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L'absence de faute du transporteur maritime de marchandises

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par Didier PICON
Université Paul Cézanne - Aix-Marseilles III - Master Droit des Affaires  2004
  

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PREMIERE PARTIE:

L'ABSENCE DE FAUTE AVANT

L'EXECUTION DU TRANSPORT

MARITIME

Pendant cette phase préalable à l'exécution du transport maritime, le transporteur devra veiller à accomplir toutes les diligences nécessaires afin de conditionner et d'adapter convenablement son navire (Chapitre 1). Ce n'est qu'après avoir accompli son obligation de mettre le navire en bon état de navigabilité que le transporteur pourra prétendre à la passation des contrats de transport maritime de marchandises. L'exécution de ces contrats implique la réalisation d'une série d'opérations commerciales antérieures à la phase de transport maritime proprement dite (Chapitre 2). De plus, le transporteur devra se montrer très vigilant pendant cette phase préalable à l'exécution du transport maritime (Chapitre 3).

CHAPITRE 1

L'OBLIGATION DE FAIRE TOUTE DILIGENCE POUR
CONDITIONNER ET ADAPTER CONVENABLEMENT LE
NAVIRE

Le souci de conditionner et d'adapter son moyen de transport pèse sur le transporteur en ce qui concerne le bon état de navigabilité du navire et les vices cachés dont son bâtiment est susceptible de receler

L'étude de ces deux éléments, qui s'analysent comme des cas exceptes, sera ici regroupée car en effet, en ce qui concerne le transport maritime de marchandises, ce sont les deux uniques causes d'exonération, envisagées par la Convention de Bruxelles, qui exigent du transporteur la démonstration d'avoir accompli toute diligence raisonnable comme condition supplémentaire afin de pouvoir éluder sa responsabilité. Notons par ailleurs que dans tous les autres cas exceptés, la seule démonstration de l'existence et de l'effet dommageable du cas excepté est suffisante.

Cette double exigence probatoire a sans doute pour origine une interprétation extensive de la Harter Act de 1893 par les juges du common law.

Le transporteur devra ainsi prouver avoir accompli toutes les diligences nécessaires pour conditionner et adapter convenablement son moyen de transport en vue de le traversée envisagée.

En définitive on assiste ici à un renforcement de la charge de la preuve qui pèse sur le transporteur désirant s'exonérer de sa responsabilité car il doit en outre prouver que la survenance dudit cas ne lui était pas imputable.

<< Dans le contrat de transport, (la mise en bon état de navigabilité du navire) n'est (pas) la fin du contrat (comme en matière d'affrètement, c'est plutôt) le moyen pour le transporteur d'assurer ce qui est la fin du contrat : le déplacement de la cargaison, objet essentiel de ses obligations >>1

Selon Rodière, il s'agirait là d'une obligation de moyen dont l'exécution doit permettre celle de l'obligation du résultat qui pèse sur le transporteur2.

Nous étudierons l'obligation du transporteur de mettre son navire en bon état de navigabilité avant de nous pencher sur le problème des vices cachés du navire.


· Section 1: L'Obligation de mettre le navire en bon état de navigabilité

La navigabilité du navire comprend trois volets : la navigabilité nautique, la navigabilité commerciale et la navigabilité administrative.

En ce qu'il s'agit de la navigabilité commerciale, elle concerne les aménagements intérieurs du navire destinés à recevoir la marchandise et à assurer sa conservation ; cales, citernes, appareils frigorifiques, thermomètres, système de refroidissement, etc.

Le transporteur ne peut pas s'exonérer de sa responsabilité au motif que le chargeur avait fait visiter et agréer les cuves par une entreprise de surveillance3. La responsabilité éventuelle du chargeur n'est en effet pas exclusive de celle du transporteur.

D'ès qu'il remplit son obligation de navigabilité commerciale, le transporteur doit, au moyen d'un << Notice of Readiness >>, aviser son co-contractant qu'il est prêt pour procéder à l'embarquement des marchandises et que son navire est << fit for duty >>

Concernant la navigabilité administrative, le navire doit être en possession de tous les documents nécessaires à une navigation normale eu égard à la navigation considérée. Il convient cependant de préciser que la << Blue Card >> a désormais perdu son caractère obligatoire car les exigences des différents ports ne sont pas suffisamment uniformisées.

1 R.Rodière, Traité Général de Droit Maritime, t II, p 131.

2 Voir Rodière R., Affrètement et Transports, t. II, n° 497 bis.

3 CA Aix-en-Provence, 8 nov. 1988.

Quant à la navigabilité nautique, elle s'apprécie en fonction de l'état de la coque du navire (notamment : étanchéité et solidité..), des moyens de propulsion et de l'approvisionnement des soutes.

La Convention de Bruxelles dispose que le transporteur est tenu, avant et au début du voyage, d'exercer une diligence raisonnable pour mettre le navire en bon état de navigabilité (i.e : convenablement armer, équiper et approvisionner le navire, mettre en bon état les cales, chambres froides et frigorifiques et toutes autres parties du navire..)1.

Le Professeur Bonassies vient préciser que le navire doit être en bon état de navigabilité nautique, coque et structure en bon état, cales propres, machines et équipements fonctionnant normalement, équipage compétent, soutes suffisantes pour réaliser le voyage.

Il ajoute que la notion de navigabilité fait l'objet d'une appréciation relative en fonction de l'age du navire2.

Rodière attirait déjà l'attention sur le fait que << la navigabilité est moins une qualité objective du navire que le produit des diligences du fréteur >>3

Vu que la << due diligence>> s'apprécie avant et au début du voyage, la question se pose à propos de la navigabilité pendant le voyage afin de pouvoir déterminer si le transporteur devra faire diligence, au cours de la traversée, pour maintenir le navire en état de navigabilité.

La loi française précise que l'état de navigabilité doit s'apprécier compte tenu du voyage à effectuer et des marchandises à transporter4.

En ce qui concerne le transport maritime de passagers et l'affrètement, il est expressément fait obligation au transporteur de veiller au bon état de navigabilité de son bâtiment tout au long du voyage.

Cependant en matière de transport maritime de marchandises, il semblerait que le bon état de navigabilité ne serait exigé qu'au début du voyage. Or cela s'avère être nettement insuffisant eu égard à l'ampleur des dommages à l `environnement qu'un naufrage serait susceptible d'occasionner. A notre sens, le maintien du navire en bon état de navigabilité pendant toute la traversée devrait s'analyser en une obligation renforcée pesant sur la tête du transporteur.

1 Art.3, Convention de Bruxelles de 1924.

2 Cours de Droit Maritime général du Professeur Bonassies, n* 668 et s.

3 << Le bon état de navigabilité du navire affrété >>, DMF 1955, p. 391.

4 Art 21, loi du 18 juill. 1966.

L'innavigabilité du navire libère le transporteur s'il établit qu'il a satisfait aux obligations de base1. C'est à dire s'il a accompli toutes les diligences nécessaires.

La jurisprudence a refusé d'exonérer le transporteur qui s'est simplement adressé à une société de classification ou à un chantier de construction, même répute, pour mettre son navire en bon état de navigabilité2.

Cette mesure se révèle insuffisante car il n'est pas établi qu'elle a été prise en relation avec la cause ou les circonstances du dommage. De plus le transporteur devra établir que cet organisme spécialisé a bien accompli son obligation de vérification. A cet égard, il convient de préciser que les certificats de classification n'ont pas une valeur probante absolue3. Ils ne constitueront qu'une présomption de fait (juris tantum) en faveur du transporteur.

En effet même si le transporteur est libre de déléguer la vérification de l'état de navigabilité de son navire, il demeure cependant responsable de la manière dont ses mandataires, ainsi que les préposés des mandataires, ont exécuté leurs missions.

Nous savons que le transporteur doit établir le caractère fortuit de l'innavigabilité en démontrant par tous moyens sa due diligence, afin de pouvoir bénéficier de cette cause d'exonération. Cependant il faut préciser comment cette due diligence s'apprécie.

La jurisprudence s'est prononcée pour une appréciation a priori de l'absence de faute et de la diligence raisonnable du transporteur.

Dans cette optique les juges veilleront à vérifier si le transporteur a raisonnablement mis en oeuvre toutes les mesures de sécurité que l'on pouvait légitimement s'attendre de lui pour mettre son navire en bon état de navigabilité. Son manque de diligence ne saurait être déduit de la seule survenance du sinistre. L'on aboutirait alors à une appréciation a posteriori de son absence de faute. Il faut, au contraire, si l'on veut retenir la faute du transporteur, établir qu'il n'a pas pris d'autres mesures que l'on pouvait légitimement s'attendre d'un armateur consciencieux et qui seraient aptes à éviter la réalisation du disfonctionnement se trouvant à l'origine du sinistre.

Le transporteur ne sera en situation d'absence de faute que si l'innavigabilité des

son navire ne découlait pas d'une évidence, fut-elle objective ou subjective.

Bien évidemment, le transporteur n'ayant pris aucune mesure supplémentaire pour pallier à un problème d'innavigabilité dont il avait connaissance ou qu'il ne pouvait

1 Art 4-1 conv. Bruxelles de 1924 & Art 27a 1oi du 18 juin 1966

2 CA Aix-en-Provence 27 oct. 1987, DMF1988, p. 126. 3CA Aix-en-Provence 15 fév. 78

ignorer, ne peut pas par la suite se retrancher derrière le cas excepté d'innavigabilité pour se décharger de sa responsabilité.

Les juges ont, à maintes reprises, retenu la responsabilité du transporteur pour ne pas avoir procédé, lors des escales, à des vérifications de son navire qui venait tout juste d'être réparé avant le début de la traversée. Cette jurisprudence se comprend aisément car le transporteur sachant que des réparations venaient d'être effectuées sur son navire, se montre négligent lorsqu'il omet de veiller à ce que l'incident précédemment rencontré ne surgisse pas à nouveau. Il est clair qu'il ne pouvait pas ignorer le caractère problématique de cet élément du navire qui a très récemment fait l'objet d'une réparation.

On pourrait voir, dans cette décision, un élément de réponse à la question de savoir si le transporteur est bien débiteur d'une obligation de maintenir son navire en bon état de navigabilité tout au long de la traversée

Ceci étant, il convient, d'ès à présent, de se pencher sur le problème des vices cachés du navire.

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