La réalisation judiciaire du principe de l'impartialité du juge béninois( Télécharger le fichier original )par Ulrich DJIVOH Université d'Abomey-Calavi - DEA en droits de la personne humaine et démocratie 2009 |
B) La position du droit positif béninoisLa Cour constitutionnelle du Bénin, quant à elle, semble ne pas suivre le même mouvement et semble compromettre l'avancée jurisprudentielle jusque là atteint par la chambre criminelle de la cour de cassation française. Dans une de ses décisions en date de juin 2000, elle a été saisie d'une requête de la SONACOP assistée de son conseil, afin que celle-ci constate la partialité d'un juge du tribunal de Cotonou dans une cause qui lui a été soumise. En effet, ledit juge avait rendu, en matière civile contre la SONACOP, une ordonnance la condamnant, dans le cadre d'une assignation en liquidation d'astreinte. Le conseil de la SONACOP a par la suite adressé au Ministre du commerce et du tourisme une lettre confidentielle, rendue publique par la presse, dans laquelle il dénonçait la complaisance de certains magistrats, dont le juge du tribunal de Cotonou, dans le cadre de la condamnation aux astreintes prononcée par ce dernier. Mais le magistrat l'a conçu comme une offense et une attaque personnelle, ce qui l'a poussé à l'exprimer personnellement et officieusement audit conseil. C'est suite à ces incidents, que ce dernier, soutient devant la Cour constitutionnelle que « ce ressentiment exprimé et la connaissance antérieure du dossier par ledit juge, sont des motifs raisonnables de douter de son impartialité dans le cas d'espèce »95(*). Il conclut à l'existence de motifs suffisants pour constater la partialité dudit juge. La Cour, chargée de l'application du principe de l'impartialité au contentieux civil existant entre les parties, a dans sa décision, élidé le moyen tiré du parti pris porté par les ressentiments, et s'est plutôt penché sur le second moyen. Dans ce sens, elle a considéré que « le simple fait pour le juge incriminé d'avoir rendu contre la SONACOP une décision de condamnation à astreinte ne permet pas de mettre en doute l'impartialité personnelle de l'intéressé saisi d'un nouveau dossier dans lequel est présenté une demande de remise en cause pour attraire la SONACOP en garantie »96(*)(nous avons souligné). Ce pré-jugement n'est pas inoffensif, puisque cette connaissance anticipée du fond de la cause est nuisible à toute autre intervention du juge dans une seconde cause, connexe à la première. En plus d'être rigide dans la stigmatisation, ne serait ce que des risques de partialité, la jurisprudence béninoise fait montre d'un manque de maitrise de la notion de l'impartialité. Elle a, en effet, considéré dans sa motivation, celle sus citée, que l'argument lié au fait pour un juge de statuer successivement est caractéristique d'une impartialité personnelle97(*). C'est un véritable amalgame qu'elle fait car, il s'agit bien d'une impartialité objective ou fonctionnelle. Par ailleurs, la Cour constitutionnelle a souvent été saisie pour stigmatiser les pré-jugements que pouvaient contenir les causes qui lui étaient soumises. Mais elle a eu l'occasion de refuser la stigmatisation, considérant le pré jugement sans réelle portée, mais pour des motifs différents de ceux invoqués par la Chambre criminelle de la Cour de cassation française. Elle a en effet été saisie d'une espèce opposant un magistrat à l'ordre des avocats du Bénin. Il s'agissait en l'espèce, d'un magistrat et ancien conseiller à la chambre administrative de la Cour suprême, admis à la retraite qui a adressé une demande d'admission au barreau, au bâtonnier de l'ordre des avocats .L'absence de réponse du conseil de l'ordre, l'amena à souscrire une déclaration d'appel et il défera ainsi le litige à la connaissance de ses collègues de la Cour d'Appel réunis en assemblée plénière. Le Bâtonnier de l'ordre des avocats, avait fait observer que la promptitude avec laquelle le magistrat a saisi la Cour d'Appel était nourri par la certitude que la Cour d'Appel « jouera en sa faveur et que plaidant devant ses collègues contre le Barreau, il est en situation a priori avantageuse ; que la volonté des magistrats béninois de se garantir une passerelle de reconversion à la profession d'avocat et dans le conseil juridique est notoire ; qu'étant candidats potentiels à cette admission, les magistrats de la Cour d'Appel ont intérêt à la contestation (... ) les magistrats siégeant (...) ayant entretenu avec lui des relations professionnelles et corporatives suivies et durables et ne pouvant dès lors se départir, d'une condescendance envers leurs doyen »98(*). Le fait de statuer sur une telle cause, pour les magistrats de la Cour d'Appel, n'est pas anodin, puisqu'il met en jeu l'occasion d'ouvrir une passerelle de reconversion à la profession d'avocat. De ce fait, et des liens de condescendance liant les juges d'appel au magistrat on pourrait en déduire une éventuelle partialité de la Cour d'Appel. La partialité présumée de la Cour d'Appel dans le cas d'espèce devrait amener la Cour constitutionnelle à renvoyer la cause devant une autre juridiction. Cependant, il ne suffit pas en droit béninois de présumer la partialité du juge. Même lorsqu'elle est évidente, la Cour constitutionnelle exige en plus, que la récusation ou le renvoi pour cause de suspicion légitime, ne soient invoqués « qu'à la condition que le procès puisse être porté à la connaissance d'un autre juge ou d'un autre tribunal »99(*). C'est le raisonnement suivi par la Cour constitutionnelle dans la décision précitée. La loi n°64-28 du 9 décembre 1964 portant organisation judiciaire en vigueur à l'époque n'avait institué qu'une seule Cour d'Appel, celle de Cotonou. Vu que la partialité présumée de la juridiction d'appel obligerait à renvoyer devant une autre Cour, il n'en existait aucune en l'espèce. La Cour constitutionnelle a donc estimé que « la présente requête tend plutôt à bloquer le fonctionnement d'une juridiction régulièrement créée ; que dès lors la partialité alléguée par le requérant à l'encontre de la juridiction saisie ne repose sur aucun fondement »100(*). La Cour constitutionnelle, par une telle décision, permet à une juridiction dont la partialité est présumée, de statuer pour éviter le blocage fonctionnel des institutions. Cette exception à la partialité en droit positif béninois, aurait connu un sort plus efficace comme en droit européen, s'il existait une Cour régionale africaine aussi performante et expérimentée que la CEDH. Elle condamnerait sans doute, comme le fait la CEDH, l'État béninois, vu l'insuffisance de Cours, pour violation du droit à ce que la cause des citoyens soit entendue par une juridiction présentant les qualités requises. Il parait opportun à présent de se pencher sur l'autre aspect de l'interdiction de cumul, celui du cumul de fonctions similaires à des degrés différents. * 95 Décision DCC 00-040 du 29 juin 2000, Cour constitutionnelle du Bénin, SONACOP SA (Me POGNON), Recueil des décisions et avis, 2000, p148 * 96 Décision DCC 00-040 du 29 juin 2000, op cit., p149 * 97 Nous avons souligné plus haut le passage de la décision où la Cour constitutionnelle béninoise l'affirme expressément. * 98 Décision DCC 01-105 du 10 décembre 2001, Cour constitutionnelle du Bénin ; HOUNNOU A. Sévérin, Recueil des décisions et avis, 2001, p 425 * 99 Décision DCC 01-105 du 10 décembre 2001, Cour constitutionnelle, HOUNNOU A. Sévérin, Recueil des décisions et avis, 2001, p 425 * 100 ibidem |
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