11.3.2.5. L'exportation du minerai vers les pays
acheteurs
Plusieurs voies sont suivis, notamment la voie
aérienne, la voie routière et la voie lacustre. Pour la voie
aérienne, et surtout pendant la période d'occupation militaire
rwandaise, les petits porteurs chargés les minerais (coltan, or,
cassitérite, ...) pour se rendrent directement à Kigali ; de
là les fûts de minerais étaient embarqués par avion
vers l'Europe. Actuellement, le transport aérien n'est plus
utilisé que par les petits porteurs entre les pistes de
l'intérieur de la Province.
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Quant à la voie routière, deux corridors vers
l'Océan indien sont indiqués. La production minière
transite par voie routière depuis les comptoirs jusqu'aux ports de
l'Océan Indien, Mombasa et Dar es Salaam en empruntant les Corridors
Nord ou Sud. Le Corridor Nord via Kampala et Nairobi est le plus performant
semble t-il pour le transport routier depuis que le bitumage est achevé
entre Mombasa et Kigali.
Certains transporteurs de Goma préfèrent
éviter le Rwanda et entrer directement en Ouganda, soit par Bunangana,
soit par Ishasa même s'il faut passer par des routes en terre pour
rejoindre le goudron à Kabale. Cela permet d'éviter une
frontière et de réduire les tracasseries administratives. Les
camions transitant par le Rwanda doivent en effet passer par les Magasins
généraux du Rwanda (MAGERWA) à Kigali, où ils sont
contrôlés et où ils doivent payer des taxes de transit et
des frais de parking ; ce qui est inexistant au Sud-Kivu et constituant ainsi
un manque à gagner considérable pour la Province et pour tout le
pays.
Ainsi, les transporteurs du Sud-Kivu ont le choix de transiter
: par le Rwanda, via Cyangugu et Kigali, pour rejoindre le Corridor Nord par le
Burundi via Bujumbura pour rejoindre le Corridor Sud par la Tanzanie via Kigoma
après avoir traversé le lac Tanganyika depuis le port de Kalundu
en territoire d'Uvira. L'itinéraire rwandais est souvent
évité à cause du coût et de l'attente à
MAGERWA. L'option tanzanienne présente l'avantage de réduire
à un seul le franchissement des frontières. La voie
routière est en revanche moins performante que celle du Corridor Nord,
mais il est possible d'utiliser la voie ferroviaire, lente, mais moins
onéreuse et adaptée à des produits pondéreux non
périssables.
Pour le transport lacustre, il semble avoir repris de
l'importance depuis la fin de la rébellion ; il contribue à
ouvrir le choix des itinéraires d'import-export. La navigation entre
Bukavu et Goma rend possible une réorientation des flux de marchandises
d'un Corridor à l'autre.
Le transport sur le lac Tanganyika donne accès aux
réseaux routiers et ferroviaires de Tanzanie et d'Afrique australe.
Comme le souligne, Roland Portier62, le transport
constitue un maillon sensible de la chaîne d'activités
économiques. La situation est catastrophique au Kivu, en dehors de
quelques axes proches de la frontière. La plupart des centres de
l'intérieur ne sont pas accessibles par voie terrestre : routes
défoncées, ponts coupés. Le transport du minerai par avion
vers Goma et Bukavu n'est qu'un pis-aller qui ne profite d'aucune façon
au développement local. Le transport routier vers les ports de
l'Océan Indien via les Corridors Nord et Sud - doublé par le
transport ferroviaire - est au contraire performant. Les flux de marchandise,
à l'importation comme à l'exportation rattachent l'Est du Congo
au bassin de transport est-africain.
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La réhabilitation des routes au Kivu est une
priorité absolue. Elle conditionne la relance de tous les secteurs de
l'économie, agriculture et mine notamment. Elle est aussi une condition
nécessaire pour le fonctionnement des encadrements étatiques et
de développement (santé, éduction), et pour le
rétablissement de la sécurité.
11.3.3. Les revenus de l'exploitation
minière
Il est très difficile d'évaluer ce que rapporte,
pour chaque type d'acteur, l'exploitation minière artisanale. Didier de
Failly s'y était risqué dans son étude de 2001 sur le
coltan, mais les prix de référence étaient à leur
zénith et le Sud-Kivu se trouvait encore sous occupation rwandaise. Il
faudrait des enquêtes approfondies pour arriver à des conclusions
scientifiquement fondées. Une mission de courte durée sur les
espaces restreints ne le permet pas. Il n'est de toute façon jamais
simple de savoir ce que gagnent les gens : les réponses sont
affectées d'un coefficient d'erreur qui croît avec le
caractère informel de l'activité. On se contentera donc de
quelques informations ponctuelles sans les considérer comme
extrapolables.
11.3.3.1. Les revenus des creuseurs
A l'intérieur d'une équipe, le principe de la
mutualisation des gains est la règle, le chef d'équipe mis
à part. En interrogeant les exécutants de base il est apparu que
leur revenu journalier était inférieur à un dollar. La
rémunération est fonction de la quantité de minerai
extrait et transformé par les opérations de lavage, triage,
concassage, etc. Beaucoup de temps est nécessaire pour l'obtention d'un
produit commercialisable. Une équipe d'une dizaine d'hommes produirait
en moyenne 4 à 5 kg par semaine selon le Père Didier de
Failly.
Au Rwanda le chiffre de 1 à 5 kg par jour a
été avancé à la mine de Muhanga, ce qui
représenterait un gain journalier moyen de l'ordre de 500 Frw. A
Nyabibwe, des mineurs prétendent qu'il leur faut plusieurs jours pour
gagner l'équivalent net d'un dollar. Dans une carrière proche de
Bukavu, les casseurs de cailloux mettent deux jours pour remplir un fût
de gravier vendu 300 francs congolais. Loin des villes la
rémunération du travail est certainement encore plus faible. On
retiendra néanmoins que les creuseurs ne retirent de leur travail que
des gains minimes.
Ces sommes dérisoires ont cependant leur importance
dans un contexte de très grande pauvreté. Dans tout
l'intérieur du Kivu, coupé des grands centres urbains et donc
d'un accès au marché des produits agricoles, la circulation
monétaire s'est tarie. Les communautés rurales sont revenues
à des systèmes proches de l'autosubsistance. L'activité
minière est souvent le seul moyen pour les hommes de gagner un peu
d'argent. Cet argent vient en complément de la production agricole
vivrière destinée à l'autoconsommation : l'agriculture
reste le fondement d'une économie domestique reposant largement sur le
travail des femmes. Ces dernières assurent ainsi le quotidien,
permettant aux hommes de se tourner vers d'autres tâches.
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67
L'économie minière artisanale doit s'analyser
dans ce cadre de la pluri-activité des ménages afin d'en
percevoir l'impact.
D'après le Père Didier de Failly, pendant la
courte période d'euphorie du coltan, le mirage de gains plus
élevés a bouleversé cette organisation traditionnelle. La
littérature décrit une situation dans laquelle hommes et femmes
abandonnaient le travail de la terre pour se lancer dans l'aventure - ou
étant contraints de le faire par des militaires. Il en est
résulté une crise de la production vivrière, contraignant
les travailleurs à acheter une nourriture importée par avion
depuis Goma ou Bukavu à des prix qui rognaient sérieusement leurs
gains. Des situations de ce type s'observent toujours dans les régions
aurifères, comme à Kamituga. La chute des prix du coltan devrait
commencer à calmer le jeu, mais selon certains témoignages ce
n'est pas vraiment le cas.
Nous pensons avec le Père Didier que, dans
l'hypothèse d'une situation revenue à la normale,
l'activité minière reste associée à
l'activité agricole au sein d'une unité familiale. Les jeunes
vont à la mine non pas parce que la terre à cultiver manque, mais
pour rechercher un peu d'argent. Les régions rurales sont souvent
tellement isolées qu'elles sont sorties de l'économie
monétaire. Pour les jeunes hommes, être creuseur représente
une occasion rare d'amasser le petit pécule nécessaire pour
l'achat de la douzaine de chèvres nécessaire à la
constitution de la dot et au mariage.
La situation diffère au Rwanda : les jeunes,
garçons et filles qui travaillent à la mine le font parce qu'il
n'y a plus de terre à cultiver dans les exploitations exiguës de
leur famille. La contrainte est ici d'une autre nature qu'au Sud-Kivu, mais
dans les deux cas on est en présence d'activités de survie qui
n'offrent pas de perspective de sortir de la pauvreté.
11.3.3.2. Les revenus des négociants et des
exportateurs
Les négociants s'en tirent plutôt bien. L'un
d'entre eux, ancien directeur d'école reconverti dans le commerce,
explique qu'il achète la cassitérite à Nyabibwe au
Sud-Kivu à 2$ le kilo et la revend aux comptoirs à 2,8$. Quand il
achète à Walikale dans le Nord-Kivu, les prix sont plus bas,
1,5$, mais le transport aérien ajoute entre 0,7 et 0,8$ le kilo. Il faut
bien sûr payer la carte de négociant (passée de 50$ en 2003
à 345$ en 2004) et les taxes à la Province et aux Entités
Administratives Décentralisées (EAD). Toutes dépenses
défalquées, il resterait entre 0,3$ et 0,4$ par kilo. Avec un bon
réseau de clients, ce négociant qui commercialise aussi le
café ne se plaint pas de son sort : son négoce lui rapporte
quelques centaines de dollars par mois.
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avec les détenteurs d'armes. Le milieu congolais est
familier de ces pratiques de négociation qui en temps de paix
participent à des régulations sociales. Pendant la période
d'occupation militaire étrangère les relations difficiles entre
agents économiques et forces armées n'étaient pas
favorables au négoce.
On revient progressivement à une situation moins
tendue, mais l'insécurité latente et les bouffées de
violence constituent toujours un frein à l'exercice de l'activité
commerciale en l'exposant à un risque encore élevé dans
certains coins de la Province. Le credo des négociants est simple : des
routes réhabilitées et sécurisées et des taxes
modérées sont les conditions premières de l'exercice de la
profession et de la relance économique. Leur non-dit concerne
l'écoulement frauduleux des minerais au Rwanda. Le lac Kivu se traverse
aisément et les frontières terrestres demeurent poreuses.
La position des comptoirs d'achat est différente dans
la mesure où leurs préoccupations vont vers l'aval
(l'exportation) plus que vers l'amont dont se chargent les négociants.
En nombre très restreint et directement sous le regard des
autorités administratives, ils ont moins de possibilités de
composer avec l'informel. Alors que les négociants travaillent seuls, en
s'appuyant sur des réseaux, les comptoirs emploient du personnel et sont
donc soumis à la législation du travail. Contrairement à
ce que l'on pourrait attendre d'un Etat défaillant, l'administration
congolaise existe bel et bien, ses agents ne manquant pas de le rappeler quand
leur intérêt est en jeu. N'étant que peu, sinon pas
payés, ils vivent en effet de revenus « informels »
fondés sur l'extorsion de ressources monétaires à laquelle
les comptoirs peuvent difficilement échapper.
Ainsi, les vrais gagnants de la filière minière,
sont souvent les négociants plus que les acheteurs. Ces derniers se
plaignent du niveau élevé des taxes, qu'il s'agisse de la
redevance annuelle, des cartes d'acheteur ou des droits de sortie sur les
produits. La contrebande réduit par ailleurs leur chiffre d'affaires. En
réalité, les bénéfices qu'ils tirent de
l'exportation de minerais sont minimes en comparaison
de ceux que le commerce international procure souvent aux
courtiers qui servent d'intermédiaires entre les comptoirs et les
acheteurs des pays industriels.
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