4.1.2. A la recherche de la peur : la catharsis par la
terreur
La peur est un mécanisme physique et physiologique qui
provoque des réactions internes et externes, suivant une augmentation
subite de la dose d'adrénaline contenue dans le corps humain. Sans
rentrer dans les détails anatomiques des mécanismes de ses
mécanismes, il semble que ce soit un état inconfortable, qui
n'est guère à envier ou même à rechercher. Or
à la façon des individus appréciant manèges et
autres grand-huit dans les fêtes foraines, les spectateurs des films
d'horreur savent à quoi s'attendre et tendent à vouloir
renouveler l'expérience dès que l'occasion se présente.
Ces films suscitent une réaction instinctive, perçue comme
primitive et associée aux résurgences animales chez l'homme. Si
elle est intellectuellement dévalorisée -car elle place l'homme
en situation de subordination à ses émotions- elle est au
contraire recherchée par les aficionados du genre. Là encore,
deux degrés d'interprétation sont possibles ; l'une relevant
simplement du divertissement pur, comme peuvent l'être les
manèges, l'autre
1 Les rapports charnels, même déviants,
ne peuvent être réprimandés par aucune loi car relevant de
la vie intime, hormis l'exhibitionnisme et la pédophilie
essayant de comprendre les raisons de cet engouement. La
dimension cathartique est souvent évoquée lorsque l'on parle de
cinéma horrifique. La nécessité d'avoir peur nous rendrait
« plus vivant », nous permettrait de nous défouler et de nous
décharger de toutes les mauvaises humeurs (prises au sens physique
depuis l'Antiquité1) accumulées dans la vie
quotidienne. Cette métaphore hydraulique, synonyme des saignées
pratiquées justement pour évacuer ces humeurs
indésirables, s'incarnerait dans les films d'horreur à travers
les flots de sang qui y sont déversés (et ses différentes
textures). D'autre part, l'autodérision et la relativisation de la mort
à travers des scènes gores entrent à ce titre dans une
logique de trivialisation de la mort, rejetant cette angoisse existentielle
dans le domaine du ridicule et de l'improbabilité. La démarche de
catharsis est alors patente, soit de façon grotesque, soit de
façon plus subtile, de manière à faire
réfléchir le spectateur sur l'existence et sa fin propre.
L'Homme, en tant que seul être doté de la conscience de sa mort,
recherche sans cesse les moyens de l'affronter, de tenter de l'éprouver
ou au contraire de la nier, ces trois aspects pouvant relever de la catharsis
(beaucoup de fans du genre déclarent ne pas pouvoir supporter la vue du
vrai sang alors qu'ils adorent les films gores).
Les jeux du cirque, les combats de gladiateurs et les
tragédies étaient en effet censées faire éprouver
à l'homme des situations et des drames, joués par d'autres, qu'il
ne pourrait pas éprouver lui-même, afin de réduire ses
pulsions animales en lui permettent de les extérioriser (les
applaudissements et hurlements des spectateurs à chaque scène
gore lors des projections, notamment dans les festivals témoigne de la
même logique)2. Les propos de Jean Chapelain à ce sujet
au début du XVIIe siècle paraissent être écrits pour
le cinéma, dont le but serait de « proposer à l'esprit, pour
le purger de ses passions déréglées, les objets comme
vrais et présents. Celui qui regarde [la scène] ne la doit point
regarder comme une chose feinte mais véritable3. » Cette
vision mêle paradoxalement conséquentialisme et
libéralisme, en reconnaissant une influence forte, perçue comme
négative dans le fond, mais positive dans sa forme d'expression et ses
répercussions. Dès lors les spectateurs de films d'horreur
aimeraient jouer à se faire peur afin d'éprouver ce qu'ils
craignent réellement, dans une logique téméraire
d'affrontement de leurs phobies ? Cette explication peut valoir pour certains,
notamment ceux ne s'attachant qu'à la forme de l'horreur -les
passionnés accordant en outre une plus
1 Les différentes humeurs étaient en
effet associées à des glandes présentes dans le corps
(ainsi la mélancolie émanait de l'atrabile), en plus ou moins
grande quantité, définissant un équilibre, qui pouvait
être perturbé par des facteurs internes ou externes, et que l'on
devait donc rétablit par divers remèdes.
2 Par ce biais les hommes politiques
fortunés de l'Antiquité contribuaient à la satisfaction du
peuple en limitant les potentialités de troubles à l'ordre
public. Sur ce point, voir Paul Veyne, Le Pain et le cirque, Sociologie
historique d'un pluralisme politique, Paris, Seuil, coll. Points Histoire,
1976
3 In Laurent Jullier, op. cit., p. 68
grande importance au fond. D'ailleurs ces derniers
dénoncent souvent les mécanismes de l'horreur facilement
provoquée, comme les chocs brusques et autres apparitions subites. Ils y
sont même habitués et n'y trouvent plus d'intérêt
à moins qu'ils ne soient finement exécutés, de
façon à ce que l'on ne puisse pas s'y attendre. Malgré
cette idée, il semble que l'horreur ait tout de même quelque chose
à voir avec la psychologie collective et celle de chaque individu. Si
certains films exploitent des peurs subjectives (comme l'arachnophobie, la
claustrophobie), la majorité se concentre sur des peurs hantant
l'imaginaire collectif, des tueurs en série aux fantômes.
Cependant, il n'y a pas que des spectateurs qui éprouvent peur et
dégoût, et cela se ressent lorsque l'on côtoie les fans du
genre, qui n'en font pas consommation dans ce but mais dans un but
esthétique, en dépassant le côté physique de
l'image. Cette démarche de négation des effets médiatiques
et de leur dimension cathartique, peut s'interpréter de deux
manières : comme de la mauvaise-foi (au sens sartrien, de ne pas
l'admettre, avec lâcheté) ou comme une sorte d'intellectualisation
du genre, permettant de le légitimer au-delà des critiques qu'il
subit pour cette trivialité affichée (et parfois
revendiquée, comme dans les films bis). Il semble néanmoins
qu'une autre logique soit également à l'oeuvre dans les films
d'horreur, et plus particulièrement ceux mettant en scène une
grande violence, qu'elle soit de type gore ou psychologique, notamment au
regard de leur succès et de leur type d'audience.
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