2.1.3.2. Les salles indépendantes : quelle place
pour le
fantastique/horreur ?
Dans l'après-guerre, des salles indépendantes
étaient spécialisées dans le fantastique et drainaient une
foule de gens mondains qui voulaient se faire peur, diffusant surtout des films
de la Hammer. On en comptait cinq, toutes situés sur les Grands
Boulevards à Paris : le Styx, le Mexico, le Colorado, le Midi-Minuit et
le Brady. Les quatre premiers n'ont guère perduré au-delà
du milieu des années 1960, les spectateurs se faisant plus rares avec la
démocratisation du média télévisuel et la fin des
films gothiques anglais. Le public aimant se faire peur avec les montres
classiques n'est pas le même que celui qui voit naître le
cinéma gore et le giallo : plus jeune, moins riche et recherchant la
provocation. Un conflit de génération en somme. Cependant, le
Brady était encore dédié au cinéma fantastique
jusque dans les années 1970, assure Christophe Lemaire, qui a bien connu
l'ambiance de ce lieu mythique, connu dans le monde entier. Mais le
cinéma indépendant a été repris par Jean-Pierre
Mocky, qui programme toujours des séances fantastique/horreur mais n'en
fait plus son fonds de commerce exclusif.4 Une autre salle
était également réputée pour ses projections de
films d'horreur, il s'agit de l'Orient-Express au forum des Halles à
Paris, faisant partie du groupe UGC mais dirigé par une équipe
désireuse de concourir à la diffusion du cinéma dans sa
diversité. Cette salle est connue de tous les amoureux de cinéma
fantastique et des cinémas à l'ancienne
1 idem
2 Voir statistiques du CNC sur fréquentation
des salles ; la majorité en sont des clients fidèles
3 Bilan 2007, CNC, chapitre 9
4 Il a frisé la fermeture en 2002, ne
bénéficiait pas du statut de salles d'Art et Essai et les aides
n'étaient pas suffisantes pour alimenter ses frais de fonctionnement
(les vibrations du métro et l'état de
délabrement des sièges l'ont rendue célèbre). Par
exemple elle était une des rares salles à projeter en même
temps deux films d'horreur la première semaine de mars 2008 : The
Mist de Franck Darabont (programmé dans 40 salles la
première semaine, 22 la deuxième1) et 2eme
sous-sol produit par Alexandre Aja (moins de 60 copies). Mais il semble
toutefois que cela constitue une exception au regard de la programmation
habituelle, qui reste tout de même similaire à celle des autres
cinémas. Force est de constater qu'aujourd'hui, il n'y a plus
guère de salles uniquement axées sur le fantastique (et encore
moins sur l'horreur).
Cependant, avec la récente polémique autour du
manque de visibilité des films de genre, il semblerait que quelques
personnes faisant partie du Club du Vendredi 13 songent à un tel projet.
Or les salles généralistes on déjà du mal à
faire face à la montée du marché DVD,
télévisuel et maintenant Internet, qui permet une consommation
moins contraignante et perçue comme moins chère aux yeux des
consommateurs d'images domestiques. Y'a-t-il une place pour des salles
spécialisées dans les films de genre, bis ou fantastique/horreur
? Malgré l'importance relative des films d'horreur au cinéma, la
production agréée ne permettrait pas de programmer des salles
entièrement avec ces films, puisque dans les meilleurs cas, il y a 2 ou
3 films d'horreur à l'affiche par semaine, guère plus. Etant les
partenaires privilégiés des festivals, les cinémas
indépendants peuvent diffuser plus de films d'horreur que les circuits,
disposant d'une plus grande liberté de programmation. Or à peu
près la moitié de celles-ci sont classées Art et Essai, ce
qui induit des impératifs de programmation. En effet, le classement des
salles pouvant en bénéficier s'effectue sur avis de la commission
Art et Essai du CNC, qui procède selon plusieurs
critères2. Les films recommandés Art et Essai -dont
près de la moitié sont français- pèsent pour
près de 75% dans ces salles agréées en 20053,
qui peuvent dès lors bénéficier de fonds
supplémentaires, pour financer leur fonctionnement quotidien. « EN
2005, l'offre de nouveaux films recommandés Art et Essai se compose de
30,6% de comédies dramatiques et de 27% de drames. Les deux autres
genres représentant une part importante des films recommandés
nouveaux sont le documentaire et la comédie4. » Il
semble dès lors que parmi eux, les films fantastiques, de genre ou
d'horreur n'aient pas leur place. Pourtant, les critères définis
par décret pour la recommandation de films relevant de cette
catégorie pourraient s'appliquer à plus d'un film de genre :
« oeuvres cinématographiques ayant un caractère de recherche
ou de nouveauté dans le domaine
1 Source CBO- Box Office
2 Dont les principaux sont la proportion de films
recommandés Art et Essai et l'importance démographique de
l'unité urbaine dans laquelle est situé le lieu de projection.
3 Etude Les salles Art et Essai, CNC, octobre
2006
4 Etude L'exploitation des films
recommandés Art et Essai, CNC, octobre 2006
cinématographique ; oeuvres présentant
d'incontestables qualités mais n'ayant pas obtenues l'audience qu'elles
méritaient ; oeuvres de reprise présentant un
intérêt artistique ou historique1». On comprend la
logique de cette démarche qui fait primer l'esthétique et le
propos, l'apport et l'intérêt pour l'art cinématographique.
Or des films qui aujourd'hui sont reconnus comme des monuments de l'histoire du
cinéma étaient à leur époque raillés
à cause de leur côté trop commercial, comme
l'étaient les oeuvres d'Hitchcock.2 Et on ne compte pas
l'apport du cinéma fantastique/horreur au 7e art,
influençant de nombreux réalisateurs et scénaristes, de
Luis Bunuel à David Cronenberg.
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