3.3.2. L'accès aux aides publiques
En théorie, il n'y a pas de discrimination a priori au
moment du financement des films. Les critères de soutien sont
indépendants du scénario mais les commissions attribuant ces
aides statuent sur lecture du scénario, du devis et du plan de
financement. Les éventuelles interdictions, l'absence de consensualisme,
les exigences des investisseurs -et en premier lieu celles des chaînes de
télévision- ne peuvent que porter préjudice au financement
de ce genre de films. Jean-François Rauger s'en fait l'écho :
« il [le contenu des films] les disqualifie aussi, le plus souvent,
auprès des guichets institutionnels, telles l'avance sur recettes ou les
aides régionales »3. Les films d'horreur semblent donc
en quelque sorte échapper au circuit économique
généré par les différentes aides financières
publiques. Qu'en est-il au niveau des chiffres ? En regardant les rapports du
CNC sur la production cinématographique depuis 5 ans, on se rend compte
que les films fantastique/horreur bénéficient en effet peu des
aides4. Sur les treize films identifiés dans cette
catégorie ayant obtenu l'agrément du CNC depuis 2003, seulement
trois ont bénéficié du soutien des SOFICA (alors que sur
la même période, plus de 360 films en ont obtenu le soutien de ce
type de fonds bancaires) alors qu'ils
1 D'autre part, le fort accent porté sur la
rentabilité en fait frémir plus d'un, le manque à gagner
prenant souvent le pas sur l'engagement artistique dans ce type de discours.
2 d'autant plus que la réforme de l'audiovisuel
public -censée les dégager de la servitude des résultats
d'audience liés à la publicité- n'ira sans doute pas dans
le sens d'une plus grande représentativité de l'horreur sur les
chaînes publiques.
3 Article Emergence de l'horreur à la
française, op. cit., annexe n°8, p.24
4 Voir liste des films en annexe n°41, p.126
présentent des budgets plutôt moyens1.
Cela est remarquable dans le sens où les SOFICA se positionnent
essentiellement sur des films à budget élevé, le retour
sur investissement étant primordial dans ce genre de fonds. En ce qui
concerne les aides publiques, le crédit d'impôt2 est
l'aide la plus dispensée pour ce genre de films : quatre films sur
treize en ont bénéficié depuis 2003. Cette mesure,
récompensant la localisation des dépenses en France, est
destinée à soutenir la filière cinématographique
française et à favoriser les retombées économiques
territoriales3. En revanche, un seul film a pu obtenir des aides
régionales ; qui sont en très nette augmentation depuis le
début de la décentralisation. En revanche, il est à noter
qu'aucune aide sélective n'a été sollicitée ni
attribuée, celles-ci subissant pourtant une hausse colossale depuis 20
ans.4 En effet, rappelons que ce type d'aides est accordé sur
lecture du scénario, et que, malgré les affirmations du CNC sur
l'objectivité supposée des membres des différentes
commissions d'attribution, des critères (comme l'apport du film pour
l'histoire du cinéma par exemple) peuvent être
considérés de façon aléatoire en fonction de la
vision de chacun. Des aides comme l'aide à l'écriture ou au
développement sont dispensées au cas par cas ; il n'y a pas de
conditions spécifiques à remplir au préalable, hormis les
conditions de nationalité.
Ils de Xavier Palud et David Moreau (2005)
1 Compris entre 2,42 millions d'euros pour A
l'Intérieur et 6,82 millions d'euros pour Dante 01
2 Pouvant être sollicité par le
producteur sur 20% des dépenses éligibles réalisées
en France
3 D'autre part la création d'un crédit
d'impôt international récemment évoquée et depuis
longtemps demandée par les professionnels permettrait d'attirer sur le
territoire français un nombre plus important de productions et
coproductions internationales. Si ces deux logiques peuvent paraître
paradoxales (favoriser l'enracinement français et attirer les
investissements), il semble que ce soit la clé d'une certaine
vitalité.
4 Evolution financière des soutiens à la
production cinématographique, CNC, décembre 2007
Il semble donc que les films d'horreur se prêtent peu
aux aides publiques, compte- tenu de la mise en place de dispositifs
différenciés d'interdictions aux mineurs pour ce genre de
cinéma. D'autre part, si nous avons exposé les différences
entre les catégories de classification et le classement X, la politique
fiscale afférant aux spectacles vivants interdits aux moins de 16 ans ou
aux films classés X révèle une volonté ouverte de
ne pas soutenir les oeuvres pouvant porter atteinte à la
sensibilité des mineurs. Les apports personnels du ou des producteur(s)
s'avèrent dès lors essentiels dans ce genre de productions, ainsi
que les préachats des chaînes de télévision,
quasiment monopolisés par Canal + et Ciné Cinéma. Depuis
sa création, Canal+ a toujours soutenu le cinéma français,
en préachetant ou en coproduisant de très nombreux films
français. Même si elle est par ailleurs soumise à des
obligations de production1, rien ne force le groupe à
investir dans ce type de cinéma. Il semble que ce soit la volonté
de proposer une offre diversifiées qui dicte cette pratique. Si cette
politique d'investissements élevée a toujours cours aujourd'hui,
on remarque cependant un léger changement à partir des
années 2000 ; en effet Canal+ investit plus d'argent mais sur moins
d'oeuvres2. Une volonté particulière de promouvoir les
films d'horreur en leur donnant une visibilité supplémentaire fut
toutefois amorcée par Manuel Alduy, directeur des achats chez Canal+,
qui misa dans un créneau intitulé « French Frayeur »,
visant à dégager une case d'achats spéciale pour ce
genreci3. Il y a donc des professionnels qui se mobilisent pour
faire émerger un type de cinéma qui a du mal à se faire sa
place en France.
Malgré de nombreuses propositions, la solution
miracle pour favoriser l'émergence d'un marché typiquement
français de l'horreur n'est pas encore trouvée. L'enracinement de
ce genre de films dans la production cinématographique est encore
très récent. Après des dizaines d'années de
silence, le cinéma de genre renaît bruyamment, confronté
à des classifications élevées qui sèment
d'embûches son parcours économique. Mais le débat ne fait
que commencer, son apparition au grand jour lui ayant donné l'occasion
de se faire entendre au-delà des cercles d'initiés pour qui le
problème était déjà connu et dont la défense
était assurée au-delà des critères
esthétiques.
1 Fixées en 2001 (modifiées en 2004)
elles s'évaluent à 12% des ressources annuelles de l'exercice en
cours dans des films européens et 9% dans des oeuvres françaises,
avec une part réservée aux films dont le budget est
inférieur à 4 millions d'euros. Cela peut sembler beaucoup au
regard des 3,2% et 2,5% d'investissement des chaînes en clair (qui
diffusent plus de 52 longs-métrages par an ou plus de 104 diffusions et
rediffusions de celles-ci), mais ces règles entérinent plus une
pratique existante qu'elles n'expriment une contrainte.
2 Source CNC
3 Article Emergence de l'horreur à la
française, par Jean-François Rauger et Isabelle Regnier, Le
Monde du 13/06/07, annexe n°8, p.24
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