§ 2. Comparaison
I. Distinction entre Souveraineté permanente et
domanialité.
Le premier élément de différence qui
distingue la souveraineté de la domanialité réside dans la
détermination de la nature juridique ou du lien juridique qui unit
l'Etat à son territoire. En effet, l'Etat tire de son titre deux
76 Góard CORNU, Vocabulaire juridique,
Association Henri Capitant, PUF, Paris, 2001, p. 306.
77 Sur ce que le régime de la
domanialité n'est nullement l'apanage des seules collectivités
territoriales (l'Etat, province, communes) et concerne tout autant les biens
des services publics décentralisés (régies, Etablissements
publics, associations de droit public) même de ceux qui revêtent un
caractère commercial et industriel et quelque soit leur forme
juridique.
sortes de pouvoir correspondant à la double nature de
son territoire, à la fois étendue et chose.
Il est en premier lieu un objet concret, un bien propre
à un usage, par l'Etat lui-même ou par des tiers ; de ce point de
vue l'Etat a sur lui des pouvoirs de nature « réelle », comme
on dit d'un propriétaire qu'il a un droit réel sur son bien ; ce
n'est pas à dire que l'Etat soit propriétaire de son territoire,
car la propriété est légalement une institution de droit
privé interne dérivée et ne peut être
créée que par l'Etat lui-même. Il a un dominium, un pouvoir
domanial, qui l'habilite à déterminer la condition légale
de chaque portion du territoire et à exercer sur lui des pouvoirs
purement matériels. C'est là un premier élément de
différence.
En second lieu, le territoire est une étendue
abstraite, à l'intérieur de laquelle se meuvent des personnes ;
l'Etat exerce sur ces personnes un pouvoir d'un tout autre ordre, l'imperium,
c'est à dire un pouvoir de les régir ; pouvoir qui n'a rien de
« réel » car il n'intéresse pas le territoire en tant
que chose, et qui n'a aucun équivalent en droit privé ; à
vraie dire il ne s'exerce pas sur le territoire mais plutôt, sur des
personnes qui sont à l'intérieur du territoire.
C'est là, la différence essentielle de ces deux
concepts que nous allons expliciter davantage, pour en faire ressortir d'autres
qui ne ressortent pas facilement. Le pouvoir domanial est une autorité
sur le territoire, et le pouvoir « impérial » une
autorité à raison du territoire (ratione loci) ; ils
entretiennent des rapports étroits et l'analyse ne permet pas toujours
de les dissocier.
I.1. Pouvoirs dans le territoire étendue
- Formes et manifestations. : L'Etat a compétence pour
régir les personnes et les objets qui sont sur son territoire ou qui y
accèdent, et les situations qui sont rattachées spatiale ment
à son territoire. On ne s'attardera pas ici à cette affirmation,
qu' on a développée au titre de la condition internationale des
personnes et des biens ; qu'il suffise ici de rappeler que la «
compétence internationale» est l'aptitude, reconnue à l'Etat
par le droit international, à régir légalement des
personnes, des objets et des situations,
dès lors qu'ils se trouvent sur , ou ont des rapports
avec son territoire ; celuici, s'il n'est pas le seul support de
l'autorité de l'Etat, est certainement le plus important parce que c'est
sur son territoire que l'Etat jouit du pouvoir le plus effectif.
L'autorité de l'Etat sur son territoire s'exerce sous
la forme normative ou sous la forme opérationnelle. Son pouvoir normatif
consiste à faire des normes juridiques concernant les personnes, biens
et situations qui y sont soumis : soit des règles, soit des normes
individuelles : les règles en particulier résultent du droit
interne, mais aussi des traités que l'État peut conclure avec
d'autres, en raison précisément de la compétence qui lui
est reconnue pour régir son territoire. Quant à son pouvoir
opérationnel, il se manifeste dans des actions matérielles, c'est
à dire ne comportant un aspect physique. Il n'importe pas ici de savoir
si d'autres personnes que l'État territorial peuvent légalement
exercer ces pouvoirs normatifs et opérationnels, mais seulement de
constater qu'ils lui sont en tout cas reconnus.
- Degrés. -L'imperium de l'Etat sur son territoire
comporte des degrés qui concernent tant sa compétence que l'usage
qu'il en fait. D'abord sa compétence elle-méme n'est pas toujours
exclusive, puisque d'autres Etats peuvent dans une certaine mesure exercer la
leur sur son territoire, chacun pour son compte. Mais surtout les pouvoirs dont
dispose l'Etat à l'intérieur de la compétence exclusive
qui lui reste reconnue dans un grand nombre de domaines concernant son
territoire ne sont pas absolus, soit que l'Etat ait accepté de les
limiter conventionnellement dans l'intérêt de certains autres
Etats, soit que les limitations coutumières de son pouvoir
discrétionnaire aient été dégagées dans
l'intérêt de la communauté internationale.
Cela est particulièrement vrai dans les cas des
communications internationales : pour autant que des parties de son
territoire(espace maritime et aérien territoriaux) sont des supports de
moyens de communication, le droit international limite le pouvoir de
réglementation de l'Etat ; certes, aucune organisation internationale
n'en use à sa place et il garde donc bien une compétence
exclusive, mais il ne peut lui-même user de son pouvoir de
réglementation que dans les limites résultant des règles
internationales et doit
tenir compte de ce que les autres Etats et leurs
ressortissants ont un intérêt légitime à utiliser
son territoire ; c'est ce qui conduit parfois à parler de «
servitudes internationales »constituées sur ces parties de
territoire.
De façon générale, l'appartenance d'un
espace au territoire de l'Etat, si elle modifie le type de compétence
qu'il y exerce, ne lui vaut pas nécessairement un capital de pouvoir
important ; au contraire celui-ci ne cesse de s'amenuiser à mesure qu'on
s'éloigne des espaces territoriaux « purs » vers les «
espaces d'intérêt international », et notamment vers ceux qui
se trouvent à la périphérie du territoire
étatique.
I.2. Pouvoirs sur le territoire-chose
L'Etat tire de son dominium et de son imperium le pouvoir de
déterminer le régime foncier des éléments de son
territoire. Il peut soit faire de l'ensemble de l'espace territorial le domaine
de l'Etat, soit organiser un régime d'appropriation privée
permettant de constituer des situations juridiques de propriétaires au
profit des particuliers ; c'est là un choix politique interne auquel le
droit international général est indifférent. C'est la
raison d'être de l'article 34 de l'actuelle constitution.
2.1. Régime de la propriété
privée
Dans les parties du territoire sur lesquelles des droits de
propriété sont constitués dans le chef de particuliers,
notamment étrangers, ils trouvent leur base dans le droit public interne
et, on le sait, l'Etat peut toujours y porter atteinte en vertu de son pouvoir
éminent, à moins qu'il se le soit internationalement interdit.
2.2. Régime de la domanialité
Dans les parties qui appartiennent à son domaine, il
est loisible à l'Etat, au moins au regard du droit international, de
s'en réserver l'exploitation, ou au contraire d'accorder à des
particuliers, notamment étrangers, un accès aux ressources
qu'elles renferment, des conditions qu'il détermine librement et qu'il
peut modifier de même, sous réserve bien sur d'engagements
internationaux contraires.
Des formules très variées peuvent être
imaginées, notamment pour l'exploitation des ressources vivantes de la
mer et des ressources minérales, terrestres et marines, dans la seule
limite du principe de « souveraineté permanente de l'État
sur ses ressources naturelles ».(supra, section 1ère).
La différence essentielle qui distingue
souveraineté et domanialité se situe dans la nature juridique du
territoire. Mais comment se définie le territoire ? On appelle «
territoire », l'ensemble des espaces sur lesquels un Etat particulier
dispose d'un dominium exclusif et dans lesquels il dispose, en principe sur les
sujets internes, d'un imperium exclusif ou concurrent, que leur rattachement
spatial suffit à fonder. Ces pouvoirs résultent d'un titre
légal comportant l'appropriation de l'espace par l'Etat.
En droit international comme en droit interne, en droit public
comme en droit privé, tout espace peut être
appréhendé de deux manières, comme étendue et comme
chose, et se prête respectivement à deux sortes de pouvoirs,
personnels et réels. C'est de cette distinction fondamentale qu'on doit
partir pour identifier les deux genres entre lesquels se répartit
l'espace.
1°L'espace comme étendue :
A ce titre il s'entend comme, un espace lieu d'exercice d'un
imperium. La première fonction de la division de l'espace est de :
offrir un critère qui permette de déterminer en quels lieux un
Etat peut et en quels lieu il ne peut pas déployer sur une personne, un
objet, une situation, ..., des pouvoirs dont la base légale se trouve
dans sa compétence sur le site de l'être qu'il veut soumettre
à ses normes ou à qui il entend les appliquer. Les pouvoirs que
les uns et les autres peuvent éventuellement détenir ici ou
là sont donc des pouvoirs « personnels », que leurs titulaires
exercent non pas sur l'espace lui-même mais dans l'espace , à
l'égard des personnes soumises à leurs normes et à leurs
opérations d'exécution. Ils se rattachent à l'imperium des
Etats, c'est à dire à leur autorité sur les sujets
internes soumis à leurs
compétence, et appartiennent par là à une
forme de relation légale que le droit privé ignore et qui est
propre au droit public, interne et international.
Toujours comme étendue, il s'entend comme un imperium
et appropriation de l'espace. Parce qu'ils sont personnels, de tels pouvoirs ne
supposent pas nécessairement que l'Etat ait sur l'espace où il
les exercent un titre légal « réel », parent de la
propriété privée ou de la domanialité publique et
comportant une appropriation. A vraie dire, l'espace étendue ne s'y
préte pas parce qu'il n'y a rien à s'approprier :
l'étendue est abstraite elle n'a pas plus de consistance
matérielle que le « ressort » d'un organe administratif ou
d'un tribunal, et les mots d' « appropriation territoriale » dans ce
premier sens ne sont qu'une métaphore destinée à exprimer
la volonté de l'Etat d'exercer, dans les lieux qu'il revendique comme
propres, des pouvoirs exclusifs et en général moins
étroitement encadrés par le droit international, qui lui sont
refusés dans les espaces qui ne lui appartiennent pas. Mais même
dans ces derniers, on le sait, l'Etat dispose sur les personnes de pouvoirs
fondés sur une compétence extraterritoriale ; c'est bien dire que
leur existence, sinon leurs degrés et leurs modalités d'exercice,
ne dépend en aucune manière d'un titre d'appropriation.
D'ailleurs, quoique ce soit exceptionnel, la compétence
territoriale elle-même peut être reconnue à un Etat dans un
espace qui n'est pas proprement le sien et sur lequel il n'a pas de «
titre » territorial.
2° L'espace comme chose
Il s'entend comme espace, objet d'un dominium. Mais les
espaces peuvent être aussi envisagés dans une perspective, qui
nous est jusqu'à présent inconnue parce qu'elle ne concerne pas
l'autorité sur les personnes mais la possession des choses.
L'étendue abstraite et immatérielle qu'on avait en vue
jusqu'à maintenant cède ici la place à un objet concret,
fait de matière et sur lequel peuvent être constitués des
« pouvoirs réels », ceux qu'exerce un sujet de droit sur une
chose, qui en font un bien et qui, contrairement aux précédents,
ne sont pas propres au droit public.
Des tels pouvoirs sont reconnus à l'Etat dans l'ordre
sous les espèces de la domanialité, statut des choses
correspondant dans la sphère publique au statut de
propriété dans la sphère privée : pouvoirs
domaniaux, ou dominium, qui ne comportent pas de relation personnelle entre
leur détenteur et d'autres personnes comme le fait l'imperium, mais
seulement un rapport d'appartenance entre une chose et son détenteur,
objectivement opposable aux autres personnes. Or des tels pouvoirs sont aussi
reconnus à l'Etat dans l'ordre international, mais seulement sur son
« territoire », et c'est pourquoi la question de l'appropriation,
encore relativement secondaire quand il s'agit de l'espace étendue,
passe au premier plan dans le cas de l'espace-chose.
Toujours entendu de l'espace chose, dominium et appropriation
de l'espace : - L'espace78 est à la fois une chose et le
contenant d'autres choses, les fruits et les produits ; l'une comme les autres
peuvent faire l'objet de deux types de statut, d'appropriation ou de non
appropriation. S'agissant d'abord de l'espace lui-même, son appropriation
par un Etat en fait un élément de son « territoire » et
lui confère les pouvoirs domaniaux internationaux qui sont
afférents à cette qualité ; en particulier il lui
appartiendra d'en user pour déterminer le statut interne, privé
ou public des fonds appartenant à son territoire ; mais c'est dans
l'exercice de son imperium qu'il fixera les conditions d'accès à
ceux de ses fonds qu'il maintiendra dans son domaine et dont il lui
appartiendra de déterminer le mode d'exploitation.
Si au contraire l'espace n'est pas incorporé au
territoire d'un État, c'est qu'il n'est pas légalement
appropriable. En effet, on le verra, aucun de ces espaces n'a plus aujourd'hui
le statut de chose sans maître (res nullius), susceptible
d'appropriation, mais n'appartenant encore à personne ; tous sont des
choses communes (res communes) fermées à la constitution
de titres territoriaux mais aptes à être utilisées par
tous. Dans ces conditions, l'exercice d'un dominium79 est exclu mais
non celui de l'imperium des États qui, dans le cadre de leurs
compétences extraterritoriales, définissent les conditions
d'accès à l'espace international et à ses ressources.
78 Jean COMBACAUD, Droit International Public,
Paris, p.123.
79 Idem. p. 124.
Quant à ces dernières, qui tant qu'elles
reposent encore dans l'espace international, sont elles-mêmes des choses
sans maîtres (à moins qu'un statut international spécial ne
les aient soustraites à une exploitation sous un régime national
: cas de la zone internationale du fond des mers), leur statut une fois
qu'elles en auront été tirées dépendra lui aussi de
l'usage de leur imperium par les États de qui relèvent les
personnes dont l'activité en fait des fruits ou des produits.
L'art. 9 de la constitution nous permet de ne pas tergiverser
quant à la question de savoir le lieu où doit s'exercer cette
souveraineté de l'État. Il précise très clairement
que c'est sur le sol, sous sol, espace aérien, maritime et le plateau
continental. Or tous ces espaces constituent parfaitement le domaine de
l'État. Et donc on comprend par là, que la souveraineté de
l `État a une assise territoriale sur laquelle elle doit s'exercer.
A l'article 9 de la loi n° 73 - 021 du 20 juillet 1973
portant régime des biens, régime foncier et immobilier et
régime de sûretés, il est stipulé que « les
particuliers ont la libre disposition des biens qui leur appartiennent sauf les
modifications établies par la loi ». Ce que nous dit aussi
l'article 34 de la constitution. Et « les biens qui n'appartiennent pas
à des particuliers ne sont administrés et ne peuvent être
aliénés que dans les formes et suivant les règles qui leur
sont particulières ».
Cet article distingue en effet, les biens appartenant aux
particuliers et les biens n'appartenant pas à des particuliers.
Mais la doctrine distingue les biens appartenant aux
particuliers et ceux du domaine de l'État80. Les biens
domaniaux sont ceux qui appartiennent à la puissance
publique81, c'est-à-dire à l'État ou à
ses subdivisions.
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