Il faut distinguer différentes modalités lors
de la constitution des sûretés réelles. Ces
modalités ne sont pas le fruit d'un régime juridique unique de la
formation des sûretés réelles. Elles sont définies
par l'AU-OS au cas par cas. Certains des mécanismes ainsi
définies participent des conditions de validité de la
sûreté, tandis que d'autres n'ont de valeur que la preuve et
l'opposabilité aux tiers. Parmi ces dernières, certaines peuvent
donc être facultatives. Mais dans l'ensemble, les régimes des
sûretés réelles bondent de procédures d'ordre public
et donc contraignantes auxquelles le créancier
bénéficiaire et le
46 Voir le « Relevé des
conclusions et recommandations du séminaire » tenu du 24 au 26
avril 2002 au Centre Ouest-Africain de Formation et d'Etudes Bancaires
(COFEB), www.bceao.int. Voir aussi les « recommandations
» d'un séminaire organisé à Yaoundé du 22
octobre au 2 novembre 2007 sur le « Développement des secteurs
financiers inclusifs et d'instruments juridiques comme moyens de lutte contre
la pauvreté » , FinanceEco N° 005 - Novembre 2007.
débiteur ne peuvent se soustraire. Ces
modalités relèvent aussi bien de la constitution des actes de
sûretés réelles (A) que des formalités
d'enregistrement et de publicité de ceux-ci (B).
A - L'élaboration des actes
En matière d'élaboration des actes constitutifs de
sûretés réelles, une attention égale doit être
accordée à la forme de ceux-ci et à leur contenu.
En dehors du gage47, toutes les autres
sûretés réelles conventionnelles doivent être
constituées sous la forme d'un écrit. Pour le gage,
l'écrit sert à faire la preuve de son existence, et on peut
penser que cette preuve peut être faite par d'autres moyens. Il s'agit
donc d'une formalité ad probationem qui ne pose pas de
difficulté particulière aux COOPEC. Dans la pratique
néanmoins, ces EMF établissent presque toujours un contrat de
gage, l'écrit restant un des moyens de preuve les plus efficaces et
renseignant mieux sur les termes d'un contrat. Un acte sous seing privé
suffit à cet effet48. La difficulté quant à
l'élaboration des actes concerne donc les autres
sûretés.
Pour tous les nantissements et bien que l'Acte uniforme ne le
prévoit pas comme une condition générale, la forme
solennelle est requise. L'acte de nantissement doit prendre la forme d'un
écrit sous seing privé ou authentique. C'est un truisme que de
dire que les COOPEC préfèrent naturellement de loin l'acte sous
seing privé au contrat notarié. D'autres actes peuvent se greffer
au contrat de nantissement pour que celui-ci produise ses effets. C'est le cas
du bordereau de nantissement lorsqu'il s'agit du nantissement des stocks. A
côté de l'acte authentique ou sous seing privé (contrat de
nantissement) et à la suite de celui-ci, contrairement à ce que
suggère l'ordre des articles 100 et 101 AU-OS, le constituant doit
émettre en faveur du créancier un bordereau de nantissement. Avec
le nantissement, commence à véritablement se dessiner les
difficultés inhérentes aux sûretés réelles.
L'option des COOPEC pour les actes sous seing privé en la matière
n'est rien d'autres qu'une échappatoire à l'élaboration
complexe d'un acte notarié. Ce faisant, elles
4 7 Exception faite du gage sur titre de créance. Le
gage sur titre de créance doit toujours être constaté par
un écrit (art 50 AU-OS) qui a cependant la même valeur que tous
les contrats de gage. ISSA-SAYEGH (J) et al, Op. Cit. p 88.
48 ISSA-SAYEGH (J) et al, Op. Cit. pp 84, 85 et
88.
perdent le bénéfice du devoir d'information du
notaire qui leur expliquerait de façon détaillée, ainsi
qu'au constituant, en quoi consiste la sûreté, son régime
juridique et surtout ses effets à l'égard des parties
contractantes et mettrait en oeuvre le mandat légal dont il est
titulaire pour l'enregistrement en lieu et place des parties aux actes
établis sous sa juridiction.
En considérant l'hypothèque, les griefs
à l'égard des autres sûretés réelles quant
à l'élaboration des actes semblent soudain si
négligeables. C'est que l'hypothèque (conventionnelle) est de
bien loin la plus contraignante en la matière. Il faut au
préalable justifier de sa propriété foncière par la
possession d'un titre foncier ou alors que l'on a une demande d'immatriculation
sur le point d'aboutir. Très peu de terrains faisant l'objet
d'immatriculation actuellement dans notre pays, c'est parfois lorsqu'on pense
à offrir une hypothèque en garantie du paiement d'un
crédit que la demande est introduite auprès du sous-préfet
ou du chef de district du lieu de situation de l'immeuble. Lorsque l'emprunteur
est titulaire d'un titre foncier, l' EMF doit s'assurer de la valeur de
l'immeuble en demandant une expertise immobilière de même qu'une
attestation de non hypothèque pour s'assurer de la disponibilité
de l'immeuble. Ensuite, il faut dresser un contrat en la forme notariée.
Parfois, l'emprunteur n'étant pas légalement propriétaire
de l'immeuble (immeuble familial par exemple), il doit obtenir une procuration,
elle aussi sous la forme d'un acte authentique, avant de pouvoir offrir une
hypothèque. Rappelons ici que la possession du titre foncier de
l'emprunteur ne constitue pas une hypothèque mais un gage non
constaté par un écrit ou la mise en oeuvre du droit de
rétention de cet instrumentum par le créancier et dont
le seul intérêt est d'empêcher le propriétaire
d'accorder d'autres hypothèques de rang inférieur. Le
créancier qui a reçu l'expédition de la convention
d'hypothèque du notaire jouit de tous les droits que confère
l'hypothèque à son bénéficiaire ; il n'a nullement
besoin de garder par devers soit le titre foncier pour ces fins. De fait, en
raison de cette pratique qui consiste à retenir le titre foncier
à la suite de la prise d'une hypothèque, il n'existe presque pas
d'hypothèques multiples avec rangs différents sur un même
immeuble au Cameroun.
Relativement au contenu des actes, il est pratiquement le
même pour les actes de constitution de la sûreté
réelle, quelles que soient les nuances. Même lorsqu'il s'agit
d'une sûreté forcée judiciaire, la décision de
justice portera les mentions similaires49. C'est à
l'occasion du nantissement que le législateur
communautaire énumère ces mentions, l'écrit en
matière de gage étant facultatif et l'article 128 de l'Acte
uniforme ayant confié la rédaction de la convention
d'hypothèque à un notaire ou aux parties mais sur des formulaires
administratifs50. Les mentions exigées à peine de
nullité de l'acte peuvent être regroupées en trois
catégories : l'identification des parties (débiteur, constituant
et créancier), l'identification du bien offert en sûreté et
la cause de la sûreté (créance garantie).
L'identification des débiteurs, constituant et
créancier consistent en la mention de leurs prénoms, noms et
domiciles. Le siège social et le numéro d'immatriculation au RCCM
s'il sont des personnes morales assujettis à cette inscription. Dans le
cas des personnes morales non assujetties à cette inscription, on peut
penser qu'elles sont tenues d'indiquer leur numéro d'inscription au
registre qui convient sous la même peine. Ce serait le cas des
sociétés coopératives assujetties à l'inscription
au registre des coopératives et des groupes d'initiative commune (GIC).
La mention de l'agrément devrait au moins permettre d'avoir une
identification plus complète des établissements de crédit
et des EMF même si elle n'est pas considérée comme une
obligation dont le défaut est sanctionnée par la nullité.
L'élection de domicile du créancier (dans le ressort de la
juridiction où est tenu le RCCM ou chez le notaire ayant officier
à l'occasion) est aussi requise.
L'identification du bien renvoie à une description
détaillée et minutieuse de celui-ci : désignation
précise du bien, sa nature (genre et nombre), sa valeur, sa localisation
physique, ses démembrements (le cas d'un fonds de commerce avec le
siège principal et celui des succursales), le numéro
d'immatriculation du bien, les charges le grevant, le nom de l'assureur s'il y
a lieu, etc. Bien entendu, toutes ces mentions ne sont pas obligatoires pour
toutes les formes de sûreté réelle. Une chose est
sûre cependant, il faut présenter le bien de façon à
le rendre identifiable au sein de biens de même nature,
désignation ou valeur.
Pour la créance, la mention de son montant et des
conditions d'exigibilité du principal et des intérêts
suffit. Mais il serait de bonne pratique d'énoncer tous les termes
substantiels du crédit voire, d'annexer la convention d'ouverture de
crédit à l'acte de sûreté.
commentaire sous l'article 70. Malgré l'erreur sous
l'article 94, il s'agit bien d'un renvoi opportun au commentaire de l'article
65 comme le témoigne le renvoi sous l'article 101.
50 Au Cameroun, seul l'acte notarié est admis
en vertu de l'article 8 de l'Ordonnance N° 74/1 du 06 juillet 1994 fixant
le régime foncier.
Le contenu du bordereau de nantissement diffère de
celui des actes constitutifs des sûretés réelles. Tombant
sous le régime des effets de commerce, il s'inspire des mentions
obligatoires dans ce domaine. L'acte doit ainsi porter la mention «
bordereau de nantissement », la date de délivrance qui est en
réalité la date d'inscription du nantissement des stocks au RCCM,
le numéro d'inscription au registre chronologique et la signature du
débiteur51.
Pour des COOPEC situées en majorité en milieu
rural, ce serait l'idéal de pouvoir élaborer avec succès
de tels actes. Quand bien même ceux-ci peuvent être
élaborés par les parties sous la forme d'un acte sous seing
privé, ils requièrent une expertise minimum pour la prise en
compte des mentions obligatoires. Or, moins de 10% du personnel de ces caisses
possèdent les qualifications juridiques requises ou une
expérience confirmée dans ces matières52. La
présence d'un notaire n'est pas toujours garantie et nous verrons
qu'elle emporte d'autres contraintes53. La publicité des
actes après leur formation aggrave les griefs faits par les COOPEC aux
sûretés réelles.
B - Les formalités de publicité :
l'enregistrement et l'inscription des actes
L'enregistrement est-il l'inscription? Qu'est ce que
l'enregistrement ? En quoi consiste l'inscription? L'inscription a-t-elle
valeur d'enregistrement et vice versa? En prenant pour exemple le nantissement
des stocks, voici comment le législateur OHADA énonce les
règles relatives à l'enregistrement : « le nantissement des
stocks est constitué par un acte authentique ou sous seing privé
dûment enregistré »54, « le nantissement des
stocks ne produit effet que s'il est inscrit au Registre du Commerce et du
Crédit Mobilier ... »55. Il s'agit ici clairement de
deux formalités distinctes. Seulement, le législateur n'a pas
précisé à quelle fin ni où l'acte devait être
enregistré comme c'est le cas pour l'inscription. Il a donc
lui-même ouvert « la boîte de Pandore » et ne peut
vraiment porter le reproche aux auteurs qui n'y ont pas fait attention. On en
est ainsi arrivé à parler
d' « enregistrement au RCCM » qui ne serait pas
nécessaire au motif que l'enregistrement et l'inscription auraient alors
le même objet.
51 Art 103 AU-OS
52 Source : notre enquête menée sur un
échantillon comprenant le personnel de la ligue et celui de certaines
COOPEC de la ville de B amenda.
53 Voir § 2 ci-après: les coûts
liés à l'usage des sûretés réelles.
54 Art 100 AU-OS
55 Art 101 AU-OS
L'enregistrement s'entend suivant le Lexique des termes
juridiques d'une « formalité fiscale, obligatoire ou
volontaire, consistant en l'analyse ou la mention d'un acte juridique sur un
registre, donnant lieu à la perception de droits par l 'Etat et
conférant date certaine aux actes sous seing privé, qui en sont
dépourvus ». L'enregistrement est donc avant tout une
modalité d'imposition. A ce titre, il se fait au centre des impôts
compétent sur un registre ouvert à cet effet. Il est ensuite une
modalité de publicité qui donne date certaine aux actes sous
seing privés. C'est dans cette seconde nature qu'il rejoint
l'inscription. Cette dernière est définie par le même
lexique comme une « formalité par laquelle est obtenue la
publicité de certains actes portant sur des immeubles (...) ou sur
certains meubles ». Ce n'est donc qu'une formalité de
publicité dont le seul objet est d'informer les tiers de l'existence
d'un acte qui leur devient opposable mutatis mutandis. L'inscription
se fait dans un registre d'une administration spécialisée dans
une activité précise : RCCM, Registre Foncier, Registre de la
propriété intellectuelle, Registre du transport, etc. Elle donne
rang à la sûreté en cas de pluralité de
sûretés sur le même bien.
Le reproche du « double emploi »56 fait
à l'Acte uniforme est donc légitime quant à la
publicité. Mais pour que l'enregistrement soit supprimé, le
législateur doit renoncer à un impôt. Quand bien même
l'Acte uniforme n'aurait pas institué la formalité
d'enregistrement, ces actes seraient restés assujettis à ladite
formalité dans le contexte camerounais parce que ne faisant pas partie
de la catégorie des actes exempts d'enregistrement57. La
suppression de la formalité d'enregistrement serait heureuse pour les
COOPEC.
Le gage ne fait intervenir les formalités
d'enregistrement et d'inscription que lorsqu'il est constaté par un
écrit. En l'état actuel du droit, le greffier devrait rejeter une
demande d'inscription au RCCM d'un contrat de gage qui n'a pas fait l'objet
d'un enregistrement préalable. Peu importe que l'acte soit authentique
ou non.
Le nantissement du matériel professionnel requiert
l'enregistrement et l'inscription au RCCM. En plus de ces deux
formalités, il faut procéder à une inscription du
nantissement des véhicules automobiles au Registre de transport et en
porter mention sur le titre administratif portant autorisation de circuler et
immatriculation (carte grise) ; ce qui aggrave véritablement le
formalisme de cette sûreté bien qu'en renforçant sa
sécurité. Elle pourrait être avantageusement
allégée par la suppression de l'inscription au RCCM.
56 ISSA-SAYEG (J), Op. Cit. p 134.
57 Art 338 CGI 2007
L'inscription est valable pour cinq ans. S'agissant du
nantissement des stocks, il doit être enregistré puis inscrit au
RCCM pour une validité d'un an. Comme pour toutes ces
sûretés, le renouvellement est permis.
L'hypothèque est quant à elle enregistrée
à la diligence du notaire ayant officié. Elle est inscrite au
Registre foncier pour une validité de cinq ans.
Ces formalités sont décidément trop
lourdes pour des établissements de petite taille. Dans le contexte
camerounais, elles sont également contraignantes en raison de la faible
couverture du territoire par l'administration judiciaire et de la concentration
des officiers ministériels et des notaires en particulier dans les
villes. Il faudra parfois plus de quatre jours de voyage à un Officier
de Crédit pour se rendre au greffe de son ressort alors que sa COOPEC ne
pouvant s'offrir le luxe de deux Officiers, il officie tout seul. L'enclavement
géographique aggrave donc le mal, et, l'on s'en doute bien, les
coûts.