2.1.3. Horreur chez les exploitants
Dans cette position, c'est le distributeur, qui, par les
négociations avec les exploitants, définit le nombre de copies
à livrer à ceux-ci. Il se dégage alors nettement deux
types de films : ceux bénéficiant d'un nombre de copies
supérieur à 100 et ceux qui ne les atteignent pas, alors que la
moyenne pour un film inédit se situe aux environs de 135 copies. D'un
côté, il s'agit de Wolf Creek de Greg Mc Lean, de
Cloverfield de J.J. Abrams ou encore de Diary of the Dead de
George A. Romero ; de l'autre de The Mist de Franck Darabont, des
Ruines de Carter Smith ou encore des Proies de Gonzalo
LopezGallego. Un premier filtrage semble s'effectuer par les mécanismes
de l'offre et de la demande, géré par les distributeurs, qui
tendent à maximiser les dépenses en louant le plus de copies, et
les exploitants qui assurent un turn-over rapide afin de satisfaire l'exigence
de renouveau permanente du public. En effet, les films restent en moyenne deux
semaines à l'affiche et le nombre de copies exploitées la
deuxième semaine baisse sensiblement, sauf exceptions, comme
[Rec] qui est resté 5 semaines à l'affiche.
2.1.3.1. Du rififi dans les circuits...
L'épisode de Saw III a particulièrement
contribué à faire apparaître au grand jour les
réticences des principaux circuits d'exploitation vis-à-vis des
films d'horreur. La perspective de défoulement et le flot de violence
déversé sur les écrans sont perçus comme les
caractéristiques essentielles de ce genre de cinéma, notamment
depuis la vague des torture-flick, qui ont cependant été
programmés dans tous les circuits, de salles indépendantes aux
multiplexes. Mais les projections du troisième volet de la saga ont
donné lieu à des incidents, qui non seulement ont
contribué à ternir encore plus l'image négative du film
d'horreur, mais ont entraîné des réactions
immédiates de la part de certains exploitants. En effet Guy Verecchia,
PDG d'UGC, a annoncé qu'à la suite de l'exploitation de Saw
III, il décidait de bannir de sa programmation tous les films
interdits aux moins de 18 ans1. Lors de la projection de ce film
relevant de la catégorie IV, il y avait eu quelques incidents dans des
salles de banlieue ; des groupes d'individus avaient dégradé des
équipements hors et à l'intérieur des salles à
l'occasion de ces séances, programmées en deuxième partie
de soirée. D'autre part, le contrôle des identités,
renforcé pour ce type de séances, s'était
avéré difficile et les vigiles se sont vite retrouvés
débordés. Cependant, pour éviter ce genre d'incidents, le
déploiement d'une force de sécurité supplémentaire
semble être une pratique fréquente, comme l'atteste Eric
1 « Quand ces films risquent de poser des problèmes
avec une clientèle un peu abrasive, on les évite. D'autant que
nous avons déjà eu des incidents dans certaines salles », Le
Monde du 8 février 2008, annexe n°12, p.31
Meyniel, directeur de programmation chez Kinépolis :
« Evidemment, dès qu'une restriction de censure intervient, la
sécurité est un point important. Nous renforçons les
contrôles d'âge, nous portons une attention particulière au
sentiment de sécurité, d'autant que les séances les plus
fortes se trouvent être à 22h001 ». Si ces
accrochages ont probablement encouragé les exploitants à se
méfier davantage de ce genre de films depuis l'an dernier, surtout s'ils
sont interdits aux moins de 16 ou 18 ans, cette réticence existe depuis
longtemps, comme l'affirme Philippe Lux : « Les films d'horreur ont
toujours eu mauvaise presse auprès des exploitants, à cause du
genre en lui-même mais aussi du public qu'ils attirent, dont le
comportement exubérant (voire violent) n'est pas toujours du goût
de ceux-ci. (...) Les programmateurs n'aiment pas trop ce genre de films en
général2. » En effet, même avant la tenue
de ces incidents, il s'avérait difficile de négocier
l'exploitation de films interdits aux moins de 16 ans, le refus était
catégorique, comme au sein du réseau Ciné-Alpes,
très conservateur, qui regroupe 160 salles principalement dans les
stations de ski. Il en était de même pour UGC, la distribution de
Dead or Alive de Takashi Miike négociée avec Wild Side
Films faisant figure d'exception. Or les exploitants ont compris que ce
créneau pouvait être rentable malgré le public quelque peu
turbulent. Aussi de nombreux films ont-ils été soutenus par des
circuits à travers l'attribution de labels : L'Orphelinat de
Juan Antonio Bayona a à ce titre reçu le label «
découverte UGC » et a été ainsi exploité dans
une grande partie des salles de son réseau. Un dilemme s'impose
dès lors à ces exploitants peu enclins à favoriser le
cinéma d'horreur frappé d'interdictions à l'occasion de la
sortie de Martyrs de Pascal Laugier : concourir à sa moindre
diffusion ou soutenir un film de genre français ? 3
Néanmoins tous les exploitants de salles ne partagent
pas cette méfiance et développent même un certain
volontarisme à cet égard. C'est par exemple le cas de
Kinépolis, dont Eric Meyniel nous explique la démarche : «
Il se trouve que parfois nous avons la possibilité de faire se
rencontrer public et auteurs de films de genre. Cela a été
effectivement le cas pour Frontières [en présence de
Xavier Gens] et pour La colline a des yeux avec Alexandre Aja. Ces
rencontres entre passionnés et public sont passionnantes4.
» La promotion de la diversité du cinéma est invoquée
en tant que fondement de cette démarche, sans volonté
particulière de contribuer à la mise en lumière d'un genre
particulier : « Il faut que chaque genre soit représenté.
Kinépolis intègre les films de genre dans un schéma normal
de programmation avec un souci de
1 Questionnaire adressé à Eric Meyniel,
annexe n°28, p.75
2 Voir entretien mené le 24/07/08, annexe
n°27, p.70
3 Malgré le nombre restreint de copies (environ
60), le film a été distribué dans les principaux circuits
et notamment UGC et Gaumont
4 Questionnaire adressé à Eric Meyniel,
op.cit.
qualité de film et de correspondance à un groupe
cible. Nous pourrions par exemple être amenés à refuser un
film d'horreur s'il en sortait 3 le même jour. Nous choisirions alors
celui qui nous semblerait le mieux correspondre à nos critères de
qualité et à notre public. (...) Forcément les genres
seront plus présents dans un cinéma de 23 salles que dans un
cinéma de 10 salles1. » Le but des multiplexes est de
ramener les spectateurs qui s'étaient éloignés du
cinéma, dans les salles obscures, pas d'en convaincre les
cinéphiles, qui n'ont pas abandonné la culture de la sortie au
cinéma2. Leur politique éditoriale doit être la
plus large possible, « populaire et fédérateur » selon
les mots de Philippe Lux. Dans une telle logique, on peut dès lors
comprendre que les films de genre n'ont guère de place
privilégiée dans de telles structures, qui concentrent plus de la
moitié de la fréquentation cinématographique et environ
35% des fauteuils et des écrans en 20073.
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