L'institutionnalisation du pouvoir et l'émergence de l'état en République Démocratique du Congo : 1960-2006( Télécharger le fichier original )par Corneille YAMBU -A- NGOYI Université de Kinshasa - DES 2005 |
III. L'absence de légitimité.Sur le plan de l'aménagement pratique de la collective, le pouvoir individualisé présente de défauts que M. Hauriou explique : « avec la conception du pouvoir individualisé aucune solution n'est apportée à la question de la légitimité. On sait qui commande, mais on ignore qui a le droit de commander. Ou plutôt ce droit n'apparaît que lorsqu'il a été conquis de haute lutte par celui qui prétend s'en arroger l'exercice. Mais la manière dont ce droit s'affirme prouve l'insuffisance de son fondement. Si le chef doit d'abord imposer son titre les armes à la main, si un échec l'élimine définitivement, si la victoire le consacre, c'est donc que le droit de commander réside en sa personne, associé à sa chance ou à sa force. Or, demain la chance peut sourire à d'autres, une force plus grande peut triompher et le droit de commander, comme un butin suivra le vainqueur64(*). Et Burdeau de montrer que « cette situation est fâcheuse à la fois pour les gouvernants dont l'autorité dépend sans cesse de l'issue d'une rivalité avec les pouvoirs rivaux65(*) et pour la masse de gouvernés parfois incertaine du pouvoir véritable, toujours victime de luttes dont le titre au commandement est enjeu. Que si le prestige du chef est suffisant pour fonder sans contestation, sa vie durant son autorité, la question de la légitimité se posera après lui et toute la vie nationale sera suspendue au résultat du conflit qu'elle ne manquera pas de provoquer66(*). N'est-ce pas là la triste réalité de l'Afrique dont nous parlons. Jean Bodin67(*) estime que l'incertitude des successions dans l'exercice de la fonction politique est, au point de vue pratique, le vice essentiel du pouvoir individualisé. Parlant des mobiles qui déterminent l'acceptation du pouvoir, Burdeau explique que « les gouvernés voient en lui l'agent de réalisation de l'idée de droit qu'ils considèrent comme devant procurer la réalisation du bien commun. Ses prétentions sont fondées dans la mesure où elles sont commandées par le but social. Le pouvoir est ainsi dans sa raison d'être solidaire de l'idée de droit »68(*); Admettre qu'il réside, en toute plénitude, dans la volonté des gouvernants, laisse subsister la question de la conformité de cette volonté avec les services qu'implique l'idée de droit. Dans le « monde féodal », J. Calmette traduit mieux cette préoccupation par une interrogation. Comment pourra-t-on empêcher que les attributs de l'autorité, la sanction, la puissance soient détournés de leur fins pour être utilisés selon la convenance du chef ? Si le pouvoir est pour lui une prérogative personnelle, rien ne s'oppose à ce qu'il en fasse usage qu'il lui plait : maître du pouvoir, on ne saurait sans contradiction lui contester la possibilité d'en disposer à sa guise.
* 64 Hauriou, Précis de droit constitutionnel, 2è éd., 1929, p. 17. cité par Burdeau, (G.), op.cit, p. 177. * 65 Idem. * 66 Ibidem. * 67 Cité par Burdeau, (G.), op.cit, p. 178. * 68 Burdeau, G., op.cit, p. 179. |
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