2.2. Les évolutions post Seconde Guerre mondiale :
le traumatisme générateur de nouvelles pistes horrifiques
De la même façon que dans l'après
Première Guerre mondiale, on peut d'ores et déjà souligner
l'absence, dans l'immédiate après-guerre, de quasiment tout film
d'horreur lié de près ou de loin à la violence humaine,
les spectateurs préférant se délecter des monstres issus
de la littérature fantastique du siècle précédent.
La vivacité des productions de la Hammer dans les années
1950-1960 témoigne de cet intérêt. Le premier à
être exploré par la célèbre firme est le
légendaire vampire des Carpathes dans Le cauchemar de Dracula
(1958) et Dracula prince des ténèbres (1965) de Terence
Fisher, mais d'autres réalisateurs s'attèleront à
dépeindre à leur façon ce mythe, notamment Peter Sasdy,
Roy Ward Baker ou Alan Gibson. Fisher, le prolifique réalisateur,
consacre également une série de films à Frankenstein : de
Frankenstein s'est échappé (1957) à
Frankenstein et le monstre de l'enfer (1973). Longtemps
délaissé à cause de la complexité du maquillage
qu'il nécessite, la figure du loup-garou ne trouve grâce aux yeux
des producteurs qu'à une seule reprise, avec La Nuit du
loup-garou en 1961. D'autres monstres classiques sont
revisités à la manière gothique anglaise, comme dans
Les Deux Visages du docteur Jekyll (1960) ou La malédiction
des Pharaons, réunissant en 1959 pour la dernière fois les
deux « gentlemen de l'horreur »1 que sont Christopher Lee
et Peter Cushing, reprenant le flambeau initié par Karloff et Lugosi.
L'héritage des films de la firme Universal est palpable, voire
revendiqué par la Hammer.2 Cette reprise des sujets
développés dans les deux décennies
précédentes entérine la dimension d'exploitation de ce
type de cinéma, affichant un modèle économique lié
à la rentabilité et à l'épuisement des sujets
allant jusqu'à la déformation du genre vers la comédie
(les séquelles de Frankenstein) et le ridicule. Le manque
d'originalité est en cause dans ces productions, mais le succès
était au rendez-vous, une recette imparable qui s'est cependant vite
essoufflée et n'a pas réussi à transcender ses
caractéristiques. En effet, le cinéma anglo-saxon s'est tu
après cet épisode florissant et innovant malgré tout (dans
les effets spéciaux, la couleur, le montage...). En effet, les films de
la Hammer furent les premiers à être vendus à la
télévision par le producteur Seven Arts ; les oeuvres
cinématographiques n'étaient auparavant pas diffusées sur
ce nouveau média, des sociétés de production
spécialisées s'occupaient de ce marché qui venait
d'émerger, proposant des films adaptés au format
télévisuel.
1 Philippe Ross, Le cinéma
d'épouvante, Paris, J'ai Lu, coll. Cinéma, 1988, p. 34
2 Alain Puzzuoli et Jean-Pierre Kremer,
Dictionnaire du fantastique, op. cit., article « Hammer »
Frankenstein de James Whale (1931)
Il faut attendre le milieu des années 1960 pour voir
apparaître des films liés aux instincts meurtriers de l'homme
lui-même. L'incarnation du Mal était devenue une
réalité au milieu du XXe siècle. La négation de
l'individu et l'anéantissement d'une partie de l'humanité
représentait désormais l'horreur suprême. Cependant, le
succès remporté par certains films versant dans le gore peut
signifier la fascination qu'exerce la violence quasi- guerrière sur les
générations qui n'ont pas participé à la guerre. Le
développement des films tournant autour des morts-vivants reprend
d'autre part le vocabulaire de l'affrontement : une armée de zombies
déferlant sur des civils impuissants livrés à eux-
mêmes dans univers apocalyptique. Les films gores et les slashers, les
psycho-killers à l'arme blanche ou à la tronçonneuse
peuvent dès lors connaître leur pleine expansion. Dans les
années 1970, il semble que « l'horreur s'institutionnalise,
s'internationalise pour devenir enfin un genre à part
entière1 » en développant une multitude de
sous-genres. Cependant, les modifications liées à la dialectique
du champ/contre-champ à l'oeuvre dans le cinéma d'horreur, la
censure ayant forcé le développement d'une esthétique de
l'allusion, ne semblent pas, pour certains, marquer un degré de plus
dans la représentation de la violence, malgré une recherche
effrénée de chair et de sang versé. Comme le souligne
Laurent Jullier, si la violence est désormais patente à
l'écran, elle n'en a pas plus accentué la perception : «Les
progès dans la dépiction naturaliste de l'horreur ne constituent
pas un paramètre important. Certes les cowboys hollywoodiens d'autrefois
s'entretuaient sans qu'il leur apparaisse la moindre tache rouge au
côté (...) Aujourd'hui, les scènes de torture sont monnaie
courante, et le sang gicle même dans les films étiquetés
tous publics. Mais la perception globale de l'évènement violent
est aussi violente sans détails croustillants2».
1 Philippe Ross, op. cit. , p.90
2 Laurent Jullier, op. cit. p. 129
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