SECTION II : LES ENTRAVES ENDOGENES
Ces entraves sont internes à la Communauté et
sont de plusieurs ordres. Nous ne retiendrons que celles liées à
la libre circulation des biens et personnes (réticence des Etats,
tracasserie douanière), à l'information et à la faiblesse
financière.
A- la libre circulation des personnes et des biens et
services 1- la réticence des Etats
Pour les économies en construction des Etats membres de
la CEDEAO, le commerce totalement libre entre les Etats membres de la CEDEAO
est un facteur indéniable. La promotion du commerce et des industries
parait fortement compatible avec une liberté totale de circulation des
produits originaires.
Conscient de cette situation, le Traité
Révisé de la CEDEAO, organise entre les Etats membres, une libre
circulation des marchandises dans le cadre d'une zone de libre échange.
Il n'y a pas de restriction quantitative, la circulation des produits du cru et
de l'artisanat traditionnel ne subissent aucune coercition tarifaire à
l'importation. De même, les produits
industriels originaires ont une taxation réduite par un
régime préférentiel spécial et un TEC pour le
commerce avec le reste du monde. Malgré la souplesse de ce
système en vigueur depuis 1975, on constate néanmoins des
réticences multiformes de la part des Etats membres à mettre en
oeuvre les concessions qu'ils se sont faits.
Dans cette optique nous prendrons en exemple le Nigeria qui
protège fortement son agriculture et ses industries ; or il devrait
l'ouvrir aux autres membres de la Communauté dans la mesure où il
est la première économie de la Communauté et à ce
titre, il en devrait être le moteur de son intégration. Le
comportement du Nigeria dans le cadre des négociations du TEC CEDEAO
n'est pas fort louable. Le TEC dans sa négociation actuel comprend cinq
catégories de tarifs : la catégorie 1 (0% de droit :
denrées de première nécessité, services publics,
médicaments, machineries et équipements industriels) ; la
catégorie 2 (5%de droit : matières premières) ; la
catégorie 3 (10% de droit : produits intermédiaires) ;
catégorie 4 (20% de droit : produits finis) et la catégorie 5
(50% de droit : produits du luxe). Egalement chaque Etat dispose d'une liste
d'exceptions, comprenant les produits aux droits de douane différents de
ceux du TEC. Le Nigeria compte au totale à lui seule 308 lignes
tarifaires sur la liste d'exceptions de type B comprenant, l'acier, produit
pétrolier, les produits pharmaceutiques, le riz, la bière, les
boissons sucrées et le tabac entre autres. Mais les négociations
sur la liste d'exceptions de type B se sont retrouvées bloquées
lors des réunions de juin 2007 de la commission mixte CEDEAO / UEMOA
pour la gestion du TEC. C'est pourquoi le Nigeria a suspendu l'application du
TEC jusqu'à ce qu'un consensus se trouve au niveau des produits
contentieux. Nous pensons qu'un tel agissement remet en cause l'avancement des
négociations pour l'application totale du TEC CEDEAO. Le Nigeria taxe le
riz à l'importation à 100% de droits de douane, interdit
l'importation des volailles et impose certains produits originaires de la
Communauté. Cela remet en cause l'esprit et la lettre de la libre
circulation des produits du cru et de l'artisanat traditionnel.
Dans ce même volet certains Etats pratiquent la licence
d'importation qui reste un moyen efficace pour déjouer la concurrence
étrangère sans interdire officiellement l'entrée d'un
produit considéré dans le pays.
2- les tracasseries douanières
Les tracasseries douanières font également
parties des nombreuses entraves à la libre circulation des marchandises.
Les agents douaniers considèrent tout importateur ou exportateur comme
un fraudeur en puissance et les soumettent à leur bonne volonté.
Les industriels sont à la merci de ces agents qui souvent remettent en
cause subitement une position tarifaire utilisée pendant longtemps. La
contestation de l'origine communautaire des produits ou de la validité
des documents d'accompagnement est une pratique fréquente. A cela
s'ajoute cette pratique assez répandue du «bakchich« toute
attitude qui peut gêner considérablement la circulation des
produits entre les Etats membres de la Communauté. C'est pourquoi pour
éliminer ou réduire les barrières physiques à la
libre circulation, une réduction des barrières douanières
au minimum possible s'impose. De plus, au niveau des frontières, les
agents de police, de douane ou de gendarmerie doivent être
sensibilisés sur les protocoles de la CEDEAO concernant la libre
circulation des personnes et des biens.
3- Le tropisme du Nigeria
Le Nigeria est le pays qui a le poids économique le
plus élevé de la Communauté. IL adopte une politique
commerciale hétérodoxe. La politique commerciale de ce pays
contraste fortement avec celle de ses voisins par son instabilité et sa
tendance protectionniste. Ainsi, alors que la fourchette tarifaire est
passée de 0-300 % à 0-150 % entre 1995 et 2000, son gouvernement
continue de pratiquer des droits de douane élevés sur certains
produits et d'interdire l'importation d'autres. Les produits du cru originaires
de la Communauté n'échappent pas à cette restriction.
Pourtant, la politique de la prohibition du pays a une
efficacité limitée. La plus part des produits prohibés(
huiles végétales, farine de blé, boissons non
alcoolisées, préparation sucrée, tissus de coton et
plusieurs autres textiles, les baignoires, les sièges, les cuvettes et
les articles domestiques en plastique...) entrent dans le pays et sont
officiellement enregistrés. L'efficacité de cette politique est
d'autant plus persistante que la production domestique des produits
prohibés est structurellement déficitaire par rapport à la
demande. Les difficultés de la mise en place de
l'intégralité TEC CEDEAO est du à l'intransigeance du
Nigeria sur la liste des produits de type B.
B- L'information et la formation
1- L'information
Cet obstacle se situe à plusieurs niveaux. Nous n'en
retiendrons que deux : y' celui des dispositions du Traité et
y' celui des marchés.
Plusieurs difficultés rencontrées par les
industriels et commerçants relèvent de la méconnaissance
des régimes commerciaux institués par le Traité, selon les
rapports annuels du Secrétaire Général de la CEDEAO sur
l'état de la Communauté. Les discussions avec les administrations
et les opérateurs économiques ont révélé que
l'information sur les dispositions relatives à la TPC est
défectueuse. Ce système préférentiel étant
destiné à développer les échanges des produits
industriels bénéficiant de ce régime, comment
parviendra-t-on à accroître les flux commerciaux si on l'ignore ?
Veut-on compter uniquement sur l'accroissement naturel ? Dès lors qu'on
dissolve la CEDEAO.
Il est regrettable que 33 années après
l'entrée en vigueur de la CEDEAO, les principaux
intéressés (commerçants et industriels) ne sachent pas ce
qui a été décidé pour eux, car en exportant plus,
ils accroissent leurs bénéfices.
Avant de produire, il faut savoir si l'on pourra vendre :
c'est un des aspects essentiels de l'information commerciale. Au niveau de la
CEDEAO, on note une lacune très grave sur les produits disponibles. Les
producteurs ou exportateurs et les consommateurs ou importateurs ne
possèdent pas de renseignements suffisants, les premiers sur les
débouchés, les seconds sur les produits. Par information
commerciale, on doit entendre « des données objectives susceptibles
d'aider le décideur à prendre de bonnes actions
»18 . Cette information s'avère nécessaire pour
:
y' définir les priorités et les objectifs tant pour
l'exportation que pour l'importation ;
18 Rapport du séminaire sous régional sur la
méthodologie des études des marchés à
l'exportation, Bamako, 5-12 Août 1983.
y' déterminer les catégories de produits pour
lesquelles il conviendrait d'encourager la production et les investissements
axés sur l'exportation ;
y' découvrir et exploiter les débouchés
offerts par les marchés extérieurs.
Certains produits restent invendus tout simplement parce
qu'ils n'ont pas d'information sur les débouchés. Si
l'information n'avait pas fait défaut, certaines entreprises n'auraient
pas existé. Tout cela montre que l'information reste et restera un
facteur cardinal dans le développement des échanges commerciaux.
On peut ajouter que cet élément réduira les risques
financiers liés à l'exportation dus à l'absence d'un
réseau d'information fiables sur la qualité du crédit des
entreprises et des structures d'aide au recouvrement des créances. Cette
réduction aura pour corollaire, sans nul doute, un accroissement
important des échanges. La création de medias propres à la
Communauté contribuerait à pallier à la carence
informationnelle. Afin de profiter au maximum des informations reçues,
l'opérateur économique doit être en mesure de les analyser.
C'est le problème de la formation.
2- La formation
La formation et le perfectionnement (recyclage) des cadres
doivent constituer une option fondamentale si l'on veut assurer les changements
de comportement par le développement de leurs compétences dans
l'optique d'une application optimale des politiques en matière de
promotion des échanges. Il faut préciser que cette formation ne
doit pas être essentiellement technique ou professionnelle, elle doit
s'orienter vers la préparation d'agents de changement,
d'éducateurs, de responsables, c'est-à-dire de personnes alliant
leurs connaissances et leurs attitudes pour promouvoir les circuits
commerciaux.
C- La faiblesse financière
Il est notoire que les sources nationales et régionales
de financement soient depuis longtemps inexistantes et le recours aux sources
extérieures est de règle pour les Etats dans la recherche des
voies et moyens pour sortir du sous développement.
Les participations du Fonds de Coopération, de
Compensation et de Développement (FCCD) ne pourront pas se substituer
de façon conséquente à la carence des sources nationales.
Le
recours sera donc fréquent, pour le financement des
entreprises communautaires, aux sources extérieures sous toutes ses
formes : aides publiques au développement des pays de l'Union
Européenne, prêts des organismes spécialisés des
Nations Unis (FMI et Banque mondiale), banques privées etc. C`est la
logique de la voie de développement suivie depuis longtemps par les
Etats membres pour le développement de leurs industries nationales qui
sera transposée au niveau des entreprises communautaires : s'appuyer sur
l'extérieur pour développer l'intérieur et nous ne voyons
pas ce qui pourrait amener les Etats à transgresser cette logique au
niveau communautaire, dans la mesure oú cette voie est le
résultat d'un choix conscient pour un modèle de
développement.
De notre point de vue, la Communauté regorge de ressources
financières suffisantes pour subvenir aux besoins de son
développement économique.
D'une part, dans un pays comme le Sénégal et la
Cote d'Ivoire, la thésaurisation est très forte et peu de gens se
résignent à déposer leurs avoirs financiers dans les
banques et caisses d'épargne. Ce constat peut se
généraliser à bon nombre d'Etat de la Communauté.
Il suffira donc de mener dans chaque Etat, une politique dynamique et plus
incitative à l'épargne précédée d'une forte
campagne de sensibilisation en vue de « démocratiser» ou
« populariser » les banques.
Sur cette même lancée, plusieurs des dirigeants
de la Communauté possèdent des centaines de millions voire des
milliards de dollars dans des paradis fiscaux en Europe, en Amérique et
en Asie. Un rapatriement de ces fonds donnera à coup sûr un boum
économique à la Communauté. Il est criard de sensibiliser
nos dirigeants à cet égard.
D'autre part, dans quelle mesure la communauté, par le
biais du FCCD, ne pourrait-elle pas lancer un emprunt auprès des
nationaux des Etats membres, une sorte d'emprunt Etat dans des conditions
précises et pour un projet communautaire précis ?
La crise internationale a rétréci
considérablement les possibilités d'obtenir des finances au
niveau des bailleurs internationaux de fonds qui, d'ailleurs de plus imposent
des conditions draconiennes qui mettent les gouvernements en difficulté
du fait des mesures anti-sociales qu'ils doivent prendre. Il est donc grand
temps de compter au niveau financier, sur ses propres forces et nous pensons
qu'une récupération judicieuse de l'épargne pourrait
permettre à la
Communauté de compter sur elle même, condition sine
qua non pour propulser une industrialisation endogène.
Nous pouvons également faire ressortir que l'absence de
moyens de paiement moderne se traduit par des difficultés pour les
entreprises du secteur formel de se faire payer les crédits de taxe sur
la valeur ajoutée, ce qui nuit à la rentabilité des
entreprises. A un autre niveau, l'absence de réseaux bancaires induit
une insécurité pour les commerçants. Ainsi, pour acheminer
une vingtaine de bovins de Maradi à Lagos, il faut disposer d'un minimum
de trois (3) millions de francs CFA en liquide. La multiplicité des
banques est donc nécessaire.
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