2) La crise
constitutionnelle.
L'impasse constitutionnelle
provoquée par la révocation de Lumumba, au dire de nombreux
auteurs, n'était qu'un aspect du problème constitutionnel du
Congo. Depuis la Table ronde de Bruxelles en 1959, le Congo s'est trouvé
toujours en quête d'une constitution capable de réconcilier d'une
part les pouvoirs au sommet et d'autre part les pouvoirs entre le sommet et la
base; ainsi entre unitaristes, fédéralistes et
confédéralistes la bataille a toujours fait rage, de même
entre les tenants d'un régime parlementaire et d'un régime
présidentiel.
Il est fait grief à la loi fondamentale d'avoir
été une copie de la constitution belge basée ni sur les
traditions politiques établies ni sur celles des anciens
colonisateurs280(*).
Comme le dit Young, le défaut capital de la loi fondamentale fut de
n'avoir prévu aucun moyen de sortir des équivoques
constitutionnelles éventuelles. Le même auteur explique le premier
coup d'Etat de Mobutu par la nécessité d'une intervention d'un
élément extérieur du cadre constitutionnel pour trouver
une issue à la paralysie du système constitutionnel281(*). cette analyse est d'autant
exacte que les institutions politiques régies par la loi fondamentale se
trouvèrent incapables de fonctionner normalement.
3.Aspect institutionnel de la crise.
J. Buchmann observe que les
institutions politiques constituent le moyen central du système
politique. Il explique qu'elles peuvent avoir un triple objet :
- Le mode de désignation des gouvernants (le
régime électoral) ;
- Les techniques de limitation de gouvernants (le
régime constitutionnel) ;
- Les rapports entre les « pouvoirs » ou
« le régime gouvernemental » qualifié de
régime politique stricto sensu.
Dans ce dernier cas, dit-il, « le régime
politique se réduit à l'un des éléments structurels
du système : l'élément
« institutionnel »282(*). Sous cet aspect, le lien avec notre sujet est
l'intérêt que présente la relation entre la constitution au
sommet d'un pouvoir exécutif effectif, impulsant sur l'ensemble des
organes du pouvoir et, l'émergence ainsi que la formation et la
stabilité de l'Etat. Entre 1960 et 1965, la crise institutionnelle fut
remarquable, en 1960 sous la loi fondamentale comme en 1964 sous la
constitution de Luluabourg par la difficulté de fonctionnement d'un
exécutif bicéphale.
En 1960, deux mois seulement après l'entrée en
vigueur de la loi fondamentale comme nous l'avons vu, l'antagonisme entre les
deux têtes de l'exécutif a abouti à la crise dont nous
avons parlé.
De même, en 1964, la même situation se
présenta : le Chef de l'Etat révoque le Premier Ministre
Tshombe, mais ne put le remplacer par un autre Chef de gouvernement jouissant
de la confiance du gouvernement, et comme la dit Mpinga Kasenda, tout se
termina comme en 1960 par l'intervention de Mobutu283(*), cette fois, le colonel
devenu général ne restitue plus le Pouvoir ni à l'un ni
à l'autre. Nul ne put penser qu'il n'en sortirait que par la force tel
que nous le verrons, après Trente - deux ans de règne sans
partage.
Sur le plan institutionnel, Mpinga Kasenda fait une
observation pertinente, lorsqu'il affirme que « de 1960 à
1965, le Congo n'a connu que des pouvoirs exécutifs faibles et conteste
les relations entre ces gouvernements privés de la plupart de leur
moyens d'action et les autres branches du pouvoir de l'Etat profondément
modifiés »3(*)34.
Nous pourrons anticiper pour constater que depuis 1990, la
même situation s'est répétée jusqu'à la date
où nous rédigions ces lignes.
Quant au Pouvoir législatif, le constat de C. Young
est des plus significatifs : la faiblesse du Parlement congolais sous la
loi fondamentale et les difficultés de son fonctionnement. Il explique
cette faiblesse par trois causes essentielles :
- L'absence d'une majorité confortable en faveur d'un
parti susceptible d'imprimer son action et ses orientations politiques aux
autres. Cela est du à la composition hétéroclite du
parlement ;
- Le manque de préparation des hommes politiques
à la vie parlementaire. La plupart des parlementaires, exceptés
ceux qui furent membres des conseils communaux, n'avaient jamais eu à
connaître des problèmes de portée nationale ;
- Le caractère corporatif du Parlement congolais.
C. Young, note avec une justesse, vérifiable
également à ce jour, qu'un trait constant de ce parlement fut le
sens de la solidarité que les députés manifestaient
lorsqu'il s'agissait de leur mandat ». L'auteur cite des traits
relatifs à la recherche des intérêts pécuniaires et
des avantages personnels et de solidarité dans le mal, qui rappelle
curieusement les incidents qui ont émaillé le parcours des autres
Parlements du Congo, tel que le Parlement sous la constitution de la transition
du 9 avril 2003, avec ce qu'on a appelé « Affaire
Kamitatu-Bemba ». Il montre que le Parlement sous la loi fondamentale
s'était tellement discrédité que le prestige de
l'institution en fut au plus bas et que le terme député fut
synonyme de politicien corrompu ; « le titre de
député était devenu l'objet de la dérision
publique, et que c'était le terme qu'on utilisait maintenant pour
désigner un voyou et un vaurien284(*).
* 280 C. Young,
op.cit, p. 306.
* 281 C. Young,
op.cit, p. 174.
* 282 Buchmann, (J.),
l'Afrique noire indépendante, Paris, L.G.D.J., 1964, p. 7.
* 283 Mpinga, K.,
op.cit, p. 34.
* 3
* 284 Rapporté dans
Présence congolaise, le 3 novembre 1962, cité par C. Young,
op.cit, p. 203.
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