Section 2ème : DISTINCTION ENTRE SOUVERAINETE
PERMANENTE ET LA PLENITUDE DES DROITS FONCIERS, MINIERS ET FORESTIERS
«Celui qui voudra s'en tenir au présent, à
l'actuel, ne comprendra pas l'actuel ». Cette remarque de Michelet est
pleinement justifiée à l'égard du droit foncier congolais
qui est inséparable de son histoire. Telle est la raison pour laquelle
on ne saurait distinguer la souveraineté permanente de la loi dite,
BAKAJIKA, sans évoquer l'évolution du régime
foncier36 congolais : avant l'E.I.C., sous l'E.I.C., pendant la
période coloniale et post coloniale.
§ 1. EVOLUTION DU REGIME FONCIER CONGOLAIS.
I. Période du régime foncier
coloniale.
Cette évolution du régime foncier congolais sera
analysée à travers quatre périodes : 1. Le régime
foncier coutumier (avant l'E.I.C.), 2. Sous l'E.I.C., 3. Sous le Congo Belge,
4. Et du Zaïre.
I.1. Le régime foncier de l'Etat
Indépendant du Congo
Le professeur S. Mugangu écrit, à propos de
l'occupation européenne du sol africain avant 1876, que certaines
théories de droit international antérieur au XVIIIe siècle
considérait l'Afrique, terre inconnue comme une res nullius. S' y
installait qui voulait sans qu'aucun titre juridique soit nécessaire.
Les premiers établissements portugais sur les deux faces du continent
africain s'étant probablement constitués ainsi37.
Au jour même de la notification aux puissances de la
constitution de l'E.I.C., l'administrateur général au Congo prit
une ordonnance relative à l'occupation des terres à travers tout
le nouveau territoire.
36 Mbemba MULOPO M., « Nouveau Régime
foncier Zaïrois et l'expropriation pour cause d'utilité publique
»,in Annales de la faculté de Droit, UNIKIN, 1974.
37 Séverin MUGANGU M., op. cit., p.
37.
En effet par cette ordonnance l'administrateur
général a voulu marquer d'une part une rupture entre l'ancien et
le nouveau régime en ordonnant qu'à partir de la présente
proclamation, aucun contrat ni convention passés avec des
indigènes pour l'occupation à un titre quelconque des parties du
sol « ne sera reconnu par le gouvernement et ne sera protégé
par lui ». Les droits ne pouvant naître qu'en se conformant aux
règles du nouvel Etat38.
Si l'objet du premier acte fut de cristalliser les droits
acquis à l'époque antérieure au 1er juillet
1885, ce méme acte attribue à l'Etat toutes les terres vacantes
et interdit leur occupation sans titre. Ainsi, pour le Pr. Kalambay, dans le
premier temps l'E.I.C. reconnut trois sortes de terres :
a. les terres occupées par les autochtones et dont le
régime fut soumis à la coutume.
b. Les terres en possession de non indigènes. En
effet, avant la constitution de l'E.I.C., des non-indignes hollandais,
portugais et anglais occupaient le sol en vertu des contrats passés avec
des indigènes : ces contrats furent reconnus valables en
exécution du décret du 22 août 1885 et ces terres furent
enregistrées et soumises à la législation de l' Etat.
c. Tout le reste des terres forma le domaine de l'Etat et une
partie constitua le domaine privé. Ce reste c'était les terres
vacantes.
Si les non indigènes avaient, à partir de cette
ordonnance la faculté de disposer de leur propriété
foncière entre vifs ou pour cause de mort et entre eux, ils ne voulaient
plus acquérir un quelconque droit réel ni sur les terres
appartenant aux communautés traditionnelles, ni sur celles faisant
partie du domaine de l'État sans autorisation de celui-ci. Par cette
disposition, l'Etat se voulait être à méme de
contrôler toute l'occupation du sol sur l'ensemble de son territoire.
Mais les terres occupées par les indigènes furent
réduites ; l'Etat s'appropria de toutes les parties de terres qu'ils
n'exploitaient pas, dans un
38 Gaston Kalambay, Régime foncier et
immobilier, PUZ, Kinshasa, 1989, pp. 5 à 25.
but commercial. Le gouverneur général en
exécution du décret du 5 décembre 1892, avait pris un
arrêté invitant les commissaires des districts et les chefs
d'expéditions à délimiter les droits des indigènes
sur les terres occupées par eux (...) c'est à dire
délimitées en fait à des portions de terres
habitées des droits des indigènes ; « ce n'est pas un
usufruit, une propriété mais un droit d'occupation
»39.
Dans le droit dont la Belgique a doté son ancienne
colonie, le droit consacré à l'amélioration des conditions
des vies des autochtones est relativement mince par rapport aux droits
économiques (...), le droit colonial n'étant pas un droit de
développement40 ; la théorie des biens vacants fut
utilisée comme instrument de la politique du gouvernement colonial pour
mieux exploiter les ressources du Congo (comme dans tous les autres pays
colonisés). Et l'Etat entra en conflit avec les sociétés
commerciales dans le premier temps mais la solution de ce conflit fut
réalisée au détriment de la population. La non observation
des intérêts de chaque groupe fut en fait la cause de la chute de
l'E.I.C.
En conclusion, comme nous venons de le voir, on ne peut pas
parler de la souveraineté permanente sous l'E.I.C., pour plusieurs
raisons, notamment :
1°Ici, le souverain c'est le roi et non l'Etat.
L'E.I.C. est une propriété privée, un bien propre
du roi, le seul souverain. Il ne devait en rendre les comptes à
personne.
2°Les droits souverains de la population
prônés par l'art. 9, étaient méprisés,
méconnus au profit des intéréts du roi. Cela fut
d'ailleurs la cause de la chute de l'E.I.C. : les intéréts de la
population n'étaient pas pris en compte.
3°Rien n'était fait pour l'intérêt de
la population ou pour le développement du pays; toutes les
activités économiques et les revenus tirés de leur
contrôle étaient versés dans le compte du roi. Ce qui est
pratiquement contraire au principe de la souveraineté permanente, selon
l'esprit de la résolution 1803, qui place l'intérêt de la
population au premier rang.
39 Gaston KALAMBAY, op. cit., p. 25.
40 Idem, p. 27.
Toutes ces raisons ci-haut évoquées prouvent
à suffisance que la notion de souveraineté permanente ne saurait
être envisagée ici.
I.2. Le régime foncier du Congo - Belge
Dans le traité de cession du 18 novembre 1907 la
Belgique réitère sa volonté de pouvoir respecter les
droits acquis parce que « sa majesté le Roi souverain
déclare céder à la Belgique la souveraineté des
territoires composant l'E.I.C., tous les droits et obligations qui y sont
attachés, l'Etat belge déclare accepter cette cession et faire
sienne les obligations de l'E.I.C. (...), et s'engage à respecter les
conditions au Congo, ainsi que des droits acquis légalement reconnus
à des tiers indigènes et non indigènes
»41.
Par rapport au principe de la souveraineté permanente,
ici non plus on ne saurait l'évoquer pour la simple et belle raison que
« souveraineté » est inconciliable à la colonisation.
Ajoutons aussi le fait que la cession de la souveraineté de l'E.I.C.
s'est effectuée sans consultation populaire, moins encore consentement
du peuple congolais, tel que l'exige l'art. 214 de la constitution ; ce qui est
également contraire à la charte des Nations Unies, et aux autres
résolutions de l'ONU. Sous cette période, trois textes ont
régi le domaine foncier du Congo qu'il convient de rappeler dans les
lignes qui suivent :
2.1. La charte coloniale (loi) du 18 octobre 1908)
L'article 5 de la charte coloniale assigne au gouvernement
(colonial) entre autre mission l'amélioration des conditions
matérielles d'existence (...) et le développement de la
propriété. Et l'art. 15 de la méme charte traite des
règles relatives aux diverses sortes de concessions ; toute la politique
coloniale trouvant sa source dans cet article qui constitue le régime
provisoire en matière de concession et de cession des biens domaniaux.
Lacunaire, entre autres reproches qu'on lui fit, le « rapport annuel
» de 1922 préconise une nouvelle modification de l'art. 15 de la
charte coloniale de manière à limiter la totalisation.
41 Art. 7 du traité du 18 novembre 1907 relatif
à la cession de l'EIC à la Belgique.
Rappelons aussi que cette cession et ces concessions se faisaient
selon la volonté du législateur belge plutôt que par celle
du peuple congolais.
2.2. Le décret du 20 juillet 1907 sur
l'emphytéose et l'usufruit
Ce décret vint organiser ces deux droits réels
énumérés à l'art.1eralinéa
2ème du décret du 31 juillet 1912, parce que d'abord bien
organisé, l'emphytéose peut suffire dans la plupart des cas
à assurer la mise en valeur des terres domaniales incultes ; il ne sera
plus nécessaire de recourir toujours et nécessairement au
système des grandes concessions en pleine propriété. Ce
serait une faute que la colonie continuât de se dépouiller
définitivement des terres qui lui appartiennent comme bien sans
maître, et ne conservât de son immense domaine qu'une faible
portion pour les temps à venir.
Dans le système de l'emphytéose, dont la
durée est
essentiellement à trois générations, la
colonie retrouvera un jour ses terres avec une valeur considérable et
sans y avoir fait aucune mise de fonds42.
Ensuite, (...) « quant à la matière de la
superficie, il convient de la régler sans retard, afin d'apporter au
principe de la cession consacrée en termes absolus. L'organisation de la
superficie sera particulièrement utile dans la colonie pour la
concession d'exploitation des foréts et des autres produits naturels du
sol ».
2.3. Le décret du 31 mars 1934
Le travail de délimitation des terres indigènes,
par son coût et son inutilité fut condamné en 1927. Mais la
colonisation exigeait que l' Etat colonie continue à accorder des
concessions et cessions avec la garantie à leurs titulaires de ne pas
être inquiétés dans l'exercice de leurs droits. Dès
lors une procédure nouvelle était nécessaire ; le
législateur de 1934 subordonna à une enquête toute demande
de cession ou de concession.
42 Rapport du conseil colonial cité par Gaston
Kalambay, op. cit. p. 123.
Ce décret du 31 mai 1934 permit par un texte
légal de renoncer officiellement à la délimitation
systématique des terres indigènes, et indirectement de
déterminer les terres vacantes, car l'enquête ne devra
désormais s'effectuer qu'en cas de demande de cession ou de concession
des terres rurales.
2.4. Les pouvoirs concédants
L'article 15 de la charte coloniale était en principe
applicable à tout le domaine privé appartenant à la
colonie. Or pendant cette période coloniale, pour le territoire colonial
Belge on dénombre quatre pouvoirs concédants :
- le Congo -Belge
- le comité spécial du Katanga (C.S.K.)
- la compagnie de chemins de fer du Congo supérieur aux
Grands Lacs africain (CFL).
- Comité national du Kivu (C.N.K.I.).
Chacun de ces pouvoirs concédants avait une zone dans
laquelle il avait un droit de céder ou de concéder une portion
des terres. Et à ce propos, les terres qui furent
concédées n' étaient pas vacantes mais bien
occupées par les indigènes. A titre d'exemple, l'administration
faussa les enquêtes pour faire entrer les terres dans le domaine du
C.N.K.I. Le caractère indigène ou domanial d'une terre
établi par un procès verbal dressé par l'administrateur ou
méme un agent territorial, lequel ne faisait l'objet d'aucun
contrôle.
Mais malgré l'existence des divers pouvoirs
concédant, nous pouvons dire que l'article 15 de la charte coloniale a
été appliqué sur tout le territoire colonial d'une part et
d'autre part les pouvoirs concédant ont disparu à la veille de
l'indépendance. Au 30 juin 1960, seul l'Etat congolais était
l'unique propriétaire de tout le domaine privé et pouvait en
disposer librement.
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