L'institutionnalisation du pouvoir et l'émergence de l'état en République Démocratique du Congo : 1960-2006( Télécharger le fichier original )par Corneille YAMBU -A- NGOYI Université de Kinshasa - DES 2005 |
A. L'Etat, produit de la différenciation.Certains auteurs, comme le fait remarquer E. Mpongo, voient dans l'Etat le produit de la différenciation des gouvernants et des gouvernés, les premiers « possédant la puissance politique, c'est-à-dire une puissance de contrainte ». B. L'Etat, produit d'un ordre juridique.D'autres auteurs par contre, estiment que l'Etat est lié à l'apparition d'un ordre juridique mis en place par la constitution et succèdent au désordre de fait antérieur, d'autres encore font de l'Etat la plus éminente des constitutions sociales210(*). Est-il possible de se retrouver dans cette mosaïque de sens, de définitions et des conceptions de l'Etat pour repérer des critères moins contestables susceptibles de nous confronter dans notre thèse que l'Etat n'est pas comme le droit dont il est juste de dire « Ibi societas ibi jus », c'est-à-dire là ou est la société là est le droit ; que l'Etat n'est pas partout où il y a des hommes, mais qu'il est une construction. Nous le croyons en nous fondant sur l'élément « institution » et sur les formulations pertinentes des professeurs Edouard Mpongo, Maurice Hauriou et Carré de Malberg. Faisant l'appréciation critique des conceptions pluralistes de l'Etat, Edouard Mpongo, estime que pour lui, l'essentiel dans ces théories réside moins dans ce qui le sépare, et qui est souvent important que dans ce qui le réunit et qui tient leur inspiration. Il retient comme leurs dénominateurs, le postulat de l'existence d'un fait de solidarité sociale, perçu par Léon Duguit211(*), « la communauté d'intérêt », observée par Maurice Hauriou212(*) et l'union de tous les membres de la société étatique telle qu'analysée par R. Carré de Malberg213(*). Aussi, partageons - nous le discours de Maurice Hauriou, dans « principes du droit public », d'après qui, « il n'y a d'Etat au sens précis et exact du terme qu'au moment où, dans une population de civilisation déjà avancée, le pouvoir politique, s'étant dégagé de tout élément étranger, notamment patrimonial, prend l'aspect d'une autorité souveraine s'exerçant sur des hommes libres. Celle-ci cesse d'être assimilable à une propriété privée ; le pouvoir du prince, à un bien de famille. On doit donc réserver l'appréciation d'Etat à la forme définie, et de la raison humaines appliquant leurs efforts et leurs réflexions aux problèmes de l'organisation civique »214(*). R. Carré de Malberg, s'exprime presque dans le même sens. Selon lui, « au point de vue juridique, l'essence propre de toute communauté étatique consiste d'abord en ceci que, malgré la pluralité de ses membres et malgré les changements qui s'opèrent parmi eux, elle se trouve ramenée à l'unité par le fait de son organisation : en effet, par suite de l'ordre juridique statutaire établi dans l'Etat, la communauté nationale envisagée, soit dans la collection de ses membres présentement en vie, soit organisée de telle façon que les nationaux forment à eux tous un sujet juridique, unique invariable, comme aussi ils n'ont à eux tous en ce qui concerne la direction des affaires publiques qu'une volonté unique, celle qui est exprimée par les organes réguliers de la nation et qui est la volonté collective de la communauté »215(*). Il affirme que tel est le fait juridique capital dont la science du droit doit tenir compte, et elle ne peut en tenir compte qu'en reconnaissance à l'Etat l'expression de la collectivité unifiée, une individualisée globale distincte de ses membres particuliers et transitoire ; c'est-à-dire en définissant l'Etat une personne juridique. On ne peut vider le point sur les considérations théoriques de l'Etat sans un mot sur l'Etat de droit, de manière incidente. Selon la conception Kelsennienne l'Etat de droit peut se définir comme un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit. D'origine allemande (Reettsstoat), cette notion a été redéfinie au début du vingtième siècle par le juriste autrichien Hans Kelsen, comme un Etat dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s'en trouve limitée. Dans ce modèle, chaque règle tire sa validité de sa conformité aux règles supérieures. Un tel système suppose, par ailleurs, l'égalité des sujets de droit devant les normes juridiques, et l'existence de juridictions indépendantes216(*). Selon le dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, l'expression Etat de droit, revêt de nos jours, de plus en plus une acception subjective, qui tend simplement à opposer les régimes démocratiques aux dictatures de toutes espèces réputées étrangères au droit217(*). Le plus intéressant pour nous est de constater que même dans la définition de l'Etat de droit, la notion d'institutionnalisation du pouvoir à son niveau le plus perfectionné, et en plus d'observer qu'il n'est point logique comme le font beaucoup de publicistes et africanistes d'insister sur les fonctions de l'Etat de droit en Afrique et au Congo sans s'assurer de l'existence des conditions minimales d'un Etat tout court au sens moderne. Il importe pour nous de rappeler que dans toutes les définitions de l'Etat moderne car nous ne plaidons pas pour un retour de l'Afrique à la société archaïque, sous l'angle juridique, sociologique et politique, le facteur le plus déterminant commun à toutes les définitions est le caractère institutionnel du pouvoir politique. Il est à noter que l'institutionnalisation du pouvoir ne s'opère pas sans que soient réunies des conditions qui la rendent possible. Comme le dit Michel de Villiers, l'institutionnalisation n'est pas automatique218(*). Pour nous, elle est rendue possible par le droit et spécialement par la constitution au sens matériel et formel comme socle du pouvoir politique. Dans cette première partie, nous avons tracé le cadre théorique où nous avons démontré l'existence du lien indispensable entre la métamorphose du pouvoir politique et la fondation de l'Etat par le processus d'institutionnalisation. Celle-ci n'est possible, tel que nous l'avons aussi démontré que par la constitution écrite ou coutumière qui opère ainsi un encadrement juridique du pouvoir politique en constituant sa source et sa limite. Aussi fallait-il clarifier les concepts d'Etat, de pouvoir politique, et d'institutionnalisation en vue de leur étude dans le contexte congolais. Cependant force est de reconnaître que sans la culture politique éprouvée pour servir de cadre du jeux politique la lettre de la constitution seule demeure impuissante à achever le processus d'institutionnalisation indispensable à la formation de l'Etat. Ce souci de vérification de l'effectivité de l'institutionnalisation du pouvoir et de l'édification de l'Etat par rapport à la réalité africaine en général et congolaise en particulier sera mieux exprimé dans la deuxième partie. * 210 Mpongo, E., op.cit, p. 25. * 211 Duguit, L., cité par Mpongo, E., op.cit, p. 71. * 212 Hauriou, M., cité par Mpongo, E., Idem. * 213 Carré de Malberg, R., cité par Mpongo, Ibidem. * 214 Hauriou, (M.), Principe du droit public, cité par Prelot, (M.), op.cit, p. 3. * 215 Carré de Malberg, Les éléments constitutifs de l'Etat, in Chalvidan, (H.) et al., Travaux dirigés de droit constitutionnel, Paris, Litec, 1996, p. 41. * 216 Consulter utilement : http : // www.vie-publique.fr/découverte_instit/approfondissements/approf_003.htm.; Chevalier (J.), l'Etat de droit (n.898 mars 2004) http : // www.la documentation française.fr/catalogue/330333208985/index. ; Nicolaï, (A.), Etat de droit, démocratie et développement, in http: / www.globenet.org /horison_local /delphes/delpnic.html. * 217 lire à ce propos, Chevallier (J.), l'Etat de droit, Paris Montchrestien, 1993 ; Kelsen, (H.), Théorie du Droit, Paris Sirey, 1962, la Pensée politique de H. Kelsen Coen, centre de publication de l'université de Coen, 1990 ; Troper, M., pour une théorie juridique de l'Etat, Paris, PUF, 1994, transcrites par Hermet (G.) et al., Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, 5è éd., Paris, Armand Colin, 1994, p. 109. * 218 Michel de Villiers, op.cit., p. 104. |
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