4. EN CHAIR ET EN OS : LES FILMS D'HORREUR ET LEUR
PUBLIC
La volonté de se faire peur est souvent incomprise
; comment supporter un déluge de violence et y consentir, même
avec une dénonciation ou une morale en filigrane ? Mais le nombre
important de films disponibles et la variété du genre montre bien
la tentation qu'il représente, malgré les contraintes
liées à la classification. Dès lors à qui se
destinent ces films ? S'il semble qu'ils font appel à un certain nombre
de codes, il faut tenter de cerner quels sont les individus susceptibles de les
comprendre et de les apprécier. De quelle façon les
consomment-ils ? Que traduisent ces comportements, sociaux et psychologiques
liés au visionnage de ces films, qui semblent réveiller les
instincts les plus profonds ?
4.1. Le plaisir de regarder : données
psychologiques
4.1.1. L'influence des images violentes
Les débats concernant l'influence des images ont
été particulièrement animés depuis une dizaine
d'années, notamment à cause de divers incidents étant
survenus (meurtres et agressions), qui ont été reliés au
visionnage de films contenant des scènes violentes (et également
à l'écoute de musiques contenant des paroles jugées
d'incitation à la violence). L'impact de la violence est souvent
invoqué dans ce genre de cas, mais jamais attesté de façon
formelle. Les courants d'inspiration conséquentialiste1
établissent une corrélation plus que certaine entre le visionnage
d'images violentes et pornographiques et un comportement violent.
Décrivant une accoutumance, assimilée à la drogue ou au
tabac2, avec un radicalisme qui peut surprendre, ce type
d'interprétation dicte souvent des comportements alarmistes, prompts
à pointer du doigt et à décharger le spectateur d'une
partie sa responsabilité. Or si le pouvoir des images n'est en aucun cas
contesté et contestable, il est tempéré par l'implication
personnelle du regard et son environnement intellectuel et social. L'influence
des expériences passées et à venir, dans
1 Définis par Noël Caroll in A
philosophy of mass art, Cambridge, Clarendon Press, 1998. Le rapport remis
par Blandine Kriegel en 2002 sur les jeunes et la télévision,
s'inscrivait dans cette obédience. Il a notamment exigé un
renforcement de la présence de pédopsychiatres au sein de la
commission de classification.
Voir Laurent Jullier,, op. cit., p. 51 à 59
2 Brad J. Bushman & Craig A. Anderson, Media
violence and the American public : Scientific facts vs Media
misinformation, in American Psychologist, vol. 56, 2001, p. 477 à
489
une logique de déterminisme social et psychologique,
est également à prendre en compte, notamment en utilisant
l'analyse multivariée (mise en oeuvre pour la première fois dans
les études de Durkheim sur le suicide). C'est sous couvert de cette
vision, qui laisse une grande part d'interprétation au spectateur, vu
non comme un individu passif et subissant son environnement mais comme un sujet
capable d'appréciation et de relativisation, que les courants
d'inspiration libérale tendent à diminuer l'influence d'images
violentes, génératrice de comportements déviants. Au titre
de son pouvoir de représentation, le cinéma est incriminé.
Cependant, si les images violentes sont l'objet d'attaques fréquentes de
la part des institutions publiques, principalement aux Etats-Unis, il semble
que ces dernières se focalisent davantage (et le nombre d'études
le prouvent), sur la pornographie. Cette confusion est
révélatrice de l'obsession des pouvoirs publics pour les images
mettant en oeuvre des « scènes de sexe explicite ». Or il
apparaît que le sexe est un élément qui peut être
éprouvé dans la vie quotidienne en toute
légalité1 alors que les actes de violence, et, a
fortiori les crimes, sont illégaux et fortement
répréhensibles par la loi (tant au civil qu'au pénal). Les
mises en garde, les implications économiques de la classification X et
le jugement fortement négatif associés au cinéma
pornographique semblent plus importantes cependant que celles du cinéma
mettant en scène la violence et particulièrement les films
d'horreur. Dans le premier cas, la dimension cathartique n'est presque jamais
invoquée alors que dans le second elle légitime souvent son
appréciation.
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