La réalisation judiciaire du principe de l'impartialité du juge béninois( Télécharger le fichier original )par Ulrich DJIVOH Université d'Abomey-Calavi - DEA en droits de la personne humaine et démocratie 2009 |
Paragraphe 2 : Le pré-jugement inoffensif justifiant le cumulL'édification de cas de pré-jugements ne remettant pas en cause l'impartialité procède d'une oeuvre éminemment jurisprudentielle. C'est bien face au mutisme stérile de la législation, que cas par cas, la jurisprudence a su élaborer les aspects inoffensifs des préjugés. Ce sera donc au regard de la jurisprudence que s'analysera la notion. Dans ce sens, l'on relèvera les positions jurisprudentielles de la Chambre criminelle de la Cour de cassation française et de la Cour européenne des droits de l'homme (A) avant de se pencher sur la position du droit positif béninois (B). A) Les positions jurisprudentielles de la Chambre criminelle de la Cour de cassation française et de la Cour européenne des droits de l'homme Le pré-jugement du juge, issu de l'exercice d'une première mission sera considéré comme inoffensif lorsque la seconde mission à exercer ne permettra pas son instrumentalisation. Le magistrat pourtant animé d'un pré-jugement est autorisé à connaitre des missions étrangères à la détermination du sort final du justiciable. Il n'y aura donc aucune incompatibilité lorsque ces missions ôtent toute portée au pré-jugement. Ainsi, en dépit du préconçu ou du préopiné qu'il s'est forgé sur la culpabilité ou non du justiciable, le juge peut s'investir d'une autre mission, dans la même cause. Mais celle-ci tant qu'elle est étrangère à la question de la culpabilité et au prononcé de la sanction, elle est acceptée. Il est toutefois important de noter qu'à côté du pré-jugement pouvant naître de la première mission et pouvant être inoffensif ou non, que les problèmes sont moindres lorsque la première mission ne donne aucun pré-jugement. En effet et a priori, il n'y a pas d'intérêt à écarter le juge de sa seconde mission, si la première ne lui a pas permis de se forger un pré-jugement. Tel est le cas lorsque la première mission laisse le juge dans l'ignorance absolue du dossier. Il ne connaît donc pas avant la seconde mission, du fond du litige. Son l'impartialité pourrait objectivement être présumée. . Le maniement du pré-jugement inoffensif est très délicat et la souplesse dans son application doit être dénoncée. Cette souplesse a poussé la chambre criminelle à permettre au juge d'intervenir dans une seconde mission, lorsque la première ne lui a donné qu'un aperçu de l'affaire. Ceci est critiquable, car elle a permis à la chambre criminelle d'admettre la présence au sein de la juridiction de jugement d'un juge qui avait rendu un premier jugement d'incompétence. Elle a déclaré que « la prohibition édictée par l'article 257 du code d'instruction criminelle ne s'étend pas en principe au magistrat qui a pris part à l'arrêt par lequel la chambre des appels de police correctionnelle s'est déclarée incompétente »85(*). L'arrêt d'assises a été cassé certes, pour avoir maladroitement dans ses motifs statué sur la culpabilité, mais il n'en demeure pas moins que cette jurisprudence soit exemptée de critiques86(*). Dès lors l'accomplissement de missions donnant ne serait-ce qu'un aperçu de l'affaire devrait induire l'exclusion du juge dans l'exercice dans la même affaire de toute oeuvre juridictionnelle. En outre, elle admet la possibilité de siéger à la fois, dans une même affaire, au sein de la chambre d'accusation et au sein de la chambre des appels correctionnels. Elle a motivé une telle position dans une de ses décisions dans laquelle, elle considère qu' « aucune disposition légale prescrite à peine de nullité n'interdit aux membres de la chambre d'accusation qui s'est prononcée en cette hypothèse de faire ensuite partie de la chambre correctionnelle saisie de l'affaire »87(*). Elle en conclue donc comme exposé plus haut à une absence d'interdiction légale, compatible à l'exigence d'impartialité. Mais, au même moment où la chambre criminelle autorise à un membre de la chambre d'accusation de siéger à la chambre des appels correctionnels, elle interdit aux dits membres de siéger dans une même affaire, à la Cour d'Assises. Selon elle, en effet, le juge, dans un pareil cas, « a nécessairement procédé à un examen préalable du fond »88(*). Dans ce sens, une partie de la doctrine, inspirée par certains auteurs tels le professeur PRADEL, et le président André BRAUNSCHEIG dénonce la protection à géométrie variable de l'impartialité, dont est empreinte la jurisprudence de la chambre criminelle et considère que cette protection de portée variable de l'impartialité ne garantit pas efficacement l'impartialité des décisions. Pour le président BRAUNSCHEIG, cette solution jurisprudentielle est « déconcertante » car elle s'analyse en une autorisation accordée aux juges de réaliser un tel cumul89(*).Quand au professeur PRADEL, il constate que le raisonnement de la chambre criminelle varie en fonction de la nature de la juridiction de jugement, c'est-à dire selon qu'il s'agisse de la chambre des appels correctionnels ou de la Cour d'Assises. Pour lui, il ne fallait en aucun cas distinguer, car la question reste posée quelque soit la gravité des faits90(*). Mais la chambre criminelle affirme quelques années plus tard, en opérant un revirement que le magistrat ne pourra siéger au sein de la juridiction correctionnelle que si ses interventions au sein de la chambre d'accusation ne se sont limitées qu'aux décisions relatives à la liberté du mis en examen91(*). Ainsi, les juges, ne pourront faire partie de la chambre correctionnelle d'une cour d'appel, s'ils ont eu à participer « à un arrêt de la chambre d'accusation dans lequel a été examinée la valeur des charges pouvant justifier le renvoi devant le tribunal correctionnel »92(*). Mais cette position est critiquable, car le fait de statuer sur la liberté du mis en examen n'est pas exclusif d'une certaine connaissance que l'on pourrait se forger du fond de l'affaire. Le pré-jugement porté sur la culpabilité reste nuisible dans le cadre d'une intervention au stade du jugement. C'est dans ce sens que le professeur PRADEL93(*) affirme que « les magistrats de la chambre d'accusation en statuant sur la liberté abordent nécessairement le fond (...) par suite il est raisonnable d'admettre que le cumul peut entraîner une certaine partialité ». Mais la CEDH, semble compromettre l'avancée jurisprudentielle annoncée par la chambre criminelle. Pendant que la chambre criminelle n'autorise les magistrats de la chambre d'accusation à intervenir au sein de la chambre des appels correctionnels de la Cour d'appel, que lorsqu'ils n'ont eu à prendre au sein de la chambre d'accusation que des décisions relatives à la liberté du mis en examen, la CEDH n'impose aucune condition .Elle approuve en effet ladite intervention, puisqu'elle affirme dans l'affaire Sainte Marie contre France, que la présence d'un magistrat au sein de la chambre d'accusation n'exclut point une autre intervention au sein de la chambre des appels correctionnels94(*). Cet arrêt semble remettre en cause l'avancée amorcée par la chambre criminelle. A tout le moins, la chambre criminelle n'admettait une seconde intervention que lorsque le juge n'aura statué que sur la liberté du mis en examen. Si ces quelques variantes de jurisprudence traduisent la position que la Chambre criminelle de la Cour de cassation française ainsi que celle de la CEDH, sur la manière dont doit être stigmatisé les pré-jugements, qu'en est-il du droit positif béninois ? * 85 Crim 17 juillet 1957, www.courdecassation.fr * 86 Ceci est vrai, d'autant plus que tout jugement d'incompétence contient un présupposé sur la qualification des faits et sur l'éventualité de leur commission * 87 PRADEL (J.) et VARINARD (A.), Les grands arrêts de la procédure pénale, Paris, Dalloz, 5è édit., 2006, p4 * 88 PRADEL (J.) et VARINARD (A.), op. cit., p11 * 89 André B. chronique de jurisprudence, RSC 1987, p 465, cité par JOSSERAND (S), l'impartialité du magistrat en procédure pénale, Paris, LGDJ, 1998, p 61 * 90 Note sous crim 7 janvier et 6 Novembre 1986, D 1987 jurisprudence, p 237, cité par JOSSERAND (S.), op. cit., p 61 * 91 Crim 6 novembre 1986, in Les grands arrêts de la procédure pénale, Paris, Dalloz, 5è édit., 2006, p4 * 92 ibidem * 93 PRADEL (J.), « La notion européenne de tribunal impartial et indépendant selon le droit français, RSC 1990, p 701 cité par JOSSERAND (S), l'impartialité du magistrat en procédure pénale, Paris, LGDJ, 1998, p 62 * 94 CEDH, Sainte Marie contre France 16 décembre 1992 conseil de l'Europe, 78/1992/330/403 RSC 1993 p 367, JD 1993, p 758 |
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