1.4.3. Les échos historiques, sociaux et
esthétiques
De telles implications latentes, touchant au contexte social
et politique d'émergence et de réception des films, peuvent
être plus clairement décelables au sein de certaines productions.
S'il ne faut pas éxagérer ces résonnances, comme le
préconise Peter Hutchings, en tentant d'en voir dans tous les
longs-métrages d'horreur, celles-ci ne sont pas inexistantes et sont
parfois facilement identifiables. Partant d'une volonté de provoquer des
émotions fortes, par des moyens qui peuvent choquer, les films
revêtent une forte dimension subversive, tout comme son public, comme
nous le verrons plus tard. Dans cette démarche, ils tendent à
mettre en lumière les problèmes récurrents dans la
société et à interroger les limites de son
évolution, tout en exploitant des peurs à la fois anciennes
(monstres et créatures nocturnes) et contemporaines (tueur en
série). La dimension fantastique, d'abord du cinéma en
lui-même mais surtout au sein des films d'horreur, permet une
distanciation supplémentaire, qui, sous-couvert d'une intrigue et d'un
univers différent en dehors ou au sein du monde réel, peut faire
émerger les contradictions de ce dernier. C'est ce que soulignait
parfaitement le réalisateur des Révoltés de l'an
2000, Narciso Ibáñez Serrador, qui pointait du doigt dans
son film le régime dictatorial que vivait l'Espagne dans les
années 1970. Le fantastique permet de faire passer des messages forts
sous couvert de l'irréel. Sans faire une liste des particularités
contextuelles des films d'horreur, nous pouvons affirmer qu'elles dictent,
à chaque époque, une esthétique propre : subtile,
tournée vers l'épouvante après les deux
1 De plus, mentionnons que l'incitation à la
violence, comme l'incitation à la haine raciale, sont des délits
passibles d'amendes élevées.
2 A ce titre, le débat suscité au
printemps 2008 par le clip du groupe français de musique
électronique Justice, Stress, est révélateur.
Réalisé par Romain Gavras et son équipe de
Kourtrajmé, il y montrait une bande de jeunes, cagoulés, arborant
le signe du groupe, se permettant une multitude d'actes délictueux.
conflits mondiaux ; violente et apocalyptique dans les
années 1960 ; fantastique dans les années 1970 avec la
conquête spatiale ; mettant en scène la folie et les
désordres mentaux dans les années 1980 ; très axée
sur la torture à outrance aujourd'hui. Certains tendent en effet
à mettre en évidence les contradictions de la
société, comme l'a bien montré Peter Hutchings, à
travers la représentation de la paupérisation de la classe
ouvrière visible dans Frankenstein ou encore Massacre
à la Tronçonneuse1.
Ce sont ces implications contextuelles qui font
apparaître des genres différents à l'intérieur
d'aires géographiques bien définies, se nourrissant de
l'esthétique cinématographique déjà
développée. Adam Lowenstein, dans son essai Shocking
Representation2, définit ce terreau d'émergence
comme un « moment allégorique », qu'il caractérise
ainsi : «the allegorical moment can be discribed as a shocking collision
of film, spectator and history where registers of bodily space and historical
time are disrupted, confronted and intertwined (...) It's a complex process of
embodiment, where film, spectator and history compete and collaborate to
produce forms of knowing not easily described by conventional delimitations of
bodily space and historical time». C'est en ce sens qu'il peut y avoir un
cinéma de genre japonais, oscillant entre le gore des films de sabre
(chambara) et la suggestion des histoires de fantômes vengeurs (kaidan).
A ce titre, le cinéma fantastique espagnol, florissant actuellement avec
des réalisateurs comme Jaume Balaguero (La Secte sans Nom, Fragile,
[Rec]), est un bon exemple de l'inlfuence partagée du cinéma
américain mêlée aux classiques du cinéma espagnol.
Cette différenciation par rapport au style états-unien, à
travers une conception propre du genre façonnée par un
cinéma national, était justement soulignée par Juan
Antonio Bayona, réalisateur de L'Orphelinat, qui
expliquait3 que son film était à la fois un film
d'horreur et un drame psychologique. D'autre part, cet enracinement dans une
culture nationale spécifique peut contribuer à expliquer une
réception différenciée selon les pays.4
Le cinéma d'horreur, souvent défini par la peur
qu'il suscite, apparaît comme un genre qui recèle de nombreuses
caractéristiques, exportables, dont la liste n'est pas exhaustive, sans
cesse renouvelée par ses immenses potentialités. Mais comment se
traduisent ces codes à travers l'histoire du genre ? Quelles sont les
évolutions qu'ils ont subies et cela a-t-il contribué à
remodeler quelque peu cette approche ?
1 Peter Hutchings, op. cit. p. 102
2 Adam Lowenstein, Shocking Representation,
Historical trauma, National Cinema and the Modern horror Film, Columbia
University Press, 2005, p. 7
3 Magazine Tracks, diffusé sur Arte le
07/03/08
4 L'Orphelinat n'a ainsi touché que 200 000
spectateurs en France, alors qu'en Espagne il s'est avéré
être le 2e plus gros démarrage de tous les temps
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