CHAPITRE Ier : CLARIFICATION CONCEPTUELLE
Le droit, disait Remy CABRILLAC, constitue une
science24 dont la rigueur repose sur la précision de langage
(...). Un terme juridique employé à la place d'un autre terme du
langage courant peut emporter des conséquences aussi fondamentales
qu'indésirables. Cette impeccable citation est pleinement
justifiée à l'égard de l'article 9, objet du
présent travail. Il dispose : « L'État exerce une
souveraineté permanente notamment sur le sol, le sous-sol, les eaux et
les forêts, sur les espaces aérien, fluvial, lacustre, et maritime
congolais ainsi que sur la mer territoriale congolaise et sur le plateau
continental. Les modalités de gestion et de concession du domaine de
l'Etat visé à l'alinéa précédent sont
déterminées par la loi».
Pour procéder à son examen, deux
problèmes essentiels vont nous préoccuper tout au long de ce
chapitre, d' une part l'analyse de l'alinéa 1er dudit article, (qui pose
le principe de la souveraineté permanente..), d'autre part l'analyse du
second alinéa, (qui prévoit que les modalité25s
de gestion et de concession du domaine public de l'Etat...).
En effet, une analyse minutieuse et combinée de ces
deux alinéas révèle ici une inadéquation des
termes, voire même une lacune causée par l'emploi des termes
« modalités de gestion et de concession du domaine public...»
à l'alinéa 2ème, précédé
de l'expression « l'Etat exerce une souveraineté permanente...
» à l'alinéa 1er. Il semble y avoir dans l'esprit
du législateur, une confusion entre les termes souveraineté et
propriété ; si bien que l'on ne sait plus déterminer
exactement avec l'art.9 de cette nouvelle constitution, si le sol, le sous-sol
et les mines demeurent une propriété inaliénable,
exclusive et imprescriptible de l'Etat Congolais ou non. C'est là le
noeud du problème.
24 Remy CABRILLAC, Dictionnaire du vocabulaire
juridique, 2ème édition, Litec, Paris, 2004, p VII, (in avant
propos).
25 Guy FEUER et Hervé CASSAN, op. cit.
p22.
D'où, pour replacer les mots à leurs juste
place, de manière à en avoir une idée précise,
claire et nette, il nous paraît mieux indiqué de préciser
en 1er lieu le sens et la portée du principe de la
souveraineté permanente (section1ère), ensuite confronter cette
notion face à la loi BAKAJIKA (section 2ème), à
la loi du 20 juillet 1973(section3), mais également avec la notion de
suzeraineté et celle de domanialité, (section 4 et 5). Enfin,
nous distinguerons ce principe de ses notions voisines, avant de proposer une
nouvelle formulation dudit article, dans une conclusion partielle de ce
chapitre. Tout ceci dans le but de les clarifier et de savoir si ces notions
s'équivalent ou peuvent être employées l'une à la
place de l'autre.
Section 1ère : DE LA SOUVERAINETE
PERMANENTE
Comme nous l'avons annoncé dès le début
de ce travail, l'alinéa 1er de l'article sous examen consacre le
principe de la souveraineté permanente des Etats sur leurs ressources
naturelles. Ce principe a été proclamé deux fois par les
résolutions1803 (V) et la résolution 3281 sur les droits et
devoirs économiques des Etats. Il convient donc, dans la présente
section, de pouvoir dégager le sens et analyser ce principe à
travers son évolution, son contenu (§1), ses caractères
(§2), son étendue (§3) ainsi que ses notions voisines. En
procédant de la sorte, notre objectif n'est rien d'autre que de savoir
le sens que le législateur congolais entend donner à l'article
9.
§ 1. Évolution et contenu du principe
I. Evolution d'ensemble
I.1. Origine
La théorie de la souveraineté permanente des Etats
sur leurs richesses et ressources naturelles est d'origine
latino-américaine.
C'est le Chili qui, en 1952, a amorcé le débat
dans le cadre des Nations Unies. Par la suite, on a vu se développer
toute une argumentation touchant aux problèmes politiques,
économiques et juridiques relatifs à cette notion.
Dans un premier temps, ce principe a été
façonné dans un cadre historique précis, notamment celui
de la décolonisation et ayant une finalité bien précise.
Les pays du tiers monde ont ensuite cherché à faire admettre la
notion par les pays développés en acceptant divers compromis au
sein de l'O.N.U. Une commission chargée de l'étude de ce principe
fut institué par l'A.G. et abouti à la proclamation de la
résolution 1803(XVII).
I.2. Étapes marquant l'évolution du
principe.
Dans l'ensemble, cette évolution traduit le souci de
« des internationaliser» les compétences économiques de
l'État. Souci tactiquement compréhensible : les États en
développement comme les Etats socialistes de l'époque cherchent
à définir leur place dans les relations internationales, par
opposition aux Etats qui dominent aujourd'hui les rapports économiques
internationaux. Pour ce faire, il leur paraît opportun de supprimer les
limitations, imposées par un Droit International Public d'origine
européenne, à leur droit de réglementation interne et
à une utilisation discrétionnaire de leurs richesses naturelles.
Ils sont parfois rejoints dans cette entreprise par des Etats
développés qui y voient le moyen soit de résister plus
efficacement à la domination américaine, soit de dégager
les règles d'une nouvelle discipline économique spécifique
aux relations entre pays développés (exploitation de
l'idée de dualité des normes).
Les principales étapes sont marquées par
l'adoption des textes
suivants :
- Le 1er texte important est la résolution
626 (VI) de 1952 qui, bien que les Etats "occidentaux" se soient abstenus lors
de son adaptation, paraît rétrospectivement bien anodine : elle
insiste sur la "nécessité de maintenir le courant des capitaux
dans des conditions de sécurité et dans une atmosphère de
confiance mutuelle et de coopération entre les États".
L'intérêt de cette résolution tient à l'habitude qui
s'est prise depuis lors, de réaffirmer régulièrement le
principe de la souveraineté sur les ressources nationales. Et donc, dans
un 1er temps, les pays du Tiers-monde ont cherché à
faire admettre la notion par les pays développés en acceptant
divers
compromis, note HERVE Cassan26 dans son ouvrage
très célèbre cité précédemment.
- La 2èmeétape, est marquée
par l'adoption de la résolution 1803 (XVII) de1962. Elle correspond
à une phase de compromis entre les synthèses défendues par
les États occidentaux, ceux des pays socialistes et du Tiers Monde, en
particulier. Le droit de nationaliser la propriété
étrangère y est affirmé clairement, mais son exercice est
entouré de certaines restrictions.
- La 3ème phase, quant à elle est
ponctuée de durcissements successifs du Tiers Monde et trouve un point
d'aboutissement dans la charte de droits et devoirs économiques des
États de 1974. En son article 2, §II, il rappelle que "chaque
État détient et exerce librement une souveraineté
entière et permanente sur toutes ses richesses, ses ressources
naturelles et activités économiques y compris la possession, le
droit de les utiliser et d'en disposer". L'ONU a adopté en tout plus de
80 résolutions concernant ce principe et a créée une
commission chargée de son étude qu'elle a chargée de
procéder à une enquête approfondie concernant la situation
du droit de souveraineté permanente sur les richesses et les ressources
naturelles.
Depuis cette période, la situation est plus complexe.
Les pays développés ont accepté l'insertion de ce principe
dans le droit positif, mais ils contestent vigoureusement les
conséquences externes que certains pays en développement veulent
en tirer dans l'exercice de leur politique, notamment en matière de
nationalisation.
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