II. Période du régime foncier
post-coloniale
Pour Kalambay, le régime foncier pendant cette
période postcoloniale a connu deux phases fortement
caractérisées.
En effet, dans la première phase qui se situe dans la
première décade de l'indépendance, le régime
foncier est dominé par la conception du droit colonial car le
législateur de cette période, tout en recherchant
l'indépendance économique, a le souci permanent de maintenir ces
textes légaux antérieurs à l'indépendance.
La deuxième phase débute avec la décennie
connue. En effet, dans la loi fondamentale (décret du 19 juin 1960), on
remarque des positions tranchées du législateur ; positons qui
aboutissent à la rupture avec l'ancien régime foncier ; laquelle
rupture étant consacrée par la loi du 20 juillet 1973.
II.1. La loi BAKAJIKA
(1ère décade de l'indépendance)
La constitution du 1er août 1964 invitait le
législateur à régler souverainement par la loi nationale
le régime juridique des cessions et concessions foncières faites
avant le 30 juin 1960.
Et l'ordonnance - loi n° 66/343 du 7 juin 1966
communément appelée loi BAKAJIKA, assurait à la RDC la
plénitude de ses droits de propriété sur son domaine et la
pleine souveraineté dans la concession des droits fonciers forestiers et
miniers sur toute l'étendu de son territoire, (...) tous les textes
législatifs antérieurs ayant pour objet l'exploitation, la
gestion du sol et du sous-sol congolais et qui sont contraires à
l'esprit de l'ordonnance loi précitée étaient
abrogées. Dans l'exposé des motifs, il est dit que « la
souveraineté de notre pays s'accommode mal des privilèges
exorbitants concédés par la législation coloniale »
et le Congo doit pouvoir exiger la plénitude de ses droits de
propriété, de ses pouvoirs concédant... il doit disposer
librement de son patrimoine ».
Cette ordonnance43 prise en vertu de l'article 43
alinéa 3 de la constitution de 1964 annule toutes les cessions et
concessions accordées successivement par l'E.I.C., le Congo Belge, le
CSK, le CNKI et la CFL.
La loi BAKAJIKA voulait constituer pour l'Etat congolais une
loi de régulation de cession ou de concession acquises avant
l'indépendance. Mais, à part la remise en question de cessions et
de concessions accordées avant le 30 juin 1960 n'a pas porté
atteinte à la conception du droit foncier colonial.
II.2. Portée de la loi BAKAJIKA
Cette loi avait 3 articles dont :
L'art.1er stipule : la R.D.C. reprend la pleine et
libre disposition de tous ses droits fonciers, forestiers, et miniers
concédés ou cédés avant le 30 /06/1960 en
propriété ou en participation à des tiers, personnes
morales ou physiques. L'art.2ème renchérit : « la
R.D.C. procédera souverainement à la répartition des
droits d'exploitation ou de gestion de ses ressources naturelles
forestières et minières »
L'art.3ème : « tous les textes
législatifs ou réglementaires antérieures, ayant pour
objet : l'exploitation, la gestion du sol ou du sous sol congolais et qui sont
contraires à l'esprit de la présente ordonnance-loi sont
abrogés.
Ce point sera consacré à l'étude des
concepts de «plénitude des droits fonciers», d'une part, et
d'autre part à celui de « de la pleine souveraineté ».
Après en avoir explicité la portée, on verra quelle
incidence ces deux concepts ont sur les droits cédés ou
concédés sur le sol par l'autorité coloniale.
2.1. Explication du concept « plénitude
des droits fonciers »
Cette expression se trouve consacrée par l'Ordonnance-Loi
n°66- 343 du 7 juin 1966, dite communément Loi
BAKAJIKA44. Il dispose en son
43 Gaston KALAMBAY et Ndeshyo RURIHOSE «
Enseignement de droit et de développement» in Annales de la
Faculté de Droit, UNIKIN, 1976.
article 1er : « La R.D.C. reprend la pleine et
libre disposition de tous ses droits fonciers, forestiers et miniers
concédés ou cédés avant le 30 juin 1960 en
propriété ou en participation à des tiers, personnes
morales ou physiques ». En d'autres mots, en perdant la
propriété du sol, le propriétaire voit son droit
réel de propriété des constructions, se transformer en
droit de créance sur l'Etat. Ainsi bien, la loi dite « BAKAJIKA
» n'eut-elle pu décider autrement sans porter gravement atteinte au
principe général du droit qui prescrit l'enrichissement sans
cause.
1.1. Quelle est donc la portée de cette
disposition?
Dans la terminologie en usage dans les affaires
foncières, le mot cession est l'octroi d'un droit de
propriété tandis que la concession se limite à octroyer un
droit de jouissance bail, emphytéose, occupation provisoire, superficie,
concession gratuite, etc.
Dans une terminologie plus générale le mot
concession signifie tout acte par lequel l'Etat consent un droit de jouissance
sur son domaine, sans distinguer entre le domaine public et le domaine
privé.
Dire que l'Etat reprend la pleine et libre
disposition45 de tous ses droits fonciers ~cédés avant
le 30 juin, revient à dire qu'il reprendre toutes les
propriétés privées reconnues et protégées
par les textes législatifs d'avant cette date. En effet, aux termes de
l'article 14, Livre II du Code Civil la propriété est le droit de
disposer d'une chose d'une manière absolue et exclusive. Le droit de
disposition constitue l'essence méme du droit de propriété
et les mots « pleine et libre disposition » repris à l'article
1er de l'Ordonnance-Loi n°66-343 eussent aussi bien pu
être remplacés par les mots « pleine
propriété».
1.2. Limites de la disposition
Une première limitation se pose dans le temps, sont
uniquement visés les droits cédés ou
concédés avant le 30/06/1960. Il s'ensuit que les droits fonciers
valablement cédés ou concédés, après le
30/06/1960, conformément à
44 Du nom de son initiateur, le député
national Isaac Gérard BAKAJIKA-KANGOMBE, auteur de la loi qui porte son
nom.
45 Gaston KALAMBAY, op.cit., pp.43 à
47.
l'ancienne Loi Fondamentale ou à la constitution, sont
couverts par la garantie inscrite à l'article 43 de la constitution :
« Les droits de propriété, qu'ils aient été
acquis en vertu du droit coutumier ou du droit écrit, sont garantis
conformément aux lois nationales. Nul ne peut être privé de
ses biens meubles ou immeubles justement acquis en une région quelconque
du territoire de la République que pour des motifs
d'intérêt général et en vertu d'une loi nationale
prévoyant le versement préalable d'une indemnité
équitable ainsi que le droit pour l'intéressé de saisir,
en cas de contestation, les tribunaux de l'ordre judicaire pour qu'ils se
prononcent sur ses droits et fixent le montant de l'indemnité ».
Cette loi nationale est pour l'instant le Décret du 24 juillet 1956 sur
l'expropriation pour cause d'utilité publique. L'Ordonnance-Loi
n°66-343 n'eut donc pu disposer pour une époque se situant
après le 30/06/1960, sans aller à l'encontre des garanties
constitutionnelles.
Une deuxième limitation résulte de l'objet sur
lequel a porté la cession ou la concession, à savoir le sol.
L'Etat colonial a cédé ou concédé des terres mais
non les constructions, plantations ou autres améliorations quelconques
qui y ont été faites. La R.D.C. reprend ce qui a
été cédé ou concédé, et non ce que le
concessionnaire y a incorporé. (Discussions des théoriciens.)
Pour nous, en reprenant la propriété du sol, la
R.D.C. reprend par le fait méme la propriété des
constructions, plantations, etc.~qui s'y trouvent, et ce en vertu du principe
de l'accession46. Mais cela ne signifie en aucune façon que
le propriétaire évincé perd tous droits sur ces
constructions. Il se trouve en effet, dans la situation du possesseur de bonne
foi, dont le cas est ainsi prévu par l'article 24 du Code Civil II :
« Lorsque les constructions ouvrages ou plantations ont été
faits par un possesseur47 de bonne foi, avec des matériaux ou
des végétaux lui appartenant, le propriétaire du fonds ne
peut en exiger la suppression ; il doit rembourser au possesseur, soit la
valeur des matériaux ou des végétaux et prix de mains
d'oeuvre, soit la plus value qui en est résultée pour le fonds
».
46 Cfr : article 22 du Code Civil congolais, Livre
II
47 Gaston KALAMBAY, op.cit. p.44.
2.2. Explication du concept « pleine
souveraineté »
S'agissant du concept « pleine souveraineté dans
la concession et la cession des droits fonciers, forestiers, et miniers sur
toute l'étendue de son territoire » dont il est question ici, c'est
l'article 3 de la loi n° 66-343 du 7/06/1966, dite Loi BAKAJIKA qui le
consacre, à l'instar du concept précédemment
étudié.
Il dispose : « la RDC procédera souverainement
à la répartition des droits d'exploitation ou de gestion de ses
ressources naturelles, forestière, et minières ».
L'idée que voulait exprimer le législateur de
cette loi est de concrétiser le voeu de rompre avec la main mise
étrangère dans la gestion du patrimoine foncier, minier et
forestier congolais. Il faut mettre fin à l'ingérence de la main
étrangère, car il n' y a pas d'indépendance politique sans
indépendance économique. Cette fois-ci, ce sont les congolais
eux-mêmes et non les étrangers (colonisateur) qui vont
décider de la gestion des ressources situées sur le domaine de
l'Etat. En effet, il a été démontré plus haut que
l'Etat n'était pas maître de son sol, certaines puissances
gèrent à leur profit et au détriment de la population,
l'essentiel de notre potentiel économique. Le gouvernement colonial,
sans l'aval du peuple congolais distribua aux colons, comme bon lui semble, des
terres sous formes de concessions et de cessions. Pire encore, ils
passèrent un contrat d'exploitation qui devait, suivant les documents
officiels consultés, prendre fin en l'an 2300, leur donnant la totale et
entière liberté d'administrer ces terres, comme si la RDC
était incapable de s'autodéterminer, et donc de se diriger seul,
car il est un Etat souverain .
Bref, comme il est dit dans l'exposé des motifs, la
souveraineté de notre pays s'accommode mal avec les prérogatives
exorbitantes concédées par la législation coloniale aux
intérêts étrangers, qui font fi de nos aspirations les plus
légitimes. A notre humble avis, la «pleine
souveraineté», implique aussi l'indépendance
économique qui signifie ainsi, que les grandes décisions qui
concernent l'activité économique soient prises au Congo et en
fonction des options déterminées par le Gouvernement. C'est
pourquoi il faudrait veiller à
une large participation des congolais et du gouvernement
à la gestion des activités économiques exercées
jusqu' à cette époque-là, par les étrangers.
D'où la reprise offensive de droits des congolais sur les richesses de
leur sol et sous-sol aux termes de la loi BAKAJIKA, nous parait mieux
indiquée pour atteindre ce résultat.
2.3. Incidences de ces deux concepts sur les droits
cédés ou concédés par l'autorité coloniale
Les personnes physiques ou morales visées à
l'article1er pourront poursuivre leurs activités jusqu'à la
notification de la décision par les ministres des terres, mines et
énergie et de l'agriculture comme prévu à l'article 4.
L'Ordonnance d'exécution invitait tous les
bénéficiaires de cessions ou de concessions à introduire
des nouvelles demandes de cessions ou de concessions dans un délai
déterminé. Le dossier de la demande devrait contenir les
renseignements susceptibles de permettre aux autorités
compétentes de juger des conditions présentes
d'exploitation48 des concessions ainsi que les objectifs d'avenir
des exploitants. Pour la réattribution des concessions à leurs
anciens titulaires, les autorités dont il est question ci-haut devaient
tenir compte de la mise en valeur suivant que le terrain était
situé dans la zone urbaine ou dans la zone rurale soumise à un
plan rural d'aménagement.
En résumé, les critères de
l'appréciation de la mise en valeur étaient ceux qui
étaient prévus par l'article 30 de l'arrêté
ministériel du 25/02/1943.
De l'examen du dossier, trois solutions étaient
possibles : ou bien la mise en valeur est prévue par les critères
d'évaluation ; dans ce cas, il y a réattribution du terrain, ou
bien, la mise en valeur est partielle ; dans ce cas, l'Etat reprend la partie
non mise en valeur, ou bien la mise en valeur est insuffisante ou nulle, l'Etat
reprend tout le terrain. C'est ce qu'aussi semble
48 Gaston KALAMBAY, op.cit.p.47.
nous dire dans ses commentaires, M. HERBOTS : « il semble
qu'il ne faut y avoir qu'une faculté : l'Etat n'est pas obligé de
redevenir pleinement propriétaire. Il ne fera usage de cette
faculté que si le cessionnaire ou le concessionnaire n'a pas usé
de son droit dans l'intérêt du pays (ainsi s'il n'a fait que
conserver les terres dans un but spéculatif) ou s'il a abandonné
son bien ».
. Les textes disent que l'Etat reprend la pleine et libre
disposition de
tous ses droits fonciers, forestiers, et miniers
concédés ou cédés avant le 30/06/1960. En d'autres
termes, l'Etat reprend ce qui a été cédé ou
concédé par la Colonie, c'est-à-dire le sol. Quel est,
dès lors, le sort des constructions, plantations ou autres
améliorations quelconques faites par le cessionnaire ou le
concessionnaire ?
Le problème ne se pose pas quand il y a
réattribution intégrale du terrain cédé ou
concédé. Au contraire, il se pose dans d'autres cas. En reprenant
la propriété du sol, en tout ou en partie, l'Etat devient, en
vertu du principe de l'accession immobilière, propriétaire de
tout ce qui a été incorporé au sol repris et l'Etat a
l'obligation dans ce cas d'indemniser le cessionnaire ou le concessionnaire qui
doit être considéré comme un possesseur de bonne foi
construisant sur un terrain appartenant à autrui.
Si l'on observe la superficie totale des terres
cédés et concédés au 31/12/1959 à celle des
terres dont la cession ou la concession a été confirmée ou
non dans le Moniteur congolais, on constate que la superficie de 1959 est de
loin supérieure au total des droits confirmés ou infirmés.
Nous pensons avec le professeur Gaston KALAMBAY, que l'inefficacité de
l'application de la Loi BAKAJIKA résidait dans le manque de formation
des conservateurs des titres fonciers et dans la perte des documents pouvant
servir de pièces de contrôle des cessions et des concessions.
On peut en conclure que la loi BAKAJIKA voulait constituer
pour l'Etat une loi de régulation de cessions ou de concessions acquises
avant l'indépendance par le nouvel Etat. Par cette opération, si
la loi BAKAJIKA avait été bien appliquée, elle aurait
permis à l'Etat d'effectuer un inventaire
complet des terres cédées et
concédés, de connaître leur superficie, leur destination,
et de constater, sur base des doubles des certificats d'enregistrements
gardés dans les conservations des titres fonciers, celles qui ont
été abandonnés et qui, par conséquent,
retourneraient à l'Etat. A part la mise en question des cessions et
concessions accordées avant le 30/06/1960, la loi BAKAJIKA n'a pas
porté atteinte à la conception du droit foncier colonial.
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