dans
des situations différentes. Chez les dirigeants de notre enquête,
la fierté de se sortir de situations difficiles représente un
élément déterminant. C'est la raison pour laquelle aucun
de nos cinq dirigeants interviewés n'a choisi une situation de joie ou
une situation de succès facile comme « situation-source ». Ils
ont tous commencé leur récit en évoquant une ou plusieurs
situations difficiles d'où ils ont pu « se sortir » en
ajustant leurs comportements et attitudes.
Enfin, nous pouvons ajouter que les entretiens
effectués nous ont permis de confirmer la pertinence de nos
hypothèses sur le « sentiment d'apprendre » ainsi que sur la
« situation-source ». Nous pouvons aussi, à ce stade, inviter
les autres chercheurs à utiliser et tester ces termes, qui nous semblent
appropriés pour les autres recherches à l'avenir.
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CHAPITRE 6: CONCLUSION ET PLAN POUR LES PROCHAINES
RECHERCHES
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