L'institutionnalisation du pouvoir et l'émergence de l'état en République Démocratique du Congo : 1960-2006( Télécharger le fichier original )par Corneille YAMBU -A- NGOYI Université de Kinshasa - DES 2005 |
B. Incidence de la crise congolaise sur l'institutionnalisation du pouvoir et sur la formation de l'Etat.Dans les pages précédentes nous avons bien montré l'impact de la crise congolaise sur l'institutionnalisation du pouvoir politique au Congo. Il a été suffisamment démontré que sous la loi fondamentale du 19 mai 1960 relative aux structures du Congo, le Pouvoir politique théoriquement « institué » n'a pu s'institutionnalisé. Quelles sont les conséquences à tirer d'une telle affirmation au sens de la logique juridique dans la poursuite de nos analyses sur la qualité du pouvoir et l'existence de l'Etat au Congo-Kinshasa ? Après avoir compris que l'Etat est une forme de pouvoir politique et une forme de pouvoir institutionnalisé, démontrer l'absence d'un pouvoir institutionnalisé, équivaut à avoir démontré l'absence de l'Etat pour autant que l'on reste dans la logique du cadre théorique précédent. De même c'est admettre que chaque fois qu'il y a effondrement du pouvoir285(*), il conviendrait de parler de l'effondrement de l'Etat, quitte à opérer une renaissance ou une réfondation qui passe nécessairement par le rétablissement d'un pouvoir politique non seulement légal et légitime, mais suffisamment puissant pour être suprême sur l'ensemble du territoire. Nous l'avons dit précédemment que la loi fondamentale n'a pas eu suffisamment d'emprise sur la conscience collective congolaise ni sur les acteurs politiques, pour s'imposer en norme arbitrale suprême gage d'un processus normale d'institutionnalisation du pouvoir. Cela étant, il nous reste à démontrer que l'exercice d'un pouvoir politique ou des pouvoirs politiques anarchiques a compromis pour longtemps la naissance d'un Etat congolais viable. Nous dirions que la loi fondamentale du 19 mai 1960 ou comme on le voudra, l'indépendance, ont accouché soit d'un Etat - avorton, soit d'un Etat prématuré, vite disparu. Pour le démontrer, il est utile de rappeler : qu'il n'y a pas d'Etat sans pouvoir ayant le monopole de la violence physique ; sans territoire sur lequel s'exerce globalement la puissance publique et sans population constituée des peuples libres soumis à une autorité légale et légitime ; qu'il n'y a pas d'Etat sans personnalité juridique unique et, sans souveraineté. Or la crise congolaise de juillet 1960 a affecté La République Démocratique du Congo dans tous ces éléments. La clarté de l'exposé impose une analyse de l'incidence de la crise congolaise sur les éléments constitutifs de l'Etat et de sa définition avant l'examen de son incidence sur les fonctions de l'Etat. 1. Incidence de la crise congolaise de 1960 sur les conditions d'existence de l'Etat.
De toutes les trois conditions l'existence de l'Etat, l'organisation politique ou le pouvoir politique que nous avons appelée la puissance publique est la plus déterminante car c'est par elle que s'opère le phénomène de commandement - obéissance caractéristique de l'Etat même au stade embryonnaire. Dans les lignes précédentes, nous avons observé avec Ziegler que quand le consensus social fait défaut, il n'y a ni autorité ni, à plus forte raison, légitimité ; comme l'autorité et la légitimité forment deux éléments constitutifs de la définition du pouvoir, il y avait donc « vacuum » du pouvoir au Congo286(*). Même C. Young tout en s'insurgeant contre les thèses selon lesquelles la période entre 1960 et 1964 ne connut qu'une véritable anarchie, reconnaît cependant que du 1er juillet au 29 septembre 1960, le pays ne fut pas réellement gouverné. Si comme nous pouvons le redire avec l'Association française de science politique, cité par J. Ziegler, le pouvoir politique est « l'exercice de l'autorité légitime de quelques uns sur tous », il est aisé de constater que deux semaines seulement après l'indépendance du Congo, rien de telle ne pouvait correspondre à une telle définition. Aucun noyau du pouvoir institué ou de fait ne s'identifiait à l'Etat pour commander et se faire obéir par tous. La mutinerie de la force publique ainsi que les sessions ne furent que les soubresauts annonçant la mort précoce d'un Etat « prématuré »287(*). Au cas où nous pouvons nous consoler d'un Etat né viable mais n'ayant vécu que l'espace d'une rose. Deux semaines de vie pour un Etat ! L'absence du pouvoir politique, c'est-à-dire du pouvoir étatique au Congo, sous la loi fondamentale est d'autant plus facile à établir qu'aucun pouvoir disposant du monopole de la contrainte physique élément fondamentale dans la définition de l'Etat - n'y existait plus. Kasa-Vubu, Tshombe, Gisenga et Albert Kalonji, étaient à la tête des gouvernements disposant chacun des armées et des administrations indépendantes les unes à l'égard des autres ou constamment en conflit violent. Un tel phénomène sur un même territoire ne s'accommode pas avec la cohésion nationale susceptible de déclencher le sentiment d'appartenance à un Etat au sein d'une population.
La population congolaise de 1960 est marquée par ce que nous pouvons appeler de l'«ethnie identification ». Nous voulons parler de cette satisfaction quasi irrésistible de s'identifier mutuellement par les ethnies et les tribus même au sein d'une même province ». Le lien tribal ou ethnique semblait chaque fois l'emporter sur le sentiment national c'est-à-dire d'appartenir à un Congo constituant un tout avec ses centaines de tribus dans les confins des frontières héritées de la colonisation. Donc distordues, entre quatre pouvoirs majeurs, exerçant les prérogatives gouvernementales sur des portions de territoires aussi difficiles à franchir par les uns et les autres autant qu'il en fut pour le passage de Berlin est à Berlin Ouest, les populations congolaises vivaient comme dans plusieurs Etats souverains, sans homogénéité ni le vouloir vivre ensemble poussé ; cependant, elles vivaient sur un même territoire.
Nous ne voulons pas dire que La République Démocratique du Congo sous la loi fondamentale ait manqué de territoire, mais nous retiendrons que l'examen des lieux entre l'Etat -pouvoir et son territoire ne correspondait plus à ce que cette relation devrait être. Et aussi, faut-il noter que le territoire hérité de la colonisation fut marqué sérieusement par la crise congolaise. Avec Ndaywel, nous avons vu que les partis politiques qui auraient pu véhiculer une idéologie, à même de rassembler les membres de la collectivité autour d'un idéal ou un projet national, regroupant indistinctement les personne de différentes tribus et ethnies, se sont plutôt posé en larges associations tribalo - ethniques, dressées les unes contre les autres. Le territoire est considéré comme « la circonscription à l'intérieur de laquelle s'exerce la puissance de l'Etat, la limite matérielle à l'action des gouvernants »288(*). De là, nous pouvons affirmer que si à un point de son territoire l'Etat n'arrive plus à imposer sa puissance, c'est que à ce point et au regard de ses occupants, l'Etat cesse d'être un Etat. Ne dit-on pas « qui tient le sol tient l'habitant » pour montrer que le territoire joue un très grand rôle dans la création de l'Etat289(*). * 285 Nous ne parlons pas du coup d'Etat rapidement opéré et réussi, mais du vacuum de l'autorité. * 286 Ziegler, (J.), op.cit, p.p. 215-216. * 287 Nous faisons allusion aux bébés nés prématurés entretenus et soignés dans les couveuses. * 288 Ziegler, (J.), op.cit, p.p. 215-216. * 289 Lire utilement Mpongo, B. (E.), op.cit, p. 44; Burdeau (G.), op.cit, p. 84. |
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