2.2.5. Les torture-fl icks et autres porn-flicks
Une nouvelle génération de films a vu le jour
depuis quelques années, appelés porn-flick ou torture-flick,
empruntant tant au post-slasher, qu'au gore et au thriller. Ce cinéma,
avec des titres comme Saw de James Wan, Hostel d'Eli Roth ou
Captivity de Roland Joffé met en scène des individus,
souvent jeunes (moins adolescents toutefois que dans les slashers), en proie
à des tueurs sadiques qui leur infligent des tortures
1 Même la saga Saw, pourtant censée
représenter le stéréotype du film d'horreur contemporain
met en scène, certes de façon marginale, au sein du schéma
narratif, une enquête policière, tout comme Blood
Feast.
2 Dans Scream 2, c'est le policier, Dewey,
qui se révèle être le tueur masqué, dans
Massacre à la Tronçonneuse, le grade de shérif
est usurpé par un membre de la famille de Leatherface
toujours plus inventives dans une logique de jeu, et donc de
violence supposée gratuite. La saga Saw (qui compte six
longs-métrages et dont le dernier devrait sortir à l'automne
2009) en est un bon exemple1. A chaque volet, de nouvelles tortures
sont présentes, l'histoire se résumant aux nouveaux
stratagèmes que le tueur a imaginé pour mettre à
l'épreuve ses victimes, qui, selon lui, ne méritent pas de vivre.
Cette vision en a choqué plus d'un, prétendant que ce
scénario évoquait la barbarie nazie. La violence distillée
dans ces films, n'étant contrebalancée par aucun aspect d'ordre
moral ou éthique2, suscite systématiquement de la part
de la commission de classification une interdiction aux moins de 16 ans,
souvent assortie d'un avertissement. Pour Jean-Nicolas Berniche, ces films ne
sont que des produits prêts à consommer et ont perdu leur
dimension subversive au profit d'une standardisation et d'une approche purement
provocatrice dans un but uniquement marketing : « La nouvelle vague s'est
saisie de l'héritage gore de ses aînés mais a laissé
de côté le principe même du film d'horreur dans lequel
l'image ne prime pas toujours3. » C'est ce qu'il appelle «
le syndrome Saw » : des films où le scénario n'est qu'un
prétexte à un défoulement de tortures gores filmées
en plein champ.
Saw 3 de Daren Lynn Bousman (2004)
Néanmoins, il convient de relativiser quelque peu le
discours sur cette violence dite gratuite. Ce genre de scénarii exploite
les peurs actuelles : celle de l'étranger et de la frontière
(Hostel est censé se dérouler en Slovaquie,
Frontière(s) de Xavier Gens met en scène une famille
psychopathe vivant aux confins de la France et de la Belgique), celle de la
gratuité de la violence inspirée des faits divers quotidiens ou
encore celle de la banalité et de l'humanité du visage de la
violence (les tueurs apparaissent souvent en tant
1 Jigsaw, un malade atteint d'un cancer, soumet ses
victimes à des épreuves par lesquelles, en éprouvant la
souffrance à travers le sacrifice de quelque chose (souvent une partie
de leur corps ou la vie de quelqu'un d'autre), elles conquièrent leur
droit à continuer de vivre - tandis que lui est condamné à
mourir.
2 Il n'y a pas de dénonciation de cette
violence subie, qui peut dès lors apparaître comme une apologie,
mais nous avons vu plus haut que l'un n'entraîne pas
nécessairement l'autre
3 Article Une petite histoire de l'horreur, le
cinéma qui fait peur, octobre 2007, annexe n°9, p.25
que personnes tout à fait « normales », finis
les psychopathes masqués ou déformés). Le succès de
ce genre de cinéma1 renvoie au voyeurisme patent de nos
sociétés surmédiatisées, où la
télé-réalité façonne le regard et donne
à voir les détails les plus personnels de la vie d'autrui en tant
que consommation normalisée d'images. Cependant, le principal reproche
fait à ce genre de films est de ne pas aller plus loin dans
l'exploitation du thème abordé : « Très (trop ?)
malin, l'éprouvant Hostel se révèle un film
d'horreur hardcore, ultraefficace mais qui explore trop peu son sujet. (...) La
quête du plaisir se finit toujours mal, semble nous dire Eli Roth, une
morale vaguement réac et un peu facile compte-tenu du potentiel de
l'histoire et de ses résonances contemporaines2. » De
plus, pour certains, comme le réalisateur Michael Haneke, ce
déferlement de violence sur nos écrans est à
dénoncer en tant qu'illustration d'une curiosité malsaine. C'est
ce constat qui l'a motivé à retourner à l'identique une
version de Funny Games pour le marché
américain3. Le réalisateur y place le spectateur face
à ses tentations de voyeur à plusieurs reprises, distillant une
atmosphère lourde par de longs silences et la quasi- absence de musique,
l'un des acteurs interpellant directement l'audience (questionnant par
là ses motivations) en brisant la « règle du
quatrième mur » c'est-à-dire la barrière de
l'écran. Enfin, le fait que beaucoup de ces films engendrent des suites,
à la manière des slashers des années 1980-90, est un
reproche supplémentaire de la part de ceux qui souhaitent
dénoncer cette pure consommation cinématographique de la
violence.
Cependant tous les films d'horreur produits ces
dernières années ne peuvent pas être inclus dans cette
mouvance. Des longs-métrages tels que Isolation de Billy O'Brien, La
maison des mille morts de Rob Zombie ou encore Wolf Creek de Greg Mc Lean, qui
a inspiré Boulevard de la Mort de Quentin Tarantino, relève d'une
toute autre vision. Un certain type de cinéma gore, affilié aux
évolutions ultérieures, est cependant toujours à l'oeuvre
dans le cinéma d'horreur et conserve sa dimension fantastique, notamment
en mettant en oeuvre des créatures surnaturelles (zombies, monstres,
fantômes,...). Une autre partie, évoluant vers un réalisme
toujours plus prégnant, figuré par les torture-flicks et les
thrillers tend plutôt vers le genre policier et/ou documentaire. D'autre
part, il semble que les genres se mêlent plus qu'avant, le cinéma
ultra codifié semblant plus rapidement en perte de vitesse,
poussé par un comportement peut-être plus
consumériste.
1 Saw avait attiré en France 493 000
spectateurs, Saw II avait totalisé 668 000 entrées, le
troisième ayant attiré plus de 738 000 personnes dans les salles
françaises et le quatrième 295 000. Source CBO- Box Office
2 Article Une époque fantastique, par
Alexis Bernier in Libération du 1er février 2006,
annexe n°2, p.12
3 Avec des acteurs anglo-saxons, la version originale
autrichienne de 1997 n'ayant été que peu diffusée aux
Etats-Unis, le marché étant peu friand des versions
étrangères sous-titrées.
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