Christologie contemporaine: le défi du pluralisme religieux( Télécharger le fichier original )par Clément TCHUISSEU NGONGANG Grand séminaire Notre Dame de l'Espérance de Bertoua - Baccalauréat canonique en théologie 2011 |
II- L'INCLUSIVISME CHRISTOLOGIQUE NORMATIFLa christologie normative constitue l'autre manche de l'inclusivisme dont les chantres s'accordent tous sur leur commun refrain : « Jésus-Christ est la révélation plénière, définitive et donc normative de Dieu pour tous les peuples. »135(*) Il est capital de se rendre compte de la distance qui sépare ce modèle du modèle inclusiviste constitutif : ici, Jésus n'est pas la cause constitutive de la grâce salvifique, les traditions religieuses sont perçues comme des voies autonomes du salut et parallèles par rapport au christianisme. Faire dépendre le salut de la personne et de l'oeuvre de Jésus-Christ, alors que l'automanifestation de Dieu dans l'histoire a assumé une pluralité de formes inassimilables les unes par les autres, est tout simplement avoir deux poids deux mesures. A la limite, on reconnaît sans doute que la figure de Jésus-Christ dans le rapport salvifique divino-humain, s'avère le parfait symbole, « le modèle idéal ». Par conséquent, il n'est que normatif. « Le Christ, dans ces approches, n'est pas plus présent dans les religions, mais il se tient au-dessus d'elle, comme le modèle éminent, la norme, le « régulateur décisif. »136(*) 1- Hans Küng et une théologie oecuméniqueHans Küng situe son analyse dans une approche plus globale oecuménique critique. Une telle approche au plan de l'attitude générale face aux religions s'oppose à l'indifférentisme, au relativisme et au syncrétisme et leur préfère respectivement « indifférence envers l'orthodoxie prétendue »137(*), « relativité devant toutes les positions humaines d'absolu »138(*), « une grande volonté de synthèse, en face de tous les antagonismes confessionnels »139(*). Soutenant à cor et à cri que nul ne possède le monopole de la vérité, il établit trois critères permettant de distinguer la vraie religion de la fausse. D'après « le critère éthique général (...) authentiquement humain, [il faut vérifier] qu'elle ne détruit pas la véritable humanité, mais la protège et la promeut. »140(*) Pour sa part, « le critère religieux général » jauge de l'authenticité d'une religion à l'aune de sa fidélité à sa propre origine, alors que le « critère spécifiquement chrétien », le fait d'après le repère que constitue l'esprit de Jésus Christ. C'est à partir de ce critère spécifiquement chrétien que Küng prend position en faveur d'une christologie normative : « pour tout le Nouveau Testament - que cela plaise ou non - Jésus est normatif et définitif : lui seul est le Christ de Dieu. »141(*) De plus, il distingue un « vu du dehors » et un « vu du dedans ». Le premier serait propre à une approche des sciences des religions susceptibles de faire constater dans toutes les religions la commune recherche d'un but discernable par l'outillage critériologique éthique et religieux. Seul le second est le lieu propice de l'affirmation des caractères normatif et définitif du Christ. Les religions peuvent être dites chrétiennes en raison du lien possible entre chacune d'elles et le message du Christ ; par conséquent, elles exercent vis-à-vis du christianisme une vocation de « correctif prophétique »142(*) en le poussant à s'interroger sur la fidélité à son origine, le complétant, le corrigeant, voire en l'approfondissant. Le Christ de Küng est une sorte d'instance normative qualitativement supérieure aux autres figures de salut dans les autres religions. La portée universelle du caractère salvifique de l'Evènement-Christ n'est pas ici tout à fait problématique, sinon dans la mesure où l'on insinue que l'universalité veut dire cause de salut pour tous les hommes. Autrement dit, l'universalité ici signifie que la figure de Jésus Christ est modèle de perfection et principe régulateur du salut des médiations effectives de salut présentes dans toutes les religions. On serait proche de certains éléments de la christologie cosmologique de Teilhard de Chardin - l'aspect régulateur par exemple - que d'autres formes de christologies inclusivistes normatives des auteurs comme Andreas Rösseler exploiteront. Dupuis reproche à la christologie de Hans Küng sa méfiance pour la christologie ontologique qui peut porter préjudice à l'intégrité de la foi chrétienne, s'exposant, de notre point de vue aux affirmations adoptionistes, prisonnières de son approche fonctionnelle : « Quant à la manière dont H. Küng entend établir la spécificité et l'originalité du christianisme sur la personne de Jésus-Christ, j'ai montré ailleurs qu'elle reste déficiente, fondée comme elle est sur le « projet » ou « programme » de Jésus, sur le « caractère représentatif » de celui-ci en tant que « délégué » de Dieu auprès du genre humain - bref, sur la christologie « fonctionnelle » qui se méfie d'une christologie ontologique affirmant l'identité personnelle de Jésus-Christ comme le Fils de Dieu. »143(*) * 135 KNITTER Paul, « La théologie catholique des religions à la croisée des chemins.», Concilium, n° 203, Op.Cit., p. 133. * 136 AEBISCHER-CRETTOL Monique, Op.Cit., p. 348. * 137 KÜNG Hans, « Pour une théologie oecuménique des religions. Quelques thèses pour clarifier la question. », Op. Cit., p. 153. * 138 Ibidem. * 139 Ibidem. * 140 Ibidem, p. 154. * 141 Ibidem, p. 155. * 142 HÛNG Hans, Une théologie pour le troisième millénaire, Seuil, Paris, 1989, p. 348. * 143 DUPUIS Jacques, Vers une théologie chrétienne du pluralisme religieux, Op.Cit., p. 234. |
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