4.1.3. Le voyeurisme
Si l'expérience cathartique peut être
perçue comme positive, voire recommandée, elle conserve toutefois
une dimension inquiétante, notamment au sein du monde scientifique
où elle n'a trouvé que peu de défenseurs. En effet, les
principaux avocats de cette valorisation sont les artistes et les
psychanalystes, car celle-ci permet de laisser libre cours à la
création, même la plus sordide. Comme Janus, l'horreur a deux
visages ; d'un côté bon lare, de l'autre mauvais en créant
une attirance pour une violence virtuelle. Pour de nombreux sociologues, cette
attirance émane d'une certaine perversité1, qui va
être assouvie dans le visionnage d'un film d'horreur, ou ne le sera pas
et sera alors le reflet d'un trouble plus important, qui peut aller jusqu'aux
instincts criminels. Ceux qui assistent à une scène d'accident ou
à une agression peuvent également développer ce type
d'attitude participative, qui est autant à l'oeuvre dans la
société que dans les médias. Selon Luc Boltanski, le
voyeurisme est une attitude de survie. En ce sens, le film d'horreur
1 Laurent Jullier, op. cit., p. 69 : « le
spectateur se mettra à prendre du plaisir à sa propre corruption
morale en jouissant de l'obligation qu'il y a à éprouver
certaines émotions pour comprendre l'histoire racontée à
l'écran, quand bien même et surtout si ces émotions
supposent une certaine perversité »
présentant des morts violentes ou des tortures
insoutenables fonctionnerait de telle manière que ses spectateurs s'en
trouveraient rassurés quant à leur propre vie. « Cela arrive
aux autres mais pas à moi » se diraient-il. A ce titre Boltanski
affirme qu'« avoir sous les yeux la triste preuve de l'extrême
fragilité de l'existence rend soudain exaltant le sentiment d'être
(encore) en vie »1. L'identification à l'autre, celui
qui souffre, si elle est a priori difficile à supporter,
revêtirait alors une fonction sociale. Cependant la démarche
devient perverse lorsque l' « amateur de souffrances » n'entre plus
dans cette démarche et apprécie la torture pour ce qu'elle est,
non plus avec ce second degré qui sépare le spectateur de ce
qu'il regarde (car le voyeur ne s'approche jamais trop de la scène qu'il
observe). Aussi une certaine distanciation doit avoir lieu pour que le
voyeurisme attentiste et inoffensif ne se transforme pas en action visant
à provoquer un acte similaire, dans l'optique conséquentialiste.
Or si pour Jean-Marc Leveratto « la représentation [de
scènes gores] cherche à stimuler notre sens de la justice
plutôt que de satisfaire notre agressivité »2, il
s'avère que la pitié ou la compassion ne fait guère partie
du registre émotif de l'aficionado de cinéma horrifique (alors
que pour le spectateur novice il peut l'être). C'est que ceux-ci font
très bien la différence entre la représentation
cinématographique et la réalité, et c'est à ce
titre qu'ils s'autorisent ce plaisir. Les individus souffrant de
perversité maladive ne se porteront pas vers des films d'horreur car ils
sont conscients que ceux-ci ne représentent pas la
réalité, encore plus s'ils évoluent dans le registre
fantastique. Ils iront plus volontiers vers des films amateurs, jouant avec la
confusion entre réel et cinéma, dans le registre du snuff movie
ou du fétichisme, qui ne doivent en aucun cas être confondus avec
les films d'horreur malgré la prégnance de la torture dans les
nouveaux films d'horreur - que beaucoup n'incluent pas dans le genre
horrifique.
Après toutes ces explications, nous pouvons en dernier
lieu nous demander s'il est légitime de parler de voyeurisme alors que
les personnages mis en scène dans les films sont des acteurs, qui
n'éprouvent pas réellement la souffrance qu'ils sont
censés endurer d'après un scénario établi à
l'avance. Si les films faisant apparaître la violence de façon
réaliste sont ceux qui posent le plus de problèmes à la
morale de la réception, le simple fait qu'ils appartiennent au registre
cinématographique (relevant de la création de l'esprit,
même s'ils peuvent être inspirés de faits réels)
devrait expliciter leur nature et ne pas créer la confusion. Mais la
subjectivité du regard et le manque de maturité face à
certaines images violentes, notamment auprès du jeune public,
nécessitent l'intervention
1 Luc Boltanski, La Souffrance à
distance, Paris, Métailié, 1993
2 Jean-Marc Leveratto, Introduction à
l'anthropologie du spectacle, Paris, La Dispute, 2006 p. 95
d'une éducation à l'image1 et
l'établissement de règles précédent au visionnage
de celles- ci. Il ne faut pas confondre cinéma et réalité,
même si celui-ci doit être au plus près des spectateurs pour
les toucher. C'est justement pour cette raison que le cinéma est un lieu
magique, d'expérience de ce que la réalité ne peut nous
offrir, que ce soit le meilleur ou le pire.
The Shining de Stanley Kubrick (1980)
Certes par leur puissance évocatrice, les films
d'horreur peuvent être incriminés comme symboles d'une
société perverse et voyeuriste, où depuis la fin de la
censure cinématographique la violence s'étale librement sur tous
les écrans. Mais ils peuvent aussi être le lieu d'une
réflexion sur soi, sur la vie et la mort, sur la souffrance,
au-delà des émotions fortes qu'il tend à susciter, qui
elles aussi peuvent être positives.
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