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Le cinéma d'horreur en France : entre culture et consommation de masse

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par Laure HEMMER
EAC Paris - Master 1 Management de projets culturels 2007
  

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1.2.3. Le fantastique et les institutions cinématographiques

A côté de ces petits festivals, qui semblent les plus intéressants en termes de nouveauté et de recherche réelle de diversité, sont apparus des programmations spéciales et des festivals plus institutionnels, créés et développés au sein de la filière cinématographique. C'est le cas des cinémathèques, qui, sous l'impulsion de programmateurs volontaires, créent des rétrospectives dédiés à des cinéastes ou à des genres pouvant inclure l'horreur. C'était notamment le cas de Julien Rousset, ancien programmateur de l'Institut Lumière à Lyon, qui organisait régulièrement des soirées spéciales cinéma bis il y a quelques années. Cependant, la Cinémathèque Française à Bercy a pris le relais, en mettant en place une double-programmation bis ainsi qu'en organisant (conjointement avec l'équipe de Nanarland) chaque année depuis quatre ans dans ses locaux La Nuit Excentrique. Celle-ci se déroule habituellement en mars, dans une ambiance rappelant celle d'un festival, et se compose de projections de plusieurs longs-métrages, présentés par des animateurs du site Nanarland, de programmes courts, d'extraits et de bandes-annonces ainsi que de cadeaux à gagner, tout cela du crépuscule jusqu'à l'aube. Cette année, un film d'horreur était parmi les quatre longs-métrages proposés : Hurlements 2 (1985) de Philippe Mora, une série B trouvant sa place au milieu d'autres films dits bis. D'autre part, la Cinémathèque a proposé du 18 juin au 31 juillet un cycle sur le cinéaste espagnol Jess Franco1, qui a proliféré dans les années 1960-70. Tous les soirs, un ou deux de ses films sont projetés à la Cinémathèque, parmi lesquels beaucoup d'inédits en France (comme Le portrait de Doriana Gray, 1976), la plupart de ses films ayant à l'époque subi la censure cinématographique. L'éclectisme de la programmation est patent depuis l'arrivée de Jean-François Rauger2, qui légitime la place de ce genre déconsidéré dans le panthéon cinématographique. Ce dernier a tenté de lui faire une place à travers des séances bis, désormais régulières, un vendredi sur deux,

1 Voir article Franco, claudillo de la série B, par Jean-Luc Douin, Le Monde du 22-23 juin 2008, annexe n°15, p.34

2 Directeur de la programmation à la Cinémathèque et journaliste cinéma pour Le Monde

depuis une dizaine d'années. Avec des thématiques précises (femmes diaboliques, science-fiction japonaise, anti-impérialisme, horreur anglaise), la Cinémathèque, en partenariat avec Mad Movies, compte bien apporter un nouveau regard, plus esthétique sur des films parfois passés inaperçus aux yeux du grand public et ravir les fans du genre. Afin de justifier ses choix, critiqués dans la presse de l'exégèse cinématographique1, Jean-François Rauger défend avant tout la richesse et la diversité du cinéma, en bon cinéphile : « La Cinémathèque créée par Langlois [et Georges Franju] est le lieu de tout le cinéma et il n'y a pas de distinction entre un cinéma noble et un cinéma ignoble. (...) On trouve des choses passionnantes dans ces films qui relèvent de l'exploitation commerciale la plus banale et qui n'ont aucune légitimation culturelle. (...) Tant que le cinéma existera, il y aura toujours ce geste pour désigner les films les plus impurs, les plus ignobles au sens étymologique comme des objets qui peuvent avoir une importance esthétique ou historique.2 » De quoi avoir encore quelques défenseurs du cinéma bis et de ses avatars horrifiques en France, dans un milieu historiquement très réticent à ce genre de films.

La France a d'autre part accueilli successivement trois festivals de grande envergure ayant pour thème le cinéma fantastique. Le premier fut le festival de Paris, créé en 1972 par Alain Schlockoff, spécialisé dans les films fantastiques, de science-fiction et d'horreur. Il durait en moyenne 10 jours, toujours au mois de mars. Réputé pour l'expressivité de ses spectateurs lors des séances, il rencontra un énorme succès jusqu'à son terme en 1989. En effet, l'ambiance était au défoulement total, le cinéma Le Grand Rex se plaignant souvent de devoir reconstruire une partie de la salle après les projections ! Pratiquement tous les grands films de genre des années 1970-80 y furent présentés. Le grand prix (la licorne d'or) fut décerné à de nombreux films d'horreur dont Halloween de John Carpenter en 1979 et Evil Dead II de Sam Raimi en 1987. Un prix spécial gore a même été décerné pendant deux ans, remporté en 1986 par La Nuit des Morts-vivants de George A. Romero et en 1987 par Street Trash de Jim Muro. Un an après le début du festival de Paris, en 1973, fut inauguré le festival d'Avoriaz, dans un optique plus « sérieuse ». L'idée de Lionel Chouchan était de donner un peu d'air frais aux spectateurs en couplant films et montagne en Province. Résolument plus fantastique qu'horreur, le festival d'Avoriaz récompensa des films comme Phantom of the Paradise et Carrie de Brian de Palma en 1975 et 1977, Mad Max 2 de George Miller en 1982 ou encore Faux-semblants de David Cronenberg en 1989 pendant ses 21 années

1 A l'instar de Michel Ciment de la revue Positif à propos de la programmation du cycle Jess Franco

2 N'ayant pu le joindre, je me permets de reprendre ses propos recueillis par Marie Bigorie le 28 février 2006, article mis en ligne sur http://www.critikat.com/Jean-Francois-Rauger.html

d'existence. Cependant, Lionel Chouchan admet volontiers que ce festival était « avant tout médiatique et élitiste1 ». La ville d'Avoriaz avait acquis une renommée importante grâce à cet événement, dont les retombées touristiques ont satisfait les élus locaux jusqu'au début des années 1990. Le besoin de renouveau se faisait sentir.

Après la dernière édition avoriazienne en 1994, Lionel Chouchan, alors devenu directeur du Public Système Cinéma, décida de faire perdurer cette aventure dans une autre région montagneuse mais dans les Vosges cette fois, à Gérardmer. Après un démarrage difficile et un public exigeant, il acquiert progressivement une réputation nationale, faisant parler de lui dans la presse quotidienne généraliste et mensuelle2. Il vient de fêter cette année ses 15 ans d'existence avec un jury dédié exclusivement à l'horreur : Stuart Gordon en tant que président accompagné d'autres acteurs (et actrices) et réalisateurs gravitant dans cet univers comme Takashi Shimizu, Jess Franco, Neil Marshall, Ruggero Deodato, Jake West,... Il décerne 8 prix qui assurent désormais à leurs lauréats une reconnaissance critique et médiatique au sein du monde cinématographique. Malgré le fait qu'il présente un nombre important de films d'horreur en et hors compétition chaque année, le festival ne s'est jamais positionné essentiellement sur ce créneau de façon spécifique. Pourtant la programmation et le palmarès de cette édition 2008 regorgeaient de films fantastique/horreur, tout en affichant un visuel assez sobre3 : L'Orphelinat de Juan Antonio Bayona (Grand prix et prix du jury Sci-Fi), [Rec] de Jaume Balaguero et Paco Plaza (Prix spécial du jury, prix du public et prix du jury jeunes), Diary of the Dead de George A. Romero (Prix de la critique) ou encore Detour Mortel 2 (Prix du meilleur inédit vidéo). Cependant, certains professionnels du cinéma fantastique reprochent au festival son manque d'évènementialisation (en effet, à Avoriaz, il y avait beaucoup d'animation en marge des projections : forums, concerts de musique, soirées organisées dans des bars,...), de prise de risques et de spécialisation (il y a deux programmateurs pour l'ensemble des festivals gérés par Le Public Système). L'organisation est assurée sur place par l'association Fantastic'Arts, présidée par Pierre Sachot, qui délègue par partenariat la gestion et la programmation, assurées par le Public Système, société de communication ayant une branche dédiée à la promotion de films et à l'organisation de festivals4. Géré comme un autre festival sans particularité quelconque liée au genre auquel il est dédié, Gérardmer est cependant remarquable pour son apport en bénévolat, qui fait économiser beaucoup de postes au budget annuel (chauffeurs,

1 Programme du 15e festival du film fantastique de Gérardmer, p. 11

2 Des articles y ont été consacrés dans le mensuel Positif et dans Le Monde, annexe n°1 1,p.30

3 Voir affiche, infra, p.74

4 Dont les festivals du film asiatique et américain de Deauville, celui du film d'aventure de Manaus ou encore celui du film policier de Cognac (qui n'a plus lieu depuis deux ans).

restauration, accueil des spectateurs,...). La programmation « s'attache à la diversité du genre, [en] effectuant un savant panachage entre des films évènements et des films plus singuliers. La volonté est d'être au plus près des attentes du public, de faire découvrir des nouveaux réalisateurs, de créer une ambiance et d'inciter les spectateurs à revenir. En effet un tel festival constitue un tremplin exceptionnel pour le lancement de films, l'obtention d'un prix étant souvent synonyme d'une plus grande visibilité, tant au niveau du public que des professionnels1. »

Gérardmer a acquis en quinze ans d'existence une renommée européenne et internationale, et a sa place parmi les festivals du film fantastique les plus courus : Sitges en Espagne, le NIFFF (Neufchâtel International Fantastic Film Festival) à Neufchâtel et le LUFF (Lausanne Underground Film Festival) à Lausanne en Suisse, le BIFF (Bruxelles International Film Festival) mais surtout le plus grand, le Fantasia à Montréal. Cependant la vision du Public Système est celle d'un positionnement où le fantastique a légitimement sa place à côté des autres genres, comme le rappelle Ketty Beunel : « Gérardmer n'apparaît pas comme un festival confidentiel ou « underground », il semble au contraire être populaire, puisqu'il accueille en moyenne 25 000 à 30 000 spectateurs par an depuis sa naissance2. » S'il faut relativiser quelque peu ces chiffres, il est néanmoins vrai que Gérardmer comporte une forte dimension populaire, et réunit de nombreux curieux, habitants des environs, tout en fidélisant ses spectateurs d'année en année. En effet 3 visiteurs sur 4 ont déjà participé à une précédente édition3. Cependant, on peut se demander quel est l'impact réel des festivals sur l'économie des films. Les copies étant prêtées pour les projections, l'intérêt du producteur, du distributeur ou du vendeur international réside essentiellement dans la volonté de promouvoir leurs produits, de leur conférer une visibilité supplémentaire, car la majorité des oeuvres présentées sont des nouveautés, contrairement aux autres festivals plus petits et aux soirées ponctuelles. Si les films projetés ne sortent généralement que quelques mois plus tard, avoir un prix signifie donner un coup de pouce à certains films, comme le rappelle la programmatrice, mais cela n'est en rien un gage de succès : « Les retombées des prix obtenus [...] varie[nt] en fonction des années. (...) La valeur attribuée aux prix distribués à Gérardmer peut influencer les distributeurs et a fortiori les spectateurs, mais ne peut en aucun cas être un gage assuré de réussite d'un film et du comportement des cinéphiles4. » Il s'avère aujourd'hui facile de faire la promotion de films à travers les festivals, cette activité n'entraînant pas trop de risques, contrairement aux autres acteurs de la filière, pour qui ce

1 Voir entretien avec Ketty Beunel, annexe n°23, p.54

2 Ibidem, chiffres à relativiser

3 Source Le Public Systeme

4 ibidem

créneau peut s'avérer être un engagement solennel, un pari réussi ou une simple façon de générer des recettes. Le festival de Gérardmer a encore de beaux jours devant lui, comme le souligne avec enthousiasme Lionel Chouchan1 : « Cela fait aujourd'hui 35 ans que je « fantastique ». (...) Or je ne m'en lasse ni ne me plains. Parce que le cinéma fantastique est un genre inépuisable et sans cesse renouvelé. »

S'appuyant sur une communauté entreprenante et souvent bénévole, motivée par une passion débordante, les films d'horreur peuvent transiter par une multitude de réseaux plus ou moins artisanaux, allant de la soirée privée au petit festival acquérant une renommée nationale. D'autre part, ils bénéficient du soutien de professionnels engagés dans le secteur, et se déploient dans des institutions comme le Festival de Gérardmer ou la Cinémathèque Française.

1 Voir éditorial du programme de la 15e édition, p. 4

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