CHAPITRE 3 : L'EXEMPLE FRANÇAIS : ENTRE
ATTIRANCE ET RéPULSION
Pourtant terre fertile du 7e art, la France n'a
jamais été une bonne élève dans la cour du
cinéma fantastique, dominée par les Anglo-Saxons. Alors qu'il y
eut un cinéma d'horreur anglais dans les années 1950-60, un
cinéma italien dans les décennies suivantes et alors que le
cinéma espagnol a de nouveau le vent en poupe depuis 10 ans, les
Français restent rares dans cette discipline codifiée et
périlleuse, boudée des producteurs et marginalisée par la
critique. Or il semble que cela tend à évoluer...
3.1. La faiblesse de la production
Si les frères Lumière ont inventé le
cinématographe, les Français s'illustrant dans la production ou
la réalisation de films fantastiques sont rares et cela est encore plus
remarquable lorsque l'on parle de films d'épouvante ou d'horreur. Dans
la première moitié du XXe siècle, il n'y a guère
qu'un réalisateur qui se risque dans ce genre cinématographique
où prolifèrent pourtant les Américains et les Allemands,
il s'agit de Jacques Tourneur. Avec Vaudou (1943), il signe une oeuvre
unique mettant en scène des zombies, un an après La
Féline (1942). Cependant, peut-on réellement qualifier ces
oeuvres de françaises, étant donné que les producteurs
sont américains ? Les critères actuels de la nationalité
d'un film l'excluraient de la production française. Cet exemple peut
néanmoins être retenu comme témoin de cette absence
française sur le registre des films d'horreur. L'après-guerre
confirme cette absence. Notons également, dans l'immédiat
après-guerre la réalisation de deux films difficilement
classables : Les diaboliques de Henri-Georges Clouzot (1955) et
Les yeux sans visage de Georges Franju (1959), qui est
désormais considéré comme un classique du cinéma
français. Les implications extra-diégétiques des films de
Franju ont été remarquablement analysées par Adam
Löwenstein1. Ce n'est que dans les années 1960
qu'apparaît un cinéaste hors pair, prolifique et provocateur ;
Jean Rollin. Celui-ci réalise des films mettant en scène horreur
et érotisme, comme dans Le viol du vampire (1967) ou La
vampire nue (1969), et choque par son obscurantisme. Cette apparition d'un
genre difficilement définissable, à rapprocher des films de
l'espagnol Jess Franco à la même époque, n'a cependant
pas
1 Adam Lowenstein, Shocking Representation,
op. cit., Chapitre 1 : Horror without face
marqué au fer rouge l'histoire du cinéma de la
façon dont on pourrait l'imaginer, comme l'atteste Christophe Lemaire :
« Avant Jean Rollin, le cinéma fantastique/horreur français
n'existait quasiment pas ; si fantastique il y avait c'était de
façon onirique avec les films de Cocteau ou Franju, qui disposaient d'un
background cinématographique important et étaient
légitimés par l'institution [Georges Franju fut l'un des
cofondateurs de la Cinémathèque Française]. Jean Rollin a
toujours été méprisé en tant que cinéaste,
jugé mauvais et vulgaire alors que sa position de pionnier devrait, de
fait, le faire apparaître dans les annales du cinéma
français1 ».
Les deux orphelines vampires de Jean Rollin (1995)
Ensuite, la France fut prise dans la Nouvelle Vague et il n'y
eut plus guère de films subversifs par leur contenu horrifique.
L'exploitation était bannie en tant qu'intrusion américaine et le
cinéma français portait fièrement les couleurs d'un
cinéma d'auteur qui ravit toujours son exégèse. Pourtant,
depuis une dizaine d'années, de jeunes réalisateurs
français tendent à faire parler d'eux dans le domaine du
cinéma d'horreur. Jusqu'alors il n'existait pas vraiment de
cinéma de genre national à proprement parler, comme il y a un
cinéma américain, britannique ou italien à une certaine
époque. Néanmoins il semble qu'un genre d' « horreur
à la française » soit en train d'émerger. Les
réalisateurs du film A l'Intérieur, Julien Maury et
Alexandre Bustillo sont représentatifs de cette nouvelle vague de
cinéastes audacieux qui souhaitent faire vivre le film de genre
français. En 2005, seuls deux films français agréés
par le CNC2 étaient des films d'horreur. D'un
côté on trouve Silent Hill de Christophe Gans, une
coproduction à majorité étrangère (80% canadien,
20% français) et à gros budget (30,27 millions d'euros), de
l'autre Ils de David
1 Entretien mené le 24/07/08, annexe n°26,
p.66
2 Rapport sur la production cinématographique
française - 2005, p. 40
Moreau et Xavier Palud, un film d'initiative française
(produits et financés intégralement par des partenaires
français) à petit budget (1,4 million d'euros). Ces deux longs-
métrages illustrent bien le dualisme hiérarchisé qui
caractérise le cinéma d'horreur français depuis quelques
années. Une bonne partie des réalisateurs est tournée vers
les grosses productions américaines (La Colline a des yeux
d'Alexandre Aja ou Gothika de Matthieu Kassovitz). En effet les
studios repèrent les talents et leur proposent ensuite des contrats bien
plus ambitieux, comme en ont récemment fait l'expérience Xavier
Palud et David Moreau, en réalisant en 2007 un remake de The
Eye. Mais des premiers films comme Ils ou A
l'Intérieur, avec des budgets moindres1, se font
également une place, critique et commerciale, au sein d'un marché
tourné vers les blockbusters*. En 2007, cette tendance se confirme.
« Ceux qui parlent de nouvelle vague du cinéma d'horreur
français le font parce qu'effectivement, cette année il y a deux
films gores qui sortent : A l'intérieur et
Frontières de Xavier Gens [reportée début 2008].
Mais à côté des Etats- Unis, où deux films gore
sortent par semaine, ce n'est rien ! »2 . Naturellement, deux
films ne pèsent pas lourd dans l'industrie cinématographique mais
cela tend à être noté avec intérêt. Si le
cinéma horrifique français n'en est qu'à ses
balbutiements, la nouvelle génération saura bientôt le
faire parler.
En effectuant un relevé des films d'horreur
français produits de 2003 à 20073, nous nous
apercevons clairement de cette rareté. Au total, il n'y a que 13 films
d'horreur produits entièrement ou en partie par la France , sur un
volume global de 1086 films français (films d'initiative
française et coproductions à majorité
étrangère), ce qui représente 1,2 % de ce total sur une
période de 5 ans. Si ce score est remarquable par sa faiblesse, notons
que cela représente tout de même une évolution positive.
Les producteurs restent frileux et n'osent pas se lancer distinctement sur ce
créneau. Même Richard Grandpierre, qui a pourtant produit quelques
films chocs avec sa société Eskwad (dont Ils et
Martyrs), n'affirme pas une passion débordante pour ce genre.
«Les producteurs ne prennent plus aucun risque (...) Ils
préfèrent s'appuyer sur des franchises, ce qui leur évite
un gros travail de promotion, constate avec dépit Julien Magnat,
réalisateur de Bloody Mallory. En France, il existe une ligne
de démarcation entre film de genre et films d'auteur»4.
C'est cette synthèse qu'a tenté Pascal Laugier avec ses films,
Saint-Ange puis Martyrs, mais il semble que sa conception
plus intellectualisante de l'horreur ait du mal à trouver son public.
1 Même si 800 000 € de publicité ont
été dépensés, comme le rappellent Isabelle
Régnier et Jean-François Rauger, article Emergence de
l'horreur à la française, Le Monde, 13.06.2007, annexe
n°8, p.24
2 Interview J. Maury et A. Bustillo par Jean-Nicolas
Berniche, mai 2007, annexe n°7, p.21
3 Voir listes des films établie à partir
des listes de la production agréée, annexe n°41 ,p.126
4 Article Sang pour sang horreur, par
Frédéric Granier, TGV Magazine, 2006, annexe n°1, p.7
|