· Section 3: Le transbordement pour des raisons
commerciales
La convention de Bruxelles ainsi que le protocole de 68 ne
contiennent aucune disposition concernant le transbordement. Par
conséquent la loi maritime française trouvera à
s'appliquer pour les litiges portés devant un tribunal français
en matière de transbordement.
En principe le transporteur est supposé
décharger la marchandise au port convenu. Si toutefois il rencontre une
impossibilité de décharger au port de destination initialement
convenu, il doit prouver qu'il ne pouvait pas le faire en raison d'un
événement qui ne lui est pas imputable pour se dégager de
toute responsabilité.
1 Séminaires sur le Droit Maritime
Général par le Professeur Bonassies n° 479.
2 CA Paris 13 janvier 1988, DMF 1988, p. 395.
3 Sentence arbitrale 1099 du 25 juin 2004.DMF 2004,
p.1041.
Le transbordement se distingue de la substitution de
transporteur en ce qu'il << intervient une fois l'opération de
transport commencée, alors que la substitution de transporteur (...)
s'exerce avant tout commencement d'exécution du transport
>>1
Le devoir de transborder existe dans tous les cas
d'empêchement de poursuivre le voyage quelqu'en soit la cause. Le
transporteur ne doit jamais laisser la marchandise en souffrance ; il doit
mettre en oeuvre tous les moyens possibles pour acheminer la marchandises
à bon port dans les meilleures conditions qui soient. Il s'agit d'une
obligation de moyens renforcée. S'il n'effectue pas le transbordement,
il sera présumé responsable de négligence. Dans ce cas,
selon Rodière, c'est au transporteur qu'il incombera de démontrer
qu'il a fait preuve de toute la diligence nécessaire.
Le transporteur peut être tenté de transborder sa
cargaison en vue de rendre disponible son navire afin d'exécuter un
contrat bien plus onéreux. Dans ce cas si l'expédition arrive
à temps et intacte à bon port, on ne devrait pas pouvoir engager
la responsabilité du transporteur du seul fait d'avoir
procédé à une opération que les clauses de
connaissement ne lui interdisaient pas d'effectuer.
Les compagnies maritime prennent l'habitude d'insérer
des << liberty clause >> dans leurs connaissements. Ces
clauses, qui sont parfaitement licites en droit français2,
leurs permettent de transborder la marchandise en cours de route comme bon leur
semble. L'objet de telles clause est de toute évidence de servir
d'échappatoire aux transporteurs désireux d'effectuer des
transbordements pour des raisons commerciales car, en effet, dans tous les cas
où le transbordement se révèle totalement
justifiée, le transporteur dispose de moyens juridiques pour
éluder sa responsabilité sans même avoir à invoquer
ces liberty clauses.
<< Ces clauses sont valables et doivent être
interprétées comme laissant le transporteur la liberté de
manipuler les marchandises d'un navire à un autre sans avoir à
rendre compte et sans nécessite impérieuse
>>3.
Il est toutefois à noter que même si le chargeur
a accepté ces validity clauses, le transporteur ne demeure pas moins
responsable des dommages subis par la marchandise en raison de ce
transbordement autorisé.
En effet, le déroutement du navire et le transbordement
de la marchandise, ne constituent pas en eux même une faute du
transporteur. C'est uniquement lorsque la marchandise subit des dommages en
raison du transbordement que l'on peut relever la faute de celui-ci. Signalons
cependant que le droit anglais considère comme déraisonnables, et
donc fautifs en tant qu'un << fundamental breach of contract >>,
les transbordements à des fins purement lucratives.
1 R.Rodière, Traité
Général de Droit Maritime, t II, p 132.
2 R. Rodière, Traité général de droit
maritime, t. II, n° 527 & s.
3 Lamy Transport 2004 n* 449
Cependant il est totalement compréhensible que la
responsabilité du transporteur soit engagée si les marchandises
qu'il a décide de transborder ont subi des pertes ou avaries ou encore
si leur arrivée a fait l'objet d'un retard déraisonnable en
raison du transbordement lui même.
Ex : N'est pas libératoire le refus d'un acconier de
décharger une marchandise trop lourde quand le capitaine a
décidé de dérouter vers ce port pour échapper au
paiement de surestaries1 .
Bien entendu, les frais supplémentaires
occasionnés par un transbordement pour des raisons économiques
(manutention, fret afférant à la seconde partie du voyage)
doivent entièrement être supportes par le transporteur.
On assiste en parallèle au développement du
recours à des navires d'apport (feeders), et à la conclusion des
<< Connection Carrier Agreement >> (accords de transbordement). Ce
sont dans tous les cas des transbordements voulus et envisagés à
l'avance par le transporteur. Ils obéissent au même régime
que les transbordements inopinés régis par les articles 40 et 47
du décret du 31 déc.66. Ces transbordement soulèvent une
difficulté considérable dans la mesure où ils ne sont,
pour de diverses raisons (notamment : le crédit documentaire), quasiment
jamais mentionnés dans le connaissement. Peut-on pour autant y voir des
déroutements déraisonnables, donc fautifs, de la part du
transporteur ? Ces questions ne peuvent que faire l'objet d'une
appréciation au cas par cas par les juges du fond.
La CA d'Aix-en-Provence2 a été
censurée par la Cour de cassation pour avoir décidé que le
transporteur était responsable de la perte de certains conteneurs au
cours d'un voyage effectué par un << feeder >> dont
l'existence n'a pas été mentionné au connaissement qui, du
coup, sera qualifié d'inexact. La cour de cassation décide que la
mention du navire sur le connaissement n'a pas une force probante absolue et
qu'ainsi elle pouvait faire l'objet d'une preuve contraire3.
Signalons toutefois que les tribunaux ne reprochent pas au
transporteur (ou au commissionnaire de transport) de s'être livré
à un transbordement interdit, d'ès lors que la marchandise
était dans un conteneur4, en remorque ou en LASH barges.
1 CA Montpellier 1er mars 76 sur renvoi de Com 15 oct.
74
2 CA Aix 6 juill. 87, BTL 88 p. 274.
3 Com 20 déc. 88, p. 238.
4
T.Com Nanterre 8 nov.2000, Revue Scapel, p.
70.
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