L'institutionnalisation du pouvoir et l'émergence de l'état en République Démocratique du Congo : 1960-2006( Télécharger le fichier original )par Corneille YAMBU -A- NGOYI Université de Kinshasa - DES 2005 |
II. Appréciation critique.1° - Critique sur les fonctions de l'Etat. Pour mieux apprécier la théorie marxiste, il convient de distinguer les utilisations historiques de la formule étatique, ce qui constitue l'essence de l'Etat192(*). Si dans bien des pays à travers l'histoire l'organisation étatique a assuré la prépondérance de la classe sociale parvenue à s'en rendre maître, tel d'ailleurs l'Etat des tsars ayant servi d'instrument de domination d'une aristocratie foncière autant que l'Etat soviétique lui-même servit à la domination des autres classes par la classe prolétarienne, il est inexact que cette domination soit la fonction de l'Etat. Il est plus aisé d'admettre que les visages historiques de l'Etat tels que décrits par le marxisme, constituent le détournement de la raison d'être véritable de l'Etat. Il ne serait pas correct de conclure que le marteau n'ait été inventé que pour assassiner des vielles dames, parce qu'il y eut un cas ou des cas où il aurait servi à assommer une rentière193(*). Ainsi, il est un fait que l'Etat soit devenu un instrument d'oppression mais dire que cela soit son motif d'établissement n'est pas défendable. D'ailleurs les exemples historiques contredisent cette thèse. La naissance de l'institution étatique en France au XVIè siècle a eu pour conséquence de priver la noblesse des prérogatives de puissances publiques qu'elle détenait antérieurement. L'émergence de l'Etat en Allemagne ou son avènement dans l'Italie de Cavour n'ont pas eu pour cause l'esprit de domination de la catégorie sociale jouissant de la supériorité économique. Nous croyons avec Burdeau, que peu importe l'emploi qui puisse ultérieurement assigné à son pouvoir, l'Etat naît du souci d'assigner au pouvoir une assise qui désolidarise des intérêts d'un groupe particulier. Pour nous, ce point est capital dans l'analyse que nous entendons faire sur les Etats africains et sur l'Etat congolais quant à la nature et le caractère de leur pouvoir comme critère de mesure du niveau d'étatisation de leurs sociétés.
2°- Critique sur le dépérissement de l'Etat. Dans une page célèbre, Engels décrit le processus du dépérissement de l'Etat : « le prolétariat s'empare de la puissance de l'Etat et transforme les moyens de production tout d'abord en propriété de l'Etat. Mais par là, il s'abolit lui-même entant que prolétariat ; par là il abolit toutes les différences et tous les antagonismes de classes, et par là aussi, l'Etat en tant qu'Etat »194(*). Le dépérissement de l'Etat étant considéré comme une pièce capitale de la théorie marxiste de l'Etat, on ne peut apprécier la valeur de la théorie sans l'évaluer. En bref, il convient de constater que l'histoire et les faits ne laissent voir aucun indice du dépérissement de l'Etat par le processus marxiste.
3°- Critique sur la notion du pouvoir politique. La conception de Marx et Engels de l'Etat apparaît comme une condamnation du pouvoir politique. Cela est paradoxal, dès lors qu'on sait quelle force le marxisme attache à sa conquête et quelle valeur il lui accorde en tant qu'instrument d'édification du socialisme. C'est pourquoi certains ont dit que Marx est dépassé par le marxisme195(*). C'est aussi à cause de cette contradiction que dans le grand schisme,196(*) Raymond Aron, écrit qu'il y a une théorie des luttes maîtres et esclaves, entre classes, avec l'écrasement des uns par les autres. Il n'y a pas de théorie de la communauté, pas de théorie de la justice ou du bien commun qui fonderait l'ordre établi entre les ex-ennemis. Nous ne pouvons terminer ses préoccupations sur la genèse de l'Etat, sans parler de la conception particulière de Léon Duguit. Deux raisons nous déterminent à fixer notre attention sur la réflexion de cet auteur sur la formation de l'Etat : En premier lieu, parce qu'il figure parmi les publicistes français modernes les plus remarquables197(*) le poids de son nom offre un patronage considérable à sa conception quelle que soit sa valeur. En second lieu, sa conception de la genèse de l'Etat apporte du vent au moulin dans le débat qui nous occupe sur l'émergence ou la consolidation de l'Etat en Afrique en général et en République Démocratique du Congo en particulier. Parler des théories de la formation de l'Etat comme nous venions de le faire était indispensable pour éclairer l'origine du phénomène étatique objet de notre étude mais définir l'Etat demeure encore une exigence scientifique à laquelle nous devons nous livrer pour mieux avancer sur du concret en République Démocratique du Congo. Nous pensons que si le foisonnement des modèles proposés excluait la nécessité d'une définition comportant les critères sur lesquels tous, quelle que soit la discipline ou le terrain envisagés s'accordent pour dire qu'il y a Etat ou non, le terme Etat devrait retomber dans la vulgarité , et aucun auteur quelle que soit son domaine devrait plus s'en prévaloir faute de connotation scientifique. Nous ne pouvons partager cet avis car il n'y existe bien un élément de définitions acceptable par tous en ce qui concerne l'Etat moderne, à savoir le pouvoir institutionnalisé. Un rappel de définitions essentielles de l'Etat le démontre : Dans le lexique des termes juridiques, Raymond Guillien et Jean Vincent, nous font découvrir que du point de vue sociologique l'Etat est :
Le dictionnaire du droit constitutionnel définit l'Etat à la fois d'un point de vue historique et sociologique comme : un pouvoir qui s'est institutionnalisé, en d'autres termes qui a pris corps dans une organisation202(*). Par ailleurs, le dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, l'Etat se conçoit avec Max Weber comme « une entreprise politique de caractère institutionnel dont la direction administrative revendique avec succès, dans l'application des règlements, le monopole de la contrainte physique »203(*). Selon la même source, la notion d'Etat implique de manière plus générale aussi bien la maîtrise complète du territoire que la mise en oeuvre d'une bureaucratie différenciée des autres forces sociales animées par des fonctionnaires recrutés de manière méritocratique à travers un système scolaire public des écoles de formation des agents de l'Etat, une laïcité minimale renforçant la séparation de l'espace étatique et de l'espace religieux, un droit public protecteur des frontières de l'Etat, une conception forte de la citoyenneté rattachant directement les citoyens à l'Etat et limitant l'emprise des groupes et des communautés intermédiaires, se marquant aussi par une quasi - fusion entre la nationalité et la citoyenneté lorsqu'on se trouve en présence d'un Etat - Nation204(*). Le professeur E. Mpongo, dans son ouvrage, Institutions politiques et droit constitutionnel, opère une synthèse remarquable des sens de l'Etat205(*). En effet, il précise que l'Etat comporte deux sens large et le sens restreint :
Ailleurs, le même auteur dit : « réduit à ses critères essentiels, l'Etat peut par conséquent se définir comme une personne morale collective souveraine et soumise au droit qu'elle crée », c'est la définition juridique dont nous avons parlée avec Carré de Malberg208(*). Outre les définitions les diverses conceptions de l'Etat méritent d'être examinées en vue de déceler parmi elles les éléments communs s'ajoutant à ceux de nombreuses acceptations étudiées. Deux courants se sont opposés au cours de ce siècle finissant de notre ère : les conceptions pluralistes et les conceptions socialistes. Celles-ci, fondées sur le marxisme - léninisme, ayant subi entre 1988 et 1991 un recul prononcé209(*) n'offrent plus qu'un intérêt historique. Il convient plutôt de parler des conceptions pluralistes. Elles dévoilent deux tendances. * 192 Lire dans ce sens Burdeau (G.), op.cit., p. 22. * 193 Idem * 194 Engels, F., Anti-Diihring, éd. Castes, T. III, p.p. 46 et suiv., cité par Burdeau, (G.), op.cit., p. 23. * 195 Engels, F., Anti-Diihring, éd. Castes, T. III, p.p. 46 et suiv., cité par Burdeau, (G.), op.cit., p. 23. * 196 Aron, R., Le grand schisme, Paris, 1948, p. 132, cité par Burdeau, G., Ibidem. * 197 Burdeau, (G.), op.cit., p. 34. * 198 Guillien, (R.), et Vincent, (J.), Lexique des termes juridiques, 14è éd., Paris, Dallez, p 2003, p. 107. * 199 Idem * 200 Ibidem * 201 Hermet, (G.), et al, op.cit, p. 107. * 202 De Villiers, (M.), Dictionnaire de droit constitutionnel, 4è éd, Paris, Armand Colin, 1998, p. 104. * 203 Hermet, (G.), Badie, (B.) et al., dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, 5è éd., Paris, Armand Collin, 1994, p. 107. * 204 Idem * 205 Mpongo, E., op.cit, p. 25. * 206 Idem. * 207 Ibidem. * 208 Carré de Malberg, les éléments constitutifs de l'Etat, op.cit, p. 41. * 209 Mpongo, E., op.cit, p. 25. |
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