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L'institutionnalisation du pouvoir et l'émergence de l'état en République Démocratique du Congo : 1960-2006

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par Corneille YAMBU -A- NGOYI
Université de Kinshasa - DES 2005
  

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3. Incidence de la crise politique sur la puissance publique.

Comme pour les deux éléments constitutifs de l'Etat étudiés précédemment, la puissance publique appelée « gouvernement », Pouvoir politique ou « organisation politique» selon les auteurs, n'offre d'intérêt que comme facteur de vérification de la perturbation du processus de formation de l'Etat au Congo par l'incapacité d'institutionnaliser le Pouvoir politique. L'appréciation de l'existence de l'Etat au Congo, nous conduit à l'examen de la question sous tous ses régimes constitutionnels et mus par le souci de reconnaître l'impact des constitutions congolaises sur la genèse de l'Etat. Cet impact aussi négatif ou positif soit-il, se mesure mieux par les éléments qui prévalent à la formation d'un Etat moderne. Ceci justifie l'impérieuse nécessité d'analyser le pouvoir sous les crises constitutionnelles, et ici sous la crise de 1964 sous la constitution du 1er août 1964. Dans la partie consacrée aux considérations théoriques nous avons largement défini le Pouvoir et précisé son rôle dans la création de l'Etat. Un bref rappel s'impose pour un lien avec La République Démocratique du Congo. Dans le dictionnaire de la science politique et les institutions politiques, adaptant la définition de Max Weber, Guy Hermet dit que l'Etat doit se concevoir, comme « une entreprise politique de caractère institutionnel dont la direction administrative revendique avec succès dans l'application des règlements, le monopole de la contrainte physique »347(*).

Cette définition met en exergue l'une de caractéristique de la puissance étatique, le monopole de la contrainte physique envisagé dans sa qualité et par degré, cette contrainte doit être supérieure et sans partage. Cet élément est tellement important dans la formation de l'Etat, qu'il se retrouve dans sa définition comme nous l'avons déjà démontré sous toutes les disciplines intéressées à son étude.

Dans le dictionnaire du Droit constitutionnel nous avons appris que l'Etat est un Pouvoir qui s'est institutionnalisé, en d'autres termes qui a pris corps dans une organisation348(*). De même, en définissant l'Etat sur le plan juridique comme une personne souveraine, il est sous-entendu l'existence d'un pouvoir. Il n'y a pas de souveraineté sans la puissance.

A ce sujet Carré de Malberg dit que par dessus tout, ce qui fait un Etat, c'est l'établissement au sein de la nation d'une puissance publique s'exerçant supérieurement sur tous les individus qui font partie du groupe national ou qui résident seulement sur le sol national. L'examen des Etats sous cet angle, poursuit-il, révèle que cette puissance publique tire son exigence précisément d'une certaine organisation par laquelle se trouve définitivement réalisée l'unité nationale, et dont aussi le but essentiel est de créer dans la nation une volonté capable de prendre pour le compte de celle-ci toutes les décisions que nécessite : enfin, organisation d'où résulte un pouvoir coercitif permettant à la volonté ainsi constituée de s'imposer aux individus avec une force irrésistible349(*). Ici, il faut signaler un débat entre la doctrine généralement admise qui voit dans la puissance publique le troisième élément constitutif de l'Etat350(*) et certains auteurs comme Scidler ayant prétendu que le véritable de l'Etat en ce qui concerne sa puissance ce n'est ni cette puissance ni l'organisation dont elle découle, mais les organes qui la possèdent et qui l'exercent en fait351(*). Bien que cette thèse ne semble point l'emporter du fait que les organes peuvent changer ou tomber sans que la puissance publique tombe, ce débat n'est pas au coeur de notre préoccupation. Nous savons que les organes détenteurs du pouvoir déterminent la forme qu'il revêt. Ce qui doit nous intéresser c'est la confrontation de la puissance publique dans son rôle favorable à la création de l'Etat, à la réalité congolaise des années 1964-1965. Autrement dit, nous voulons bien savoir si la collectivité humaine fixée sur le territoire de ce que la constitution du 1er août 1964 a dénommé « République Démocratique du Congo, disposait d'une organisation ayant la caractéristique de la puissance publique, s'exerçant « supérieurement » sur tous les individus qui font partie du groupe nationale ou qui résident seulement sur le sol national.

Même en épousant la thèse de Scidler, il y aurait intérêt à vérifier que les organes détenteurs de la puissance publique soient effectivement en même d'exercer sur tous les groupes, sur tous les sujets et sur l'ensemble du territoire national le droit de domination dont constitutionnellement ils seraient investis. En ce qui concerne La République Démocratique du Congo, il n'y a pas de fausse pudeur à le dire, ni le pouvoir sous Kasa-Vubu et Adoula ni celui sous Kasa-Vubu et Tshombe, n'ont satisfait à ce critérium.

Autrement dit, nous constaterions que ce pays ne disposait pas d'un pouvoir sociologiquement institutionnalisé c'est-à-dire, différent des personnes physiques se le disputant.

Nous dirons que depuis le mois d'avril 1964, période du déclenchement des opérations militaires par l'Armée Populaire de libération (APL), au front Est, la République Démocratique du Congo ne disposait plus d'un pouvoir susceptible d'être un élément constitutif de l'Etat au sens du Droit public. La raison est simple, le Pouvoir de Léopoldville n'était plus à mesure de réaliser le phénomène créateur de la société politique, à savoir la « sujétion - obéissance » sur l'ensemble du pays ni de défendre les frontières par sa seule armée, ni de réduire le Pouvoir concurrent de Stanleyville qui se prévalait avec succès des prérogatives d'Etat sur les portions de territoires « conquises » ou « libérées »352(*).

En effet, comme on peut le noter avec Ndaywel que lorsque l'APL occupa Stanleyville actuelle Kisangani, le 5 août 1964 « la République Populaire du Congo » y fut proclamée le 5 septembre. Jusque là c'est le Président, le gouvernement provisoire du Conseil National de Libération (CNL) - section Est chargé de la Défense nationale, G. Soumialot en devint le Président, L.D. Kabila, Vice-Président, d'abord chargé des Affaires intérieures peu après, des Relations et Commerce extérieurs, N. Olenga fut désigné Chef militaire. Il s'octroya le grade de « Général-major » puis de « Lieutenant-Général »353(*). Le gouvernement provisoire fut dissous pour être remplacé par celui de la nouvelle République354(*) présidé par Gbenye et au sein duquel L.D. Kabila fut retenu comme secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères et ministre plénipotentiaire au près de la Tanzanie, l'Ouganda et le Kenya. Chaque province fut dotée d'un gouvernement provincial mis en place par le nouveau pouvoir. Il en fut ainsi à Uvira, à Albertville actuelle « Kalemie » et à Kindu. Alors que la constitution du 1er août 1964 instituait la République Démocratique du Congo avec 21 provinces, par Décret-loi du 5 septembre 1964, Gbenye créa « la République Populaire du Congo » avec 6 provinces dans les limites ayant existé au 30 juin 1960 ; Gbenye, président et chef de gouvernement, décida de la mise en place d'un gouvernement comprenant 17 Ministres404. Sur 17 Ministres le chef du gouvernement nomma seulement quatre Ministres parmi lesquels certains devraient assumer l'intérim des absents et ceux des provinces qui restaient à conquérir. Ainsi Soumialot fut nommé, Ministre de la Défense nationale, Assoumani Senghie, Ministre de l'intérieur, S. Kama, Ministre des Finances.

Par rapport à notre préoccupation essentielle relative à l'impact de l'institutionnalisation du Pouvoir sur la formation de l'Etat congolais et à l'incidence de la constitution ou du droit sur le processus d'institutionnalisation, force nous est de formuler deux réflexions en guise de constat :

1°- La première est que la constitution du 1er août 1964 et l'existence du gouvernement de Léopoldville n'ont eu le moindre effet sur le comportement politique des « révolutionnaires » ou « rebelles ». De ce fait il a existé plusieurs centres de pouvoirs, tous illégitimes parce que se contestant mutuellement. A Léopoldville se trouvait un gouvernement légal mais illégitime et à Stanleyville régnait un gouvernement de fait, illégal et illégitime mais dont la présence empêchait celui de Kinshasa d'accomplir les compétences d'Etat sur l'ensemble du territoire national.

2°- La seconde tient à la perception moins responsable du pouvoir par les acteurs politiques congolais de l'époque, lesquels soi-disant combattant la dictature, le néocolonialisme et l'impérialisme ne se comportaient pas moins en despotes assoiffés du pouvoir personnel. Cela est vérifiable ne serait-ce que dans l'auto- attribution des charges ministérielles. Ainsi à Léopoldville au sein du gouvernement Tshombe355(*).

Celui-ci, assuma seul, le portefeuille de Premier Ministre, Ministre des Affaires étrangères, du Plan, du Commerce extérieur et de l'information. De son côté, Gbenye remplaça lui seul les titulaires des Finances, des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, de l'éducation nationale, de la santé publique, du plan et coordination. L'auto octroi des charges aussi lourdes en cumulant seul les fonctions de plus de 4 Ministres au sein d'une communauté aussi peuplée et diversifiée que le Congo ne peut s'expliquer que par la perception patrimoniale du pouvoir en dépit des textes constitutionnels ou le goût effréné du lucre frisant le vol, ou même par les deux.

Pour résumer notre propos en ce qui concerne la puissance publique comme élément constitutif de l'Etat au Congo sous l'empire de la constitution du 1er août 1964, nous disons encore que une telle puissance n'a pas existé, et sur le plan strict de la science politique et même de la science juridique l'Etat n'a pas existé.

Pour le démontrer l'on peut prendre appui de ces assertions admises en Droit public et en science politique, de Georges Burdeau : « Le pouvoir doit détenir la puissance pour former l'Etat »356(*). Avec le même acteur nous avons observé que la rivalité des forces en présence crée dans le milieu social une oscillation perpétuelle entre des pouvoirs distincts, selon que leur puissance s'accroît ou diminue. Ce morcellement de la puissance constitue un des obstacles le plus sérieux à la formation de l'Etat357(*). N'est-ce pas là la situation réelle du Congo de 1960 à 1968 puis de 1997 à ce jour tel que nous le verrons. Nous épousons à ce point, la formule tant critiquée de Treitschke cité par Burdeau, « Der stoat Macht » qui signifie simplement que « dans le milieu qu'il régit, l'Etat est la puissance suprême »358(*). Les publicistes avisés traduisent mieux cela en admettant que l'Etat n'est pas que force, certes, qu'il peut même se passer d'elle, mais qu'il faut qu'au cas où une épreuve de force surviendrait, il puisse avoir le dernier mot. En d'autres termes, et selon la manière dont l'Etat est conçu, le Pouvoir institutionnalisé est nécessairement celui qui dispose de la puissance la plus grande dans le groupe359(*). Faute de puissance et d'autorité, il n'est pas étonnant que La République Démocratique du Congo ait manqué de remplir les fonctions d'Etat en dépit de la constitution de Luluabourg.

* 347 Hermet (G.), Badie (B.), op.cit, p. 107.

* 348 Villiers (de) (M.), op.cit, p. 104.

* 349 Carré de Malberg (R.), op.cit, p. 40.

* 350 V. Notamment Esmein, Eléments de Droit constitutionnel, 5e éd., p. 1, cité par Carré de Malberg, op.cit, p. 40.

* 351 Scidler, Des juristiche kriterium des staotes, p. 65 cité par Carré de Malberg, op.cit, p. 40.

* 352 Comme en 1997, la terminologie varie selon le camp légaliste ou rebelle.

* 353 Congo 1965 : 374.

* 354 Ndaywel, op.cit, p. 621.

* 355 Du 9 juillet 1964 au 18 octobre 1965 par ordonnance n° 217 du 9 juillet 1964 portant composition du gouvernement de transition, lire, Lumanu B.S. op.cit, p. 315.

* 356 Burdeau (G.), op.cit, p. 100.

* 357 Idem.

* 358 Ibidem.

* 359 Ibidem.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams