L'institutionnalisation du pouvoir et l'émergence de l'état en République Démocratique du Congo : 1960-2006( Télécharger le fichier original )par Corneille YAMBU -A- NGOYI Université de Kinshasa - DES 2005 |
II. Appréciation critique de la théorie.La théorie de John Locke a beaucoup influencé les révolutionnaires en Angleterre, aux Etats-Unis et en France du XVIIè au XVIIIè siècle. Son explication semble confirmée par certains événements historiques. On citera à titre d'exemple, la Grande Charte que Jean sans Terre en Angleterre, conclut en 1215 avec les Barons féodaux. On peut citer également, l'exemple des anciennes colonies britanniques de l'Amérique du Nord, qui ont crée une confédération, transformée ensuite en une fédération en 1787 ; on cite enfin la charte française de 1830, présentée à la suite d'une entente entre le Duc d'Orléans, qui allait monter sur le trône sous le nom de Louis - Philippes, et les assemblées législatives de la restauration, chambres des pairs et chambres des députés qui étaient restées en place132(*). Bien que plus proche de la réalité, la théorie de Locke n'a pas manqué de susciter quelques critiques. Le professeur Marcel Lihau observe : « des contrats politiques ont existé, mais ils ont eu un caractère accidentel : tous les Etats ne sont pas issus de ces contrats. D'ailleurs,... on peut se demander si ces contrats n'ont pas été plutôt à l'origine des régimes politiques (c'est - à - dire de la façon d'aménager l'Etat) que des Etats eux- mêmes »133(*). D'autres griefs sont faits à la théorie de Locke en ce que même en admettant l'existence des contrats politiques à certains moments de l'histoire, ces contrats ont très vite perdu leur caractère contractuel et ont été traité comme des lois. Sous cet angle, on considère que dès la fin du XVIIIème , la Grande Charte était perçue comme vieille et véritable coutume, sur laquelle les héritiers des contractants n'avaient pas le droit de pouvoir134(*) ; De même, estime-t-on, le soi-disant caractère conventionnel de la constitution de 1787 n'a pas empêché les Etats du Nord, en 1861, de s'opposer à la sécession des Etats du Sud et de leur imposer par la force, après une guerre de cinq ans, de rester dans l'Union et la Charte française de 1930 a été appliquée comme une loi aussitôt après son établissement135(*). A notre avis, ces critiques ne suffissent pas à conclure au rejet de la théorie du contrat politique de la même manière que celle du contrat social comme le font certains publicistes136(*) car si à l'origine les actes apparemment ou fondamentalement contractuels trouvent une exécution plus ou moins renforcée dans les générations futures, cela ne devrait pas servir de mesure au caractère contractuel originaire. En plus, l'impact du contrat ou pacte politique sur la mutation, de la société naturelle, à la société politique nous paraît évident. Parmi les publicistes et d'autres auteurs qui ont apprécié les théories sur la genèse de l'Etat, et plus particulièrement sur les thèses contractuelles, Burdeau nous semble-t-il, est allé bien plus loin et a été plus complet. Tout en reconnaissant avec d'autres, l'incapacité des idées de Rousseau et de Hobbes de rendre compte de la formation de l'Etat, il voit derrière l'idée du contrat une intuition exacte. C'est que l'Etat n'est pas brutalement imposé par une loi naturelle ou par la force de quelques uns ; il est une oeuvre des hommes. OEuvre plus ou moins volontaire sans doute, mais qui réclame, sinon de tous une participation active, du moins un consentement, une adhésion. Des théories du contrat, Burdeau estime que c'est là ce qui doit être retenu137(*). C'est aussi notre avis. Dans la réflexion qui nous préoccupe, à savoir l'émergence et la stabilisation de l'Etat en Afrique en général et au Congo-Kinshasa en particulier, il est important d'avoir présent à l'esprit, le rôle primordial de la volonté humaine dans la construction de l'Etat. Sans anticiper, nous voulons ainsi dire que l'Etat ne peut se créer ni par baguette magique à coup de décret, d'ordonnance ou des lois fondamentales non voulues, ni par la force. C'est là une idée qui peut bien être exploitée par les gouvernants et les gouvernés pour la consolidation des Etats africains. D'autres facettes de la thèse du contrat explorées par Burdeau bien que révélant beaucoup de limite, n'offrent pas moins des pistes de réflexion utiles. Aussi, découvrons avec lui la première figure du contrat social, le « pactum subjectionis »138(*). L'idée du pactum subjectionis, « pacte de sujétion »139(*) fut celle de l'Eglise affirmant que le pouvoir vient de Dieu par le peuple selon la formule attribuée à Saint Paul : « omni potestas a Deo per populum ». une fois adoptée par les publicistes, cette doctrine donna naissance à l'idée d'un contrat de souveraineté par lequel la collectivité transférait ou aliénait ses droits à un souverain, à des conditions à propos desquelles d'ailleurs, selon Gierke140(*) régnait une grande imprécision. La caractéristique de ce contrat, est qu'il est politique et non sociologique, « pactum societatis ». ce contrat fonde l'Etat et non la société. L'avantage de cette idée est que lorsqu'au XVIème siècle, les Monarchomaques en firent le pivot de leur théorie politique, c'est par le pacte de sujétion qu'ils expliquèrent la position respective du peuple et du monarque en même temps qu'ils en firent le fondement de leurs droits et devoirs respectifs. Mais lorsque une partie des publicistes141(*) du XVIème siècle et les Jésuites de XVIème siècle Bellarmin, Molina, Mariana, Suarez, l'utilisèrent tantôt comme un instrument d'absolutisme tantôt comme une arme contre le pouvoir civil, la théorie du pacte subjectionis aboutit à un échec pour servir d'instrument à la formation de l'Etat. Néanmoins, elle a un mérite bien supérieur à bien des théories sur l'explication de la genèse de l'Etat : ce que d'une part, elle distinguait clairement la formation de la société, de la formation de l'Etat. Burdeau observe que cette distinction demeure cependant à la base de toute théorie juridique de l'Etat142(*). Et, d'autre part, dans sa dernière forme, la conception du contrat de souveraineté subordonne l'accord du peuple et du souverain à la considération d'un but à l'égard duquel ils sont solidaires143(*). Ici apparaît, une idée utilement exploitable qu'il importe de retenir dans la thèse des Monarchomaques : la place faite à un but social qui déclenche la soumission du peuple et provoque l'acceptation du monarque. L'exigence du « bien commun » à laquelle sujets et souverains sont également subordonnés est un élément important dans le processus de développement et de la stabilité de l'Etat. Expliquons mieux cette idée avec Burdeau car nous comptons en tirer bénéfice dans l'observation du phénomène congolais. L'idée essentielle de la doctrine est que « la finalité du groupe conditionne l'attitude du pouvoir ». Ni la volonté du groupe, ni celle du pouvoir ne peuvent, par déterminations égoïstes fonder l'Etat. Elles ne le peuvent pas davantage par un marché où n'entrerait que le souci d'un avantage particulier. C'est par l'adhésion à une commune idée de l'avenir, désirable pour tous, qu'elles s'engagent sur la voie qui conduit à l'Etat, car alors leur entente est scellée par la décision de sauvegarder l'intégrité de l'idée tout en accentuant, par une technique appropriée, son empire sur le groupe144(*).Cette réalité semble une utopie dans nombre des pays africains La République Démocratique du Congo inclut ; la poursuite du bien commun est bien loin d'être le sens du pouvoir des gouvernants qui se préoccupent d'abord d'intérêt particulier. Du point de vue du bien commun ou de l'intérêt général, vu par les gouvernants et les gouvernés que peut - on dire de l' Afrique subsaharienne et du Congo-Kinshasa ? De même quel souci a-t-on d'une idée de l'avenir commune selon, le modèle, ci explicité de Monarchomaques, en Afrique ? la représentation que se font les membres d'une société sur ces deux questions, selon qu'elle est positive, et d'une certaine importance pour les gouvernants surtout, et pour les gouvernés, est un facteur indispensable à la formation et à la survie de l'Etat. * 132 Idem. * 133 Lihau, M., cité par Ntumba Luaba, op.cit., p. 26. * 134 Mpongo,E., op.cit., p. 63. * 135 Mpongo,E., op.cit., p. 63. * 136 Comme le professeur Mpongo, voy. Mpongo, * 137 Burdeau, (G.), op.cit., p. 73. * 138 L'idée, du pactum subjectionis, parfois appelé pacte de souveraineté, procède de l'interprétation que les théologiens du Moyen Age donnèrent de la notion ancienne du contrat social. * 139 Sur le pacte de sujétion, lire, Hitier, la doctrine de l'absolutisme in « Annales de l'université de Grenoble », T.XV, 1903, cité par Burdeau, (G.), op.cit., p. 74. * 140 cité par Burdeau, (G.), op.cit., p. 74. * 141 Althusius, cité par Burdeau, Idem * 142 Burdeau, G., op.cit., p. 76. * 143 Idem * 144 Ibidem. |
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