Reflexion sur la justice transitionnelle( Télécharger le fichier original )par N'taho Désitée Florine Victoire Roxann ODOUKPE Ucao/UUA - DEA 2009 |
Section 2 : La persistance des crisesLa persistance de nombreux conflits notamment en Afrique, est due aux ingérences des pays voisins, à l'absence de victoire militaire, aux différends frontaliers mais surtout aux modalités d'intervention des acteurs dans le dialogue. Face à ces phénomènes complexes, la réponse de la communauté internationale continue d'osciller entre imposition timide de la paix non désirée par les belligérants et parrainage de fragiles gouvernements de réconciliation. Ainsi, la persistance des conflits exige une nouvelle approche centrée sur des résolutions politiques prenant autant en compte les facteurs politiques que les facteurs socio-économiques(Paragr.1). Cependant, ces tentatives demeurent des solutions partielles à la résolution des conflits(Paragr.2). Paragr.1 : Des tentatives de résolutions politiques : de la négociation à la médiation La sortie de crise est un moment particulièrement sensible dans le cycle de vie d'un conflit. Mettre fin à l'escalade de la violence, trouver un consensus entre les parties adverses, envisager une reconstruction matérielle, politique et sociale efficace sont des étapes menant à la paix qui devront être soigneusement préparées pour ne pas se solder par un échec, c'est-à-dire une reprise des combats. Dans cette optique, Rod-Larsen, un vétéran de la diplomatie norvégienne déclarait: «les conflits ne peuvent être résolus par les opérations de maintien de la paix. Ils doivent être résolus politiquement65(*)». Cette solution peut être recherchée par la négociation (A) et/ou à la médiation (B). A/ La négociation: Une oeuvre difficile La négociation est un mode de règlement des différends internationaux. Elle est un processus volontaire et informel qui consiste en une communication directe ou indirecte entre deux ou plusieurs parties en vue d'endiguer, voir de résoudre un litige les opposant66(*). La négociation se déroule dans la plupart des cas dans le secret et fait intervenir des diplomates ou des hommes politiques. Dans le cas où le processus aboutit, l'accord trouvé prendra une forme écrite67(*) et acquerra force obligatoire dès qu'il aura été signé. De cette définition, on peut tirer trois caractéristiques de la négociation. Elle est d'abord un processus volontaire en ce sens qu'aucune partie n'est forcée de participer à une négociation. Le recours aux négociations est une option voulue et représente en cela la manifestation de la souveraineté des Etats. Les parties sont libres d'accepter ou de rejeter le résultat des négociations et peuvent se retirer à tout moment du processus68(*). Ensuite, elle est informelle puisqu'il n'existe aucune règle obligatoire en matière de négociation. Les parties sont libres d'en adopter celles qui répondent le mieux à la nature du conflit qui les oppose69(*). Enfin, la négociation est confidentielle pour éviter les pressions politiques, psychologiques et médiatiques, afin de faciliter une transaction sur les positions primitives. Cependant, si la négociation est prisée et encouragée dans les processus de gestion de conflits, elle est parfois méprisée du fait de ses inconvénients et des dérives auxquelles elle peut conduire70(*). Elle peut même être souvent impossible en raison d'un manque de volonté de dialogue de la part des belligérants. Ce refus est fondé sur des raisons subjectives. Ainsi, pour les crises internes, un principe non écrit de ne jamais négocier avec une rébellion a pendant longtemps empêché le recours aux négociations. Selon ce principe, il fallait mâter toute rébellion. Telle fut l'option de Mobutu dans les deux crises du Shaba71(*). Certaines situations de précarité contraignent les Etats à s'abstenir de faire la guerre en raison d'une sagesse commandée par la fragilité de leurs économies. Toutefois, cette sapience n'est pas toujours au rendez-vous et des guerres peuvent survenir, augmentant de façon considérable les dépenses militaires des Etats. Ainsi, au Rwanda par exemple, de 5200 soldats en 1990, l'armée est passée à 50 000 en 1992 avec 12 millions de dollar d'achat d'armes72(*). Cet effort déployé sur l'armement est symptomatique d'un refus du dialogue comme le note Byamuka Nathan: « la tragédie rwandaise a mis en lumière non seulement les limites de la dictature en Afrique mais aussi l'échec de la négociation comme mode de règlement des conflits en Afrique73(*) ». De même, le refus de négociation peut être fondé sur la crainte de légitimation des insurgés. Lorsqu'il s'agit d'un régime démocratique, le pouvoir peut dénier à ceux-ci toute légitimité pour négocier. Quand la démocratie fonctionne, seuls les partis politiques, la société civile et la presse peuvent exprimer les préoccupations des populations. Mais, s'agissant d'un régime dictatorial, le refus du gouvernement de négocier procède de sa volonté de préserver la cohésion sociale comme un mouvement subjectif, dirigée contre la personne du chef de l'Etat et apporte en conséquence une réponse inappropriée. Ainsi, les Tutsi ont été considérés comme des « inyenzi » c'est-à-dire des cancrelats par le régime Hutu74(*), la rébellion de Laurent Kabila a été qualifiée de « traitrise »par le Président Mobutu. Aussi subjectives que méprisantes, ces réponses ne sont pas faites pour faciliter les négociations. De surcroit, aucune partie ne peut être contrainte de poursuivre les négociations. Toute partie qui souhaite mettre fin aux négociations peut le faire à tout moment du processus nonobstant le temps et l'effort qui auraient été investis par l'autre partie. En plus, certains différends ne se prêtent tout simplement pas à la négociation. Il n'y aura pratiquement aucune chance de conclure une entente lorsque les parties sont séparées par des idéologies ou des croyances contraires qui leur permettent de faire peu de concessions réciproques. Par ailleurs, certaines guérillas de plus en plus violentes, n'acceptent plus le dialogue encore moins la négociation comme solution à leur combat. Elles recherchent plutôt la victoire militaire. Observant ces situations, le professeur Luc SINDJOUN75(*) utilise la notion de « résolution hobbesienne des conflits » qui renvoie à la victoire d'une partie au conflit. Selon Thomas Hobbes « l'homme est un loup pour l'homme». De même, «l'état des hommes hors de la société civile ne peut être qu'un état de guerre » puisque « la volonté de nuire en l'état de nature est en tous les hommes76(*)». Ces formules conviennent bien à ces situations dans lesquelles la façon la plus radicale de passer de la guerre à la paix est d'obtenir la victoire par les armes. Telle a été la clé du succès notamment de Sassou Nguesso président de la RDC, de Kabila du Zaïre, de kagamé du Rwanda, de Museveni de l'Ouganda, de Charles Taylor du Libéria et Zenawi de l'Ethiopie. Dans ces conflits, les efforts de résolutions pacifiques ont été vains. Mais en réalité, selon le professeur Sindjoun, « la kalachnikov semble plus présente que le baobab ou l'arbre à palabre77(*)». Toutefois, si les rébellions ont eu assez souvent recours à la méthode « hobbesienne », c'est aussi par manque d'interlocuteur. Elles n'avaient pas d'alternative car le plus souvent « parrainées » par un chef d'Etat voisin. Charles Taylor, au Libéria, aurait bénéficié du soutien de Blaise Compaoré (Président du Burkina-Faso). Paul Kagamé (Président du Rwanda) aurait eu les mêmes avantages de l'Ouganda et en aurait fait profiter Laurent Désiré Kabila. Ces exemples montrent bien les difficultés à réunir les seigneurs de guerre autour d'une table de négociation. Ensuite, il peut être difficile pour les parties à un conflit d'entamer et de conduire à son terme un processus de négociation directe en l'absence d'une tierce partie impartiale. L'une des parties pourrait être tentée d'abuser de l'autre. Enfin, les efforts pour mettre fin à l'impunité peuvent également déstabiliser les processus de paix. Ainsi, les enquêtes, les poursuites et l'application des peines peuvent bloquer les négociations ou relancer le conflit78(*). Au total, la possibilité de refuser la négociation constitue une limite à la solution politico-diplomatique des différends. Toutefois, les belligérants ne sont pas les seuls à rechercher une solution à leur litige, les médiateurs interviennent aussi. B/ La dispersion des efforts des médiateursLe concept de médiation est défini de diverses manières. Cependant, le lexique des termes juridiques considère la médiation comme un modèle de règlement politique des conflits internationaux consistant dans l'interposition d'une tierce puissance qui ne se borne pas à persuader les parties de s'entendre mais leur propose une solution79(*). Charles Rousseau donne une définition synthétique du phénomène lorsqu'il note que la médiation est le fait qui caractérise l'action d'une puissance tierce en vue d'obtenir un arrangement entre deux Etats en litige80(*). La médiation aide à rétablir les rapports entre des personnes en conflit pour qu'elles puissent trouver ensemble une solution à leur problème. Au XXIème siècle, ce concept a été élargi aux conflits internes. Pour chaque crise survenue notamment en Afrique, on a noté une multiplicité des intervenants: des grandes puissances, des chefs d'Etat agissant à titre personnel ou au nom d'organisations sous régionales ou internationales. Chaque médiateur a sa propre sensibilité, sa propre compréhension du conflit et sa solution. Cette diversité d'approche peut être une source d'enrichissement si les efforts des médiateurs sont coordonnés. Chacun peut ainsi connaître la solution de l'autre et améliorer la sienne. Toutefois, dans la pratique, chacun des intervenants agit isolément et propose in cognito son projet de résolution du conflit aux parties belligérantes. Ces diverses propositions de solution ne favorisent guère une résolution rapide du conflit car chacune des parties au conflit a alors tendance à attendre qu'une proposition alléchante lui soit faite. Il y a lieu cependant de regretter que ne soit mise sur pied, à l'occasion de chaque conflit, une sorte de structure souple chargée de recueillir les propositions, de les confronter pour les améliorer avant de les proposer aux parties. Il pourrait s'agir d'un chef d'Etat ou d'une personnalité internationalement connue et ayant les compétences requises en matière de règlement des conflits. Il pourrait jouer par exemple le rôle de facilitateur. Certes, dans certaines crises notamment au Rwanda, au Burundi et en RDC, des facilitateurs ont été désignés. Il s'agit du Président tanzanien Julius Nyéréré81(*), pour le Rwanda et le Burundi, et de Massiré du Botswana pour la RDC. Leur rôle s'est malheureusement limité à une médiation de type classique, si bien que la solution formulée pour le Rwanda qui consistait pour le FPR82(*) à déposer les armes, à intégrer l'Armée Nationale et à obtenir quelques postes ministériels, ne résolvait pas la coexistence des deux ethnies du pays et leur modalité de participation à la vie politique du pays. C'est pourquoi la guerre a repris en 1994. En RDC, la paix n'est pas encore au rendez-vous. Quant au Burundi, bien que Mandela ait proposé une solution révolutionnaire83(*), la paix n'est pas totalement revenue, certains groupes extrémistes prônant toujours la violence. En définitive, la diversité des médiations à l'occasion de chaque crise n'a jamais pu constituer une chance de règlement de la crise. Les médiations tout comme les négociations ont leurs limites car elles semblent apaiser les conflits mais ne les résolvent pas au fond. Elles sont une sorte de résolution partielle des conflits. Paragr2 : Des solutions partielles Les solutions de sorties de crises demandent des efforts et sacrifices tant de l'Etat que des rebelles. Ces sacrifices doivent en principe permettre de trouver un terrain d'entente à l'issu du conflit. Cependant, les motivations politiques des médiateurs (A) et la non prise en compte de la question des droits humains (B) constituent deux principales entraves et ne semblent pas être en faveur d'une sortie de crise durable. A/ La médiation : une réponse à des motivations politiques Pour qu'il y ait médiation, il faut qu'il y ait conflit à résoudre. Le rôle du médiateur consiste donc à aider à trouver un terrain d'entente, faciliter la mise en place du processus de démilitarisation et présenter des propositions capables de mettre un terme au différend. Dans la majorité des pays africains, de plus en plus de médiations sont exercées à titre personnel. La médiation à titre personnel n'est pas forcément une médiation individuelle. En effet, quand un chef d'Etat prend une initiative dans un conflit, sa médiation est individuelle; elle est personnelle dans la mesure où il n'est mandaté par aucune organisation84(*). Selon Marc Massamba les médiations des chefs d'Etat dans les conflits servent «à expliquer les difficultés internes, à contenir par leur évocation la poussée des revendications des populations85(*),». Cela ne peut valablement se comprendre que dans le contexte des pouvoirs politiques africains qui ne « sont en général pas assis sur une légitimité réelle et donc sont très instables86(*)». De plus, la démocratisation des Etats africains à connu de multiples revers. On observe d'une part, une recrudescence des coups d'Etat militaires87(*), D'autre part, des rebellions sont sorties victorieuses contre des régimes en place. Ainsi, au Congo, Pascal Lissouba fut évincé en 1997, Habyarimana au Rwanda en 1994 et Mobutu au Zaïre en 1997. Tous les nouveaux régimes ont eu pour point commun de mettre un terme, tout au moins de ralentir considérablement la démocratisation de leur Etat. Très peu parmi les nouveaux chefs d'Etat ont eu à exercer des médiations en raison de l'instabilité politique et sociale chronique ayant suivi leur accession au pouvoir. Le personnel politique s'est renouvelé, mais les racines de la personnalisation du pouvoir n'ont pas été extirpées et la médiation personnelle a de beaux jours devant elle dans la mesure où le chef d'Etat qui l'entreprend peut en tirer un avantage. Marc Massamba utilise la notion « d'assurance vie88(*)» pour caractériser la situation d'un chef d'Etat qui, bénéficiant des retombées des médiations qu'il a eu à entreprendre et surtout à réussir auprès de certains Etats, peut bénéficier de l'asile politique dans ces Etats lorsqu'il sera déchu. La médiation personnelle sert donc accessoirement à raffermir les relations interpersonnelles qui serviront plus tard. Par ailleurs, le règlement des conflits par médiation des chefs d'Etat constitue un mécanisme précaire. Trois éléments pourraient justifier cette précarité. D'abord, la médiation est conduite par les chefs d'Etat sans règles de procédure préalablement établies et admises. C'est la raison pour laquelle il arrive qu'un protagoniste refuse les règles et boycotte les négociations. Ensuite, la médiation n'étant assortie d'aucune sanction, le non respect des engagements par les parties est sans conséquence car la médiation est avant tout une procédure politique liée à la bonne volonté des belligérants. Enfin, l'autre source de précarité du mécanisme réside dans le fait que souvent le conflit peut rebondir malgré la médiation. Les effets des conflits ruinent tout espoir de développement économique. Il est donc nécessaire que des chefs d'Etat s'occupent de leur règlement car, comme le recommande la sagesse africaine, « lorsque la case du voisin brûle, il est plus prudent de l'aider que de s'abstenir89(*)». Mais faut-il l'aider aux mépris des droits humains ? B/ Des obstacles à la promotion des droits humains Lorsque des belligérants négocient en vue du règlement d'une crise, aucun aspect de celle-ci ne doit être occulté au risque de fragiliser les solutions obtenues. Pourtant, il arrive que certaines questions soient exclues volontairement par les belligérants, l'une des parties étant persuadée sans doute que l'autre partie ne s'en rendra pas compte. Ainsi, les négociations menées entre belligérants ou avec l'appui de médiateurs peut exclure des thèmes. Parmi ceux-ci, le problème de la question des violations massives des droits de l'homme. Les conflits internes en Afrique sont de plus en plus caractérisés par des violations massives des droits humains. Aussi bien pour les armées africaines que pour les groupes armés, la terreur est devenue un moyen de combat. Des innocents sont torturés, mutilés, violés ou exécutés pour une supposée collaboration, parfois non vérifiée, avec l'ennemi ou pour décourager toute collusion avec lui. Des enfants sont enlevés, drogués puis enrôlés par des groupes armés pour commettre des exactions. Quant à l'aide humanitaire, elle est systématiquement pillée et les employés des organisations internationales sont pris comme otages pour servir soit de bouclier contre d'éventuelles attaques, soit de gage pour l'obtention de rançons. Les conflits en Sierra Léone, au Libéria ou en Somalie ont été ceux qui ont réuni toutes les violations de droits de l'homme rencontrées dans les guerres. Mais à la table de négociation, il est souvent difficile de concilier le besoin de réconciliation nationale avec le désir de justice des victimes. Autrement, une justice non rendue ou mal rendue constitue un frein à la réconciliation nationale. Par ailleurs, dans le cadre d'une médiation, le règlement des conflits par un chef d'Etat peut aussi constituer un obstacle au développement des droits de l'homme et des peuples. En effet, de très nombreux conflits internes ont pour cause une violation des droits des citoyens par les dirigeants. Certes la charte de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA) est muette sur la question des droits humains, mais à l'occasion de la 18e conférence au sommet de l'OUA réunie à Nairobi au Kenya, le 28 juin 198190(*), les dirigeants africains ont adopté une charte africaine des droits de l'homme. Cependant, en dépit de la pertinence des dispositions de celle-ci, les chefs d'Etat ne dénonceront jamais un des leurs, un frère, puisque la médiation repose sur une idée de conciliation, de réconciliation et non de dénonciation. D'ailleurs, c'est sans doute une des raisons pour lesquelles on observe une violation de plus en plus grave et flagrante des droits de l'homme dans les conflits, notamment, en Afrique91(*). En dépit des avancées réalisées en matière de démocratisation des Etats, l'ensemble des pays d'Afrique et particulièrement ceux d'Afrique centrale et des Grands Lacs, souffrent de vulnérabilité. Cette vulnérabilité frappe en particulier les quatre pays qui ont sombré dans la barbarie, dans une violence politique extrème. Il s'agit du Burundi avec l'assassinat en 1993 du président élu, Melchior Ndadaye et la rébellion subséquente, du Rwanda avec son génocide de 1994, de l'ex-Zaïre avec ses rébellions de 1996 et de 1998, et enfin du Congo-Brazzaville avec la guerre civile en 1997 et 1999. Dirigés par des régimes d'exception, fondés sur la force des armes et non sur le libre consentement des citoyens, ces pays n'ont ni constitution, ni gouvernement et Parlement élus, ni contre-pouvoirs chargés de la protection des droits de l'homme et du citoyen. Désormais ces pays sont soumis au règne de l'arbitraire à cause de l'inexistence de la sécurité judiciaire qui exige la remise au juge de l'intégralité de la fonction répressive et la garantie de la règle applicable. L'arbitrage repose également sur la primauté des tribunaux militaires sur les juridictions civiles. On comprend pourquoi ces Etats sont tombés dans « l'état de nature » où « l'homme est un loup pour l'homme », selon l'expression de Hobbes. Enfin, il est important de signaler qu'à côté de la question des violations massives des droits humains, existe le problème de la question nationale. Celle-ci concerne des groupes armés qui, au sein d'un Etat, se battent non pas pour prendre le pouvoir d'Etat, mais pour obtenir l'autonomie ou l'indépendance d'un groupe social homogène pour constituer une nation. De tels conflits sont survenus notamment au Biafra (Nigéria), en Casamance (Sénégal), au Mali et au Niger (Touareg). En effet, toute frustration ressentie par un groupe social peut être l'occasion d'une lutte pour se démarquer de l'Etat. Mais lorsque le conflit survient et que la négociation arrive à être instaurée, elle butte très souvent sur cette question nationale92(*). Pour les Etats, la négociation peut porter sur tout sauf l'intégrité territoriale. La partition ne saurait être évoquée selon eux. «Tout est négociable sauf l'intégrité territoriale et l'unité de la nation » disait le Président Abdou Diouf à propos de la Casamance93(*). De l'autre côté, les groupes armés peuvent faire des concessions telles que la signature d'un cessez-le-feu mais sans déposer les armes et encore moins renoncer à leur idéal indépendantiste. Dans les conflits internes, ce rejet des prétentions territoriales n'est pas évoqué à la table des négociations par les représentants de l'Etat plus désireux d'une paix immédiate que porteurs d'une vision prospective. Au total, la négociation tout comme la médiation paraissent bien difficiles à mener, surtout en Afrique, à cause de la partialité des acteurs et de l'exclusion des thèmes. C'est pour y remédier qu'il est possible d'envisager d'autres voies et moyens qui pourraient combiner à la fois la lutte contre l'impunité, la recherche de la vérité et la protection des droits humains. En d'autres termes,il s'agit de mettre en place un mécanisme mixte dans le cadre de la justice transitionnelle. DEUXIEME PARTIE : LA JUSTICE TRANSITIONNELLE : UN MECANISME MIXTE Lorsqu'une transition politique se met en place à la suite d'une période de violence ou de répression, la société est souvent confrontée à l'héritage difficile des violations des droits de l'homme. Afin d'encourager la justice, la paix et la réconciliation, les gouvernements et les défenseurs des droits de l'homme peuvent envisager des réponses à la fois judiciaires et non judiciaires aux violations des droits humains. Cela s'explique par le fait que les principes gouvernant la justice transitionnelle sont à l'image de sa nature hybride. En effet, son caractère répressif se fonde sur la fonction principale du droit pénal. Cette fonction met en exergue la « nécessité de punir et de sanctionner dans les limites légales tout auteur de crime, dans l'intérêt général, les comportements dangereux à l'ordre public et contraires aux exigences de la vie en société»94(*). L'autre face de cette justice, quelque peu contradictoire avec la précédente, elle est dite restauratrice. Elle fait appel à des mesures parajudiciaires qui permettent néanmoins de faire la lumière sur les violations du passé et de prendre en compte les victimes à travers les réparations à elles octroyées. Dès lors, elle agit directement sur les deux protagonistes de la violation sans passer par un règlement judiciaire, avec une forte propension à pallier l'improbabilité de poursuites pénales massives. Ainsi, les commissions vérité, les tribunaux pénaux internationaux, les réparations et les excuses publiques sont devenus entre autre les nouveaux mantras de l'après-guerre froide. Ces mécanismes sont de plus en plus utilisés simultanément afin de parvenir à un sens de la justice plus global et d'une plus grande portée. Ils visent à «réconcilier des sociétés victimes de violations massives de droits de l'homme et à promouvoir des dynamiques de réformes et de démocratisation, avec pour objectif ultime : la stabilisation des foyers de tension95(*)». Ces instruments sont-ils efficaces? On peut appréhender leur impact en examinant le fonctionnement des mécanismes généraux ou classiques d'une part (Chapitre I) et celui des mécanismes extra-judiciaires ou spécifique d'autre part (Chapitre II). Chapitre I: LES MECANISMES GENERAUX DE LA JUSTICE Les mécanismes généraux de la justice constituent l'ensemble des politiques de châtiment dont l'acte fondateur fut la création des tribunaux militaires interalliés de Nuremberg : tribunaux pénaux internationaux, tribunaux semi internationaux, Cour pénale internationale, tribunaux nationaux. Leur objet est la répression des crimes internationaux (crimes de guerre, crime contre l'humanité et crimes de génocide), et, également selon leur mandat, des violations graves des droits de l'homme. Le châtiment peut potentiellement administrer une justice satisfaisante et réconciliante ou mettre en danger les processus de réconciliation et de démocratisation. La justice classique tend à se concentrer sur les agresseurs et à ignorer ou mettre à l'écart les sentiments et besoins des victimes. De plus, les procès peuvent parfois attiser les antagonismes et gêner le processus de réconciliation. Dès lors, il s'avère impérieux de connaître les fondements des poursuites pénales dans la théorie classique (Section 1) avant d'examiner les différentes juridictions pénales (Section 2). * 65 Uri Savir, Peace first: a new model to end war, California, Berrett-Koehler, 2009, p.56. * 66 Cette définition est un essai de synthèse de plusieurs définitions données par différents auteurs ; elle présente cependant l'avantage d'intégrer les différents aspects de la négociation. * 67 Telle qu'une déclaration commune, un échange de notes, un traité. * 68 Même si les négociations sont arrivées à une étape très poussée, un Etat reste juridiquement libre de continuer ou de mettre un terme aux pourparlers entamés. * 69 Les parties devront généralement s'entendre sur des sujets tels que l'objet ou l'ordre du jour des négociations ainsi que le nombre de séances qui leur sont consacrées, de même que sur les questions portant sur le nombre de représentants pour chaque partie. * 70 Ces inconvénients et dérives peuvent notamment être la méfiance, le risque rupture, le non contrôle du processus, la non expertise du négociateur dans le domaine, le non respect du délai. * 71 Perspective Monde, «Déclenchement du conflit du Shaba en RDC», Université de Sherbrooke, 2005, pp.21-22. Le Shaba était un conflit entre les Etats voisins du Zaïre et l'Angola en 1977. Il fut sans doute une conséquence de l'appui du Zaïre pour le Front National pour la Libération de l'Angola ( FNLA) et des factions de l'Union Nationale pour l'Indépendance Totale de l'Angola (UNITA) dans la guerre civile angolaise. Le conflit a débuté le 8 Mars 1977 lorsqu'une force rebelle de 1500 hommes, membres du Front pour la libération nationale du Congo (FLNC) envahirent Shaba, une province dans le sud-ouest de l'ex-Zaïre, avec l'appui du gouvernement angolais. Le président Mobutu Sese Seko de l'ex-Zaïre a demandé un appui extérieur le 2 avril de la même année La guerre a pris fin lorsque les troupes marocaines, acheminées au Zaïre le 10 avril par le gouvernement français, repoussèrent les FNLC. L'attaque a entraîné des représailles du gouvernement congolais, qui a conduit à l'exode massif de réfugiés et à l'instabilité. Le FLNC a procédé à une seconde invasion (Shaba II), l'année suivante, soit en 1978 à Gemene (nord Kivu). Le FLNC a battu les «gardiens de la paix de l'ONU» ; 50.000 civils et soldats ont été tués dans le conflit. * 72 Gabriel Périès, Une guerre noire : enquête sur le génocide rwandais (1959-1994), Paris, La Découverte, 2007, p.248. * 73 Byamuku Nathan, «Security and conflict resolution in East Africa» in Africa politics and economies, n°7, avril 1995, p.1. * 74 Jean-Claude WILLAME, « Rwanda / Afrique centrale : guerre, nation et pardon », Toudi, mensuel n°28-29, mai-juin 2000 in www.larevuetoudi.org/fr/story/rwanda-afrique-centrale-guerre-nation-et-pardon (consulté le 2 novembre 2009).* 75 Luc Sindjoun et Daniel Bach, «Ordre et désordre en Afrique», Revue Polis, vol.4, n°2, novembre 1997, pp.5-15. * 76 Thomas Hobbes, Le citoyen ou les fondements de la politique, Paris, Flammarion, 1982, pp.89-95. * 77 Luc Sindjoun et Daniel Bach, op.cit., p.12. * 78 Conseil International pour l'Etude des Droits Humains, Négocier la justice ? Droits Humains et accords de paix, Genève, ICHRP, 2006, p.6. * 79 Guillien Raymond et Vincent Jean, Lexique des termes juridiques 2010, Paris, Dalloz, 17e édition, 2009, p. 461. * 80 Charles Rousseau, Droit international public, Paris, Précis Dalloz, 2e édition, 1984, p. 232. * 81 A sa mort, il a été remplacé par l'ancien Président sud africain Nelson Mandela. * 82 Le Front Patriotique Rwandais (FPR) crée en Ouganda en 1987, est une organisation politique offensive vouée au retour des réfugiés tutsi dans leur pays. * 83 Accord de paix du 28 août 2000 signé à Arusha (Tanzanie), prévoyant une transition de 30 mois qui commencerait dans un délai de 3 à 6 mois et qui prévoirait un partage du pouvoir, un cessez-le-feu, l'intégration des rebelles dans l'armée nationale et une réforme judiciaire. * 84 Il peut arriver qu'un groupe de chefs d'Etat prenne la décision de s'engager pour la résolution d'un conflit, leur médiation n'en sera pas moins personnelle si elle n'est pas faite pour le compte ou au nom d'une organisation intergouvernementale. * 85 Massamba Marc, Le rôle des chefs d'Etats dans la résolution des conflits interafricains au sud du Sahara, thèse de doctorat d'Etat de droit, Paris II, 1988, p.385. * 86 Idem. * 87 Tels furent les cas en Gambie (1994), au Niger (1996), au Burundi (1996), et en Côte d'Ivoire (1999). * 88 Marc Massamba, op. cit, p. 386. * 89 CABAKULU Mwamba, Proverbes africains, Marabout, Paris, 2003, p. 275. * 90 Ngom Saliou Benoit, Les droits de l'homme en Afrique, Paris, Silex, 1984, p.110. * 91 Sady Sidy, Résolution des conflits en Afrique, thèse pour le doctorat d'Etat en Sciences Politiques, Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal), janvier 2003, p. 143. Il convient d'indiquer à cet égard que les exécutions sommaires et extra judiciaires, les tortures, mutilations et viols massifs sont de plus en plus utilisés car presque toujours, la médiation qui suppose réconciliation assure une impunité aux auteurs de ces crimes. * 92 SADY Sidy, La résolution des conflits en Afrique, thèse pour le doctorat d'Etat en Sciences Politiques, Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal), janvier 2003, p.159. * 93 Habib Thiam, Par devoir et par amitié, Monaco, Ed. du Rocher, 2001, p.171. * 94 -Frédéric DESPORTES/ Francis Le GUNEHEC, « Le nouveau droit pénal », tome1, Droit pénal général, Paris, Economia, 7è édition, 2000, p.23 * 95 Pierre Hazan, «Measuring the impact of punishment and forgiveness: a framework for evaluating transitional justice», International Review of the Red Cross, vol 88, num 861, mars 2006, pp. 343-346. |
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