L'apprentissage apparaît comme un processus complexe
qui implique de la part du sujet à la fois un travail au plan
psychocognitif, intra-subjectif et des interactions inter-individuelles
multiples.
Les travaux sur la théorie du conflit sociocognitif se
fondent à l'origine sur l'intuition de Piaget selon laquelle la
coopération joue un rôle dans le développement cognitif
individuel (Doise et Mugny, 1981). C'est par la suite que de nombreux travaux
expérimentaux ont validé cette intuition (Venegas, 1996) et ont
permis de développer un modèle de l'apprentissage qui
confère aux variables sociales une place considérable dans le
processus de développement cognitif.
Doise et Mugny (1981) pensent que le conflit sociocognitif
est une hétérogénéité de réponses
face à un même problème cognitif. De la confrontation de
ces réponses, subvient une réorganisation cognitive
individuelle.
Bertrand (1993) affirme que trois principes sont à la
base de cette théorie :
v' << la construction des connaissances est
nécessairement sociale et repose sur un ensemble d'interactions entre
les personnes ».
v' << le conflit sociocognitif est à la source de
l'apprentissage ».
v' << la recherche d'un dépassement du
déséquilibre cognitif interindividuel provoque un
dépassement du déséquilibre cognitif intraindividuel
» (pp. 119, 120).
C'est parce que le conflit est social que les personnes en
interaction sont amenées à coordonner leurs efforts pour
élaborer une nouvelle structure cognitive.
Doise et Mugny (1981) ont décrit comme suit les
situations d'interactions qui peuvent conduire à l'émergence et
à la résolution de conflits sociocognitifs : le conflit peut
provenir de différentes interactions. Il survient souvent lors des
rencontres entre individus qui ne disposent pas des mêmes systèmes
de réponses. Par exemple, des enfants de niveau cognitif
différent se retrouvent facilement en
désaccord sur des réponses spécifiques,
dans la mesure où celles-ci (actions, jugements...) découlent de
schématismes différents.
Les inférences de Doise et Mugny (1981) sur la
théorie du conflit sociocognitif trouvent un écho
intéressant dans les travaux antérieurs de Vygotsky (1978),
particulièrement dans son concept de zone proximale de
développement qui met en évidence le fait que la
collaboration entre deux individus de niveau cognitif différent provoque
chez celui dont le niveau est inférieur, la maîtrise de
schèmes cognitifs nouveaux ainsi que la reproduction ultérieure
de ces schèmes dans des situations où elle agit seule.
Ces résultats de recherche nous renseignent sur la
complexité des modalités d'émergence et de
résolution de conflits sociocognitifs subséquents à la
nature de la situation d'interaction sociale.
L'étude de l'émergence et de la
résolution de conflits sociocognitifs dans le cadre d'activités
d'enseignement s'est surtout développée avec des enfants en
âge préscolaire et scolaire (Doise et Mugny, 1981, 1997).
Les travaux sur la même théorie de conflit
sociocognitif dans des structures de formation d'adultes pour une
professionnalisation restent encore relativement limités même si
Bourgeois et Nizet (1997) affirment qu'elle reste un bon moyen pour
décrire les mécanismes et les conditions de l'apprentissage des
adultes en situation d'interaction sociale.
Buchs, Lehraus, Butera (2006) ont essayé de faire le
point sur un ensemble de recherches mettant en évidence les liens entre
les interactions qui s'installent dans les petits groupes et l'apprentissage.
Ils ont montré que, de ces travaux, il ressort que les échanges
d'informations et de ressources favoriseraient le traitement cognitif.
D'abord, parce que résumer des informations oralement
serait un moyen efficace d'organiser, d'élaborer les informations et de
les retenir.
Ensuite, parce que le seul fait d'enseigner ses connaissances
améliore la compréhension de ces informations. Autrement dit, le
discours se construirait dans l'interaction.
Ainsi, l'étudiant qui explique une situation à
son camarade favorise la construction d'une signification commune de la
situation (co-construction) et provoque un enrichissement mutuel.
En outre, dans une perspective socioconstructiviste, les
discussions et les conflits stimuleraient la curiosité et la motivation
pour apprendre et favoriseraient le travail.
Cette recherche intéressante semble la plus
contigüe à ce travail, mais ne fait pas ressortir les
hypothèses que l'on a inscrites dans une situation « adidactique
» de formation professionnalisante de cadres comme les inspecteurs de
l'éducation.
Le défi reste majeur mais intéressant car il est
difficile de mettre en place les mêmes schémas
expérimentaux classiques comme pour les études avec des
enfants.
La formation d'adulte diffère de celle de l'enfant car
avec l'adulte, il s'agit de faire face à des situations complexes
d'enseignement et d'apprentissage avec l'entrée en matière des
facteurs comme l'identité professionnelle, le sentiment de
compétence, la motivation personnelle ou les relations sociales entre
eux.
Pourtant généralement, les dispositifs
d'apprentissage établis dans les écoles de formation d'adultes et
les méthodes pédagogiques mises en oeuvre suscitent des
discussions, des débats entre les stagiaires. Qu'il s'agisse
d'exposés, d'apprentissage collaboratif, des séances d'animation
pédagogique, d'études pratiques, les stagiaires sont mis en
situation d'interaction sociale. Dans des situations pareilles, les stagiaires
entrent en « conflit sociocognitif » parce que leurs conceptions et
structures cognitives sont confrontées à des informations
perturbantes, incompatibles avec leur système de connaissances
préalables.
Cette déstabilisation ou perturbation cognitive engage le
stagiaire dans la recherche d'un nouvel équilibre qui tient compte des
informations perturbantes.
Par ailleurs, la particularité et
l'intérêt de ce travail de recherche réside dans le fait
qu'il envisage de mettre en évidence l'importance des interactions
sociales dans la professionnalisation des élèves inspecteurs
lorsqu'ils vivent de manière spontanée des situations de
controverses et de débats hors des cadres institutionnels de
formation.