Les paragraphes ci-dessous sont les extraits du
verbatim de l'interviewé (05-D)
1. « C'était excitant et en
même temps, drôle, car les employés chinois sont très
polis. Ils avaient beaucoup de respect envers moi. Ils ne me traitaient pas
comme un chinois. C'était vraiment excitant ».
2. « C'est aussi drôle, parce qu'ils
vous respectent, mais en même temps, s'ils ne sont pas d'accord avec
vous, ils peuvent vous affronter directement. J'étais choqué. Ils
sont plus directs. A Hongkong ce n'est pas comme ça. Les hongkongais
respectent les cadres supérieurs. Ils ne se confrontent pas directement
comme ça. Je n'ai jamais osé m'opposer à mon chef
directement comme eux l'ont fait. »
27 Extraits des
commentaires de ses professeurs et ses collègues de classe, que nous
avons pu recueillir, non pas en tant que chercheur, mais en tant qu'acteur dans
le cadre de la formation.
28 Selon l'acteur,
ça veut dire la culture chinoise - continentale, traditionnelle vs la
culture à HK, qui a été occidentalisée
3.
58 |
« Dès que j'ai reçu cette
offre, j'ai effectué de nombreux voyages en Chine. Dans les deux
premiers mois, j'ai dû voyager dans tant d'endroits, même des
lieux, où je n'avais jamais imaginé d'aller. La première
chose que j'ai apprise c'est la langue. J'ai appris vraiment la langue en
l'utilisant, pas autrement ».
4. « En Chine, je suis nouveau, le
marché est nouveau. Je dois venir avec un plan après avoir fait
l'étude de marché par moi-même. Je dois restructurer et
changer l'image des produits ».
5. « J'étais vraiment
choqué de découvrir un chiffre d'affaires si bas en juillet. A
Hong Kong tout doit être rapide. Ici je devais aller plus lentement.
»
6. « Je devais faire les choses
étape par étape. Je devais comprendre le fait que la culture est
différente. Je devais comprendre leur façon d'abord, puis
proposer ma façon, car je ne peux pas me contenter de leur imposer ma
façon comme ça. »
7. « A Hong Kong j'ai beaucoup appris
en travaillant avec des personnes de différents départements. Ils
avaient besoin de moi pour être soutenus. En retour, ils m'ont soutenu
quand j'en avais besoin. Cela m'a aidé à découvrir un peu
le concept que j'allais appliquer dans mon travail en Chine.
»
Pour faire une analyse locale, avec l'aide d'un
entretien d'auto-confrontation sur les mots répétés, les
mots qui font signes à l'interviewé, nous avons établi le
tableau des unités d'activités significatives ci-dessous (Tableau
IV).
Lors de la première unité, l'acteur
compare ses attentes avec les « réactions » des
employés locaux. Ce qui s'est passé correspond assez positivement
avec ses attentes (le respect des subordonnés chinois envers lui). Ce
n'est pas une nouvelle connaissance construite pour l'acteur, mais plutôt
une validation de sa connaissance ancienne.
La deuxième unité est très
importante, il exprime, ce que qui se passe « ici et maintenant » et
ce qui l'a choqué. La connaissance validée de la première
unité est transformée en une nouvelle connaissance par
l'invalidation de celle-ci lors de la deuxième unité.
59 |
Au moment suivant, il se souvient du fait qu'il a
appris la langue pendant ses voyages en Chine en l'utilisant activement. C'est
une connaissance construite dans le passé, qui a poussé l'acteur
à voyager avant de passer à l'action : « donner des ordres
».
A la quatrième unité, il se rend compte
qu'il est nouveau, le marché est nouveau etc., il anticipe les
difficultés en se basant sur la connaissance construite à partir
de la dernière expérience.
La généralisation lors de la
cinquième unité évoque une nouvelle attitude, une
connaissance potentielle de l'acteur.
A la sixième unité, il a opté pour
une stratégie à valider.
Et à la dernière unité, il essaye
de mobiliser les outils et les méthodes, qu'il a appris
précédemment dans la nouvelle situation.
#
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Récits
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Unités
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1
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Excitant. Drôle. Ils ne me traitent pas comme un
chinois.
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J'imagine l'image que je donne aux employés
locaux. J'observe leur réaction, en même temps je
m'ajuste.
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2
|
Je suis choqué. Ils sont plus directs.
|
J'ai appris une nouvelle différence culturelle
entre le Hong Kong et la Chine
|
3
|
J'ai beaucoup voyagé, j'appris la
langue, je dois l'utiliser.
|
Je me souviens d'avoir appris la langue en parlant. Je
souhaite avoir la même chance pour apprendre la langue
française.
|
4
|
Je suis nouveau, le marché est nouveau, les
produits sont nouveaux.
|
Je m'inquiète. J'anticipe les
obstacles.
|
5
|
Je dois aller plus lentement.
|
Je choisis d'être prudent.
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6
|
Je dois comprendre leur façon, je ne peux pas
leur imposer ma façon.
|
J'opte pour la stratégie de faire les choses
étape par étape.
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7
|
J'ai appris des « concepts » de mes
collègues au HK. Je vais les appliquer en Chine.
|
Je pense aux méthodes et « concepts »
du passé, qui peuvent être mobilisés et
utilisés.
|
Tableau IV : Liste des unités de
l'activité de « donner des ordres »
60 |
A partir de cette liste des unités extraites du
récit nous avons fait aussi une analyse locale des composants hexadiques
de cette activité (Table V)
Nous pouvons faire deux remarques :
Premièrement, le fait de devenir dirigeant d'une équipe dont les
membres ont une autre culture, met l'acteur dans une nouvelle situation avec de
nouvelles relations interpersonnelles. Les sentiments forts tels que «
excitant », « choqué » ont marqué la prise de
conscience de la personne d'un écart entre ses « connaissances
anciennes » et la « réalité », ce qui l'a
motivé à poursuivre l'acquisition d'autres connaissances en
s'impliquant dans des confrontations multiculturelles.
Deuxièmement, les transformations importantes
de l'acteur résultent d'un processus de production et de transformation
des connaissances qui renvoie à l'apprentissage du langage, des
attitudes, des comportements, ainsi que des conflits potentiels entre les
intérêts, les méthodes de travail et les
personnalités des individus de différentes cultures.
E (Engagement) : Les préoccupations:
connaître les nouveaux employés, donner une image positive de lui,
convaincre ses nouveaux employés d'accepter les mesures du
changement
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A (Actualité potentielle) : Les attentes : du
respect envers le manager
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S (Référentiel) : Les connaissances
mobilisées sont : l'expérience à Hongkong,
l'expérience des voyages en Chine
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R (Représentamen) : Les éléments
significatifs : la contestation directe d'un certain employé
local
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U (Unité élémentaire) : Les faits :
les ordres donnés ; les sentiments : excitant, choqué
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I (Interprétant) : Les connaissances
construites ou valides/invalides : le système en Chine est moins formel
(moins standard), il faut faire les choses étape par étape, il
faut apprendre la langue en l'utilisant.
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Tableau V: Liste des composantes de l'activité
de « donner des ordres »
61 |
Le dernier entretien (N°. 06-E) a eu pour but de
vérifier notre hypothèse. C'est la raison pour laquelle nous
l'avons effectué spécialement après l'observation de
l'activité réelle d'un dirigeant lors d'une
réunion29. L'objet principal de la réunion
était un projet dont l'échéance approchait et il y avait
un risque énorme que la date de livraison serait retardée. Afin
de résoudre ce problème, le dirigeant (E) a voulu que tous les
membres de l'équipe exécutent son plan d'urgence avec la
répartition des tâches « point par point ». Cependant,
durant toute la réunion de deux heures, il ne pouvait pas imposer son
plan à ses membres de l'équipe. Jusqu'à un moment
donné, il perdit patience et soudainement éleva la voix sur ses
membres. La réunion s'est terminée sans résultat
concret.
En ce qui concerne l'entretien, qui a eu lieu
l'après-midi du même jour, nous essayions d'intervenir aussi peu
que possible et de laisser un maximum de flexibilité à la
personne interrogée afin qu'elle exprime ses ressentis ainsi que ses
commentaires sur ce qui s'est passé. En outre, nous espérions
qu'en restant « passive », nous pouvions voir l'occurrence
spontanée de nouveaux éléments, ce qui pouvait nous aider
à tester notre hypothèse de manière plus objective et
convaincante.
Au début de cet entretien, malgré tous
nos efforts pour inciter la personne à se mettre en état
d'évocation en le détachant des généralités,
la seule réponse que nous avons obtenue est :
« Donner les ordres... non, non...les mots
sont trop forts, ... je ne dis pas ça. Je préfère demander
gentiment à la personne concernée de faire les choses
plutôt que de donner des ordres.» (06-E)
En répondant à la question du chercheur:
« Mais comment fais-tu quand la personne n'a pas suivi tes instructions
», l'interviewé hésitait « Ah...ça
dépend... Je peux commencer par parler avec la personne. Puis, si
ça ne fonctionne pas, je vais faire appel à l'autorité
formelle et puis à l'application des lois... Comme tu l'as vu
d'ailleurs... » [A ce moment le dictaphone pour l'enregistrement
audio s'est arrêté, faute de piles. Lorsque nous étions en
train de nous excuser pour le problème technique, la personne
interrogée a commencé à évoquer une
autre
29 Une réunion de
la direction d'un projet, à laquelle le dirigeant en question a
participé en tant que chef du projet et le chercheur - en tant que
secrétaire chargé de prendre des notes en vue d'établir un
compte-rendu de la réunion.
62 |
scène de sa vie au cours de laquelle la notion
de « respect » était malheureusement associée avec une
grande déception.]
« Je vais te raconter une chose, qui m'est
arrivée quand j'étais jeune. [une longue pause]
J'avais eu un Directeur. Il m'a fait l'honneur de m'accepter dans son
équipe. Il était comme un père pour moi,
peut-être plus qu'un père. [...] Puis, une fois,
alors que je lui rendais un travail, il a brusquement
changé. Il n'a pas critiqué mon travail, mais il a dit
qu'il ne comprenait rien à ce que j'avais fait ... Après un
certain temps, on m'a dit qu'il a publié ce que j'ai écrit.
La déception était énorme. Je me sentais comme ... la
mort du père. Tu comprends... Pendant quelques
années après ça, je refusais d'avoir un chef quelconque.
» (06-E)
De même que les cinq entretiens
précédents, ce dernier entretien confirme notre hypothèse
principale qu'il existe une connexion implicite mais assez résistante
entre ce qui est exprimé par les interviewés comme «
l'apprentissage en dehors des salles de cours » et une situation radicale
- une « situation-source ». D'autre part, lors du dernier entretien,
nous avons été très impressionnée par l'occurrence
des émotions négatives : la déception, la colère
dans les récits de ce dirigeant et, surtout, par leur impact sur
l'évolution des attitudes de ce dernier. Le refus d'avoir un chef
quelconque montre la perte de la confiance dans le leadership, ou même la
foi en sa propre capacité d'être un « leader ». La
personne n'a pas dit un mot à propos de ce qui s'est passé
à la réunion du matin. Toutefois, la déception, la
colère sont les seuls points communs entre la scène critique de
la réunion que nous avons observée et la « situation-source
» dont il a parlé.
5.3 Discussion
Revenons à notre problématique initiale:
peut-on discerner les différents éléments et la
façon, dont ils fonctionnent et contribuent à la dynamique de
l'apprentissage du leadership des dirigeants ? Après avoir
analysé les récits d'expérience et exposé les
constats principaux dans la section précédente, il convient
d'aborder trois thèmes de discussion : 1) le « sentiment
d'apprendre » et son rôle dans l'apprentissage du leadership ; 2) le
fil de pensées qui lie différents éléments de la
vie quotidienne avec la compréhension du leadership et qui
conduit
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la personne à l'apprentissage du leadership et
enfin, 3) la négativité de la « situation-source » et
son influence sur l'occurrence du «sentiment d'apprendre
».
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