3.2. La réaction des institutions : la
réglementation de l'accès aux films
3.2.1. De la censure...
Lorsque le cinéma apparaît en France, la censure
n'existait théoriquement plus depuis un siècle, symbole d'Ancien
Régime et de limitation des libertés individuelles, contraire
à la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen d'août
1989. Cependant, en vertu du devoir de respect de l'ordre public et des bonnes
moeurs, des commissions plus ou moins formelles ont continué de
réguler les publications, pièces de théâtre et
autres créations artistiques. C'est en vertu de ce double principe, qui
peut paraître paradoxal, que la censure au cinéma s'est
forgé une légalité de fait et que la protection de
l'enfance a pris le relais avec la commission de classification des oeuvres
cinématographiques. Afin de se substituer au pouvoir de police
aléatoire des maires et des préfets qui avait cours jusqu'alors
(mais leur sens de la coercition demeura longtemps vivace), une commission de
censure fut créée le 16 janvier 1916 (décision
ratifiée par le décret du 25 juillet 1919) et composée de
cinq commissaires de police avant de passer sous la tutelle du ministère
de l'Instruction Publique et des Beaux-Arts. Dans les années 1930, on
mit en place une restriction d'accès des salles aux mineurs (la
majorité étant de 21 ans jusqu'en 1974) et on créa un
Comité national régulateur composé de professionnels du
cinéma.1 Après la guerre, un décret du 10
octobre 1959 (ratifié en1961), instaurait deux catégories de
classement pour les films : l'interdiction aux moins de 13 ans et aux moins de
18 ans. C'est encore ce type de classification qu'utilisent de nombreux pays
anglo-saxons, et notamment les Etats-Unis depuis 1968 : les films PG-13 et R
étant respectivement déconseillés aux moins de 13 et 17
ans, mais l'accès leur est possible accompagnés d'un adulte ou
d'une personne d'un âge supérieur au leur (selon les Etats). En
France, les films qui ne relevaient pas des critères cités
pouvaient soit être tout simplement interdits, c'est-à-dire
privés de distribution en amont et donc de sortie en salles, soit subir
le classement X, ce qui représentait des coûts
supplémentaires2, une mauvaise presse mais aussi une
publicité gratuite. Pour éviter ou contourner ces contraintes,
beaucoup de films sortaient avec des coupures. Or cette classification ne
1 Laurent Jullier, 2008, op. cit., p. 14-15
2 En effet, la loi de finances du 30 décembre
1975 instaure une disposition fiscale catégorie dite X pour les films
pornographiques ou d'incitation à la violence : Les films classés
X font l'objet d'un prélèvement spécial de 33,1/3% sur les
cessions de droits et les droits d'entrées et de 20% sur leurs
bénéfices industriels et commerciaux imposables. D'autre part,
tout type de soutien financier direct ou indirect de l'Etat est exclu, tant
pour les films que pour les salles qui les projettent. Dans le cadre de
l'harmonisation fiscale européenne, ce prélèvement a
été abaissé à 19,6%, c'est-à-dire le montant
courant de la TVA, mais reste toutefois supérieur à la TVA
appliquée aux biens culturels (5,5%)
visait pas réellement la protection des mineurs car les
films de ce type ne pouvaient être projetés que dans des salles
spécialisées, dont l'accès était automatiquement
interdit aux moins de 18 ans. Selon ces critères, des films d'horreur
ont pu faire l'objet d'un classement X. A l'époque, des débats
avaient été menés quant au classement de films comme
Massacre à la Tronçonneuse (1974) de Tobe Hooper,
d'abord totalement interdit puis privé de distribution par le fait qu'il
n'y ait pas de cinémas spécialisés pour projeter ce type
de films. Mais, finalement, ce film n'a pas subi la classification X (depuis,
il a été classé en moins de 16 ans à l'occasion de
son exploitation télévisuelle)1 ; il a tout simplement
été interdit après une semaine d'exploitation ! De la
même manière, Mad Max fut rangé dans cette
catégorie, avant de sortir avec des coupures. Les enjeux de la
classification X, malgré la possibilité d'en estampiller des
films présentant une violence extrême, semblent cependant ne s'y
appliquer que rarement.
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