PREMIERE PARTIE:
L'ABSENCE DE FAUTE AVANT
L'EXECUTION DU TRANSPORT
MARITIME
Pendant cette phase préalable à
l'exécution du transport maritime, le transporteur devra veiller
à accomplir toutes les diligences nécessaires afin de
conditionner et d'adapter convenablement son navire (Chapitre 1). Ce n'est
qu'après avoir accompli son obligation de mettre le navire en bon
état de navigabilité que le transporteur pourra prétendre
à la passation des contrats de transport maritime de marchandises.
L'exécution de ces contrats implique la réalisation d'une
série d'opérations commerciales antérieures à la
phase de transport maritime proprement dite (Chapitre 2). De plus, le
transporteur devra se montrer très vigilant pendant cette phase
préalable à l'exécution du transport maritime (Chapitre
3).
CHAPITRE 1
L'OBLIGATION DE FAIRE TOUTE DILIGENCE
POUR CONDITIONNER ET ADAPTER CONVENABLEMENT LE NAVIRE
Le souci de conditionner et d'adapter son moyen de transport
pèse sur le transporteur en ce qui concerne le bon état de
navigabilité du navire et les vices cachés dont son
bâtiment est susceptible de receler
L'étude de ces deux éléments, qui
s'analysent comme des cas exceptes, sera ici regroupée car en effet, en
ce qui concerne le transport maritime de marchandises, ce sont les deux uniques
causes d'exonération, envisagées par la Convention de Bruxelles,
qui exigent du transporteur la démonstration d'avoir accompli toute
diligence raisonnable comme condition supplémentaire afin de pouvoir
éluder sa responsabilité. Notons par ailleurs que dans tous les
autres cas exceptés, la seule démonstration de l'existence et de
l'effet dommageable du cas excepté est suffisante.
Cette double exigence probatoire a sans doute pour origine une
interprétation extensive de la Harter Act de 1893 par les juges
du common law.
Le transporteur devra ainsi prouver avoir accompli toutes les
diligences nécessaires pour conditionner et adapter convenablement son
moyen de transport en vue de le traversée envisagée.
En définitive on assiste ici à un renforcement
de la charge de la preuve qui pèse sur le transporteur désirant
s'exonérer de sa responsabilité car il doit en outre prouver que
la survenance dudit cas ne lui était pas imputable.
<< Dans le contrat de transport, (la mise en bon
état de navigabilité du navire) n'est (pas) la fin du
contrat (comme en matière d'affrètement, c'est plutôt) le
moyen pour le transporteur d'assurer ce qui est la fin du
contrat : le déplacement de la cargaison, objet essentiel de ses
obligations >>1
Selon Rodière, il s'agirait là d'une obligation de
moyen dont l'exécution doit permettre celle de l'obligation du
résultat qui pèse sur le transporteur2.
Nous étudierons l'obligation du transporteur de mettre son
navire en bon état de navigabilité avant de nous pencher sur le
problème des vices cachés du navire.
· Section 1: L'Obligation de mettre le navire en
bon état de navigabilité
La navigabilité du navire comprend trois volets : la
navigabilité nautique, la navigabilité commerciale et la
navigabilité administrative.
En ce qu'il s'agit de la navigabilité commerciale, elle
concerne les aménagements intérieurs du navire destinés
à recevoir la marchandise et à assurer sa conservation ; cales,
citernes, appareils frigorifiques, thermomètres, système de
refroidissement, etc.
Le transporteur ne peut pas s'exonérer de sa
responsabilité au motif que le chargeur avait fait visiter et
agréer les cuves par une entreprise de surveillance3. La
responsabilité éventuelle du chargeur n'est en effet pas
exclusive de celle du transporteur.
D'ès qu'il remplit son obligation de
navigabilité commerciale, le transporteur doit, au moyen d'un <<
Notice of Readiness >>, aviser son co-contractant qu'il est prêt
pour procéder à l'embarquement des marchandises et que son navire
est << fit for duty >>
Concernant la navigabilité administrative, le navire
doit être en possession de tous les documents nécessaires à
une navigation normale eu égard à la navigation
considérée. Il convient cependant de préciser que la
<< Blue Card >> a désormais perdu son caractère
obligatoire car les exigences des différents ports ne sont pas
suffisamment uniformisées.
1 R.Rodière, Traité
Général de Droit Maritime, t II, p 131.
2 Voir Rodière R., Affrètement et Transports, t.
II, n° 497 bis.
3 CA Aix-en-Provence, 8 nov. 1988.
Quant à la navigabilité nautique, elle
s'apprécie en fonction de l'état de la coque du navire (notamment
: étanchéité et solidité..), des moyens de
propulsion et de l'approvisionnement des soutes.
La Convention de Bruxelles dispose que le transporteur est
tenu, avant et au début du voyage, d'exercer une diligence raisonnable
pour mettre le navire en bon état de navigabilité (i.e :
convenablement armer, équiper et approvisionner le navire, mettre en bon
état les cales, chambres froides et frigorifiques et toutes autres
parties du navire..)1.
Le Professeur Bonassies vient préciser que le navire
doit être en bon état de navigabilité nautique, coque et
structure en bon état, cales propres, machines et équipements
fonctionnant normalement, équipage compétent, soutes suffisantes
pour réaliser le voyage.
Il ajoute que la notion de navigabilité fait l'objet d'une
appréciation relative en fonction de l'age du navire2.
Rodière attirait déjà l'attention sur le
fait que << la navigabilité est moins une qualité objective
du navire que le produit des diligences du fréteur
>>3
Vu que la << due diligence>> s'apprécie
avant et au début du voyage, la question se pose à propos de la
navigabilité pendant le voyage afin de pouvoir déterminer si le
transporteur devra faire diligence, au cours de la traversée, pour
maintenir le navire en état de navigabilité.
La loi française précise que l'état de
navigabilité doit s'apprécier compte tenu du voyage à
effectuer et des marchandises à transporter4.
En ce qui concerne le transport maritime de passagers et
l'affrètement, il est expressément fait obligation au
transporteur de veiller au bon état de navigabilité de son
bâtiment tout au long du voyage.
Cependant en matière de transport maritime de
marchandises, il semblerait que le bon état de navigabilité ne
serait exigé qu'au début du voyage. Or cela s'avère
être nettement insuffisant eu égard à l'ampleur des
dommages à l `environnement qu'un naufrage serait susceptible
d'occasionner. A notre sens, le maintien du navire en bon état de
navigabilité pendant toute la traversée devrait s'analyser en une
obligation renforcée pesant sur la tête du transporteur.
1 Art.3, Convention de Bruxelles de 1924.
2 Cours de Droit Maritime général du
Professeur Bonassies, n* 668 et s.
3 << Le bon état de navigabilité du navire
affrété >>, DMF 1955, p. 391.
4 Art 21, loi du 18 juill. 1966.
L'innavigabilité du navire libère le transporteur
s'il établit qu'il a satisfait aux obligations de base1.
C'est à dire s'il a accompli toutes les diligences
nécessaires.
La jurisprudence a refusé d'exonérer le
transporteur qui s'est simplement adressé à une
société de classification ou à un chantier de
construction, même répute, pour mettre son navire en bon
état de navigabilité2.
Cette mesure se révèle insuffisante car il n'est
pas établi qu'elle a été prise en relation avec la cause
ou les circonstances du dommage. De plus le transporteur devra établir
que cet organisme spécialisé a bien accompli son obligation de
vérification. A cet égard, il convient de préciser que les
certificats de classification n'ont pas une valeur probante
absolue3. Ils ne constitueront qu'une présomption de fait
(juris tantum) en faveur du transporteur.
En effet même si le transporteur est libre de
déléguer la vérification de l'état de
navigabilité de son navire, il demeure cependant responsable de la
manière dont ses mandataires, ainsi que les préposés des
mandataires, ont exécuté leurs missions.
Nous savons que le transporteur doit établir le
caractère fortuit de l'innavigabilité en démontrant par
tous moyens sa due diligence, afin de pouvoir bénéficier de cette
cause d'exonération. Cependant il faut préciser comment cette
due diligence s'apprécie.
La jurisprudence s'est prononcée pour une
appréciation a priori de l'absence de faute et de la diligence
raisonnable du transporteur.
Dans cette optique les juges veilleront à
vérifier si le transporteur a raisonnablement mis en oeuvre toutes les
mesures de sécurité que l'on pouvait légitimement
s'attendre de lui pour mettre son navire en bon état de
navigabilité. Son manque de diligence ne saurait être
déduit de la seule survenance du sinistre. L'on aboutirait alors
à une appréciation a posteriori de son absence de faute.
Il faut, au contraire, si l'on veut retenir la faute du transporteur,
établir qu'il n'a pas pris d'autres mesures que l'on pouvait
légitimement s'attendre d'un armateur consciencieux et qui seraient
aptes à éviter la réalisation du disfonctionnement se
trouvant à l'origine du sinistre.
Le transporteur ne sera en situation d'absence de faute que si
l'innavigabilité des
son navire ne découlait pas d'une évidence,
fut-elle objective ou subjective.
Bien évidemment, le transporteur n'ayant pris aucune
mesure supplémentaire pour pallier à un problème
d'innavigabilité dont il avait connaissance ou qu'il ne pouvait
1 Art 4-1 conv. Bruxelles de 1924 & Art 27a 1oi du
18 juin 1966
2 CA Aix-en-Provence 27 oct. 1987, DMF1988, p. 126.
3CA Aix-en-Provence 15 fév. 78
ignorer, ne peut pas par la suite se retrancher derrière
le cas excepté d'innavigabilité pour se décharger de sa
responsabilité.
Les juges ont, à maintes reprises, retenu la
responsabilité du transporteur pour ne pas avoir procédé,
lors des escales, à des vérifications de son navire qui venait
tout juste d'être réparé avant le début de la
traversée. Cette jurisprudence se comprend aisément car le
transporteur sachant que des réparations venaient d'être
effectuées sur son navire, se montre négligent lorsqu'il omet de
veiller à ce que l'incident précédemment rencontré
ne surgisse pas à nouveau. Il est clair qu'il ne pouvait pas ignorer le
caractère problématique de cet élément du navire
qui a très récemment fait l'objet d'une réparation.
On pourrait voir, dans cette décision, un
élément de réponse à la question de savoir si le
transporteur est bien débiteur d'une obligation de maintenir son navire
en bon état de navigabilité tout au long de la
traversée
Ceci étant, il convient, d'ès à
présent, de se pencher sur le problème des vices cachés du
navire.
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