Ce troisième temps d'analyse à pour objectif de
questionner ces fondements éthiques, d'en faire surgir les principes
essentiels, de déterminer les outils concrets qui pourraient
émerger de sa mise en oeuvre au sein des établissements
secondaires.
Deux contraintes conditionnent cette analyse :
· Le cadre territorial et le réseau EPLE qui nous
avons tenté de
décrire ; cette multiplicité de
territoires aux codes déjà établis ;
· La nature de cette gouvernance, gouvernance des
réseaux.
De plus, il nous faut définir un cadre conceptuel
pertinent pour déchiffrer et interpréter le fonctionnement de
l'EPLE dans sa démarche éthique. Ce cadre doit aussi nous
permettre d'unifier l'ensemble des acteurs de l'EPLE, de dégager une
problématique de management public. In fine, la question du
caractère transférable du modèle ainsi obtenu se posera :
cette grille de lecture fait-elle apparaître un modèle
Quelle gouvernance pour l'EPLE : de l'institution à
l'organisation, vers un nouveau
modèle public ?
public de management des organisations
déconcentrées dans le domaine éducatif public ? Lequel ?
Quel paradigme le met en mouvement ?
Définir les apports théoriques, construire la
cadre de réflexion et d'analyse
Trois penseurs contemporains proposent une lecture ouverte et
particulièrement prégnante en matière d'éthique.
Edgar Morin (2004), dans le sixième opus de sa
méthode, offre une lecture de du concept éthique, «
l'éthique de la reliance ». Il la définit comme « une
éthique altruiste qui demande de maintenir l'ouverture sur autrui, de
sauvegarder le sentiment d'identité commune, de raffermir et de tonifier
la compréhension d'autrui ».
Cette éthique nous semble proche de la sphère
organisationnelle car elle articule de façon originale autour de deux
concepts essentiels : l'ouverture et l'identité. Voilà deux
outils qui traverse notre analyse depuis le début, car c'est bien
l'identité d'une organisation qui préside à sa mise en
mouvement dans l'environnement qui est le sien, et réciproquement. Cette
notion d'ouverture, prise au sens premier du terme, rejoint les
problématiques d'espace et de sphère publique, que nous avons
évoqués dans notre lecture de la gouvernance de l'EPLE : quelle
est la réaction de l'objet organisationnel EPLE face à son
environnement ? Quel type de contact met-il en oeuvre du point de vue
stratégique afin de promouvoir sa spécificité publique ?
Le concept de reliance est au coeur de cette analyse.
Quelle gouvernance pour l'EPLE : de l'institution à
l'organisation, vers un nouveau
modèle public ?
Nous voulions, en écho aux travaux d'Edgar Morin sur
l'éthique de la reliance, nous appuyer sur la notion de rupture que
développe Daniel Cohen (2006) dans ses Trois leçons sur la
sociétépost industrielle.
Dans son analyse de ce qu'il appelle la «
révolution financière », il qualifie cette notion de rupture
qui est celle du capitalisme : « par tous ses bords, la capitalisme
contemporain engage un grand démembrement de la firme industrielle
». Il explicite alors ce travail d'autonomisation des acteurs et de «
rupture de contrats » ; contrats qui étaient
caractéristiques de l'organisation sociale précédente. Il
la définit comme une rupture paradigmatique car elle engendre un autre
mode pensée.
Cette double entrée conceptuelle
développée par Daniel Cohen, nous permet de situer l'organisme
EPLE comme un système autonome qui s'est développé en
dehors de cette rupture fondamentale du XXème siècle
européen. Il est cependant confronté à une entrée
brutale dans ces modes de gestion ; un nouveau paradigme. C'est de cette
confrontation entre son histoire, son essence institutionnelle et son nouvel
espace d'exercice, qui ne peut se situer hors des organisations qui
l'entourent, que naît sa nouvelle spécificité
organisationnelle.
Au fond, c'est la nature du contrat28 qui le lie
à ce monde qu'il investit qui pose question ; monde dans lequel, selon
Cohen, cette problématique du contrat est très affaiblie au
profit d'une conception
28 Nous nous référons aux travaux
d'I. Pastorelli pour ce concept et sa double lecture politique et
organisationnelle. In, Pastorelli, I., L'impact d'un outil de contrôle
sur l'organisation : le cas de l'atelier industriel de L'aéronautique.
Université de Nice Sophia-Antipolis, Thèse de Doctorat (2000).
Quelle gouvernance pour l'EPLE : de l'institution à
l'organisation, vers un nouveau
modèle public ?
individualiste de l'identité. C'est bien un conflit
éthique qui met en mouvement le réseau EPLE.
Enfin, Emmanuel Levinas (1984) dans son Ethique et infini
nous propose une piste qui pourrait enrichir notre mise en forme du cadre
éthique de l'EPLE.
Il questionne la notion de limite(s) dans la
problématique éthique, proposant une lecture éthique de
l'infini. L'exigence éthique est une exigence sans limite. La question
de la limite est essentielle dans le cadre de notre analyse. L'organisation
pose des limites, celle de sa stratégie, de son environnement
géographique, de son potentiel financier, de ses marges de manoeuvre.
L'EPLE, parce qu'il garde des caractéristiques institutionnelles
marquées évite de poser la question de la limite. La limite de
L'EPLE, comme organisation-institution29 c'est l'EPLE lui
même. Il est donc à même de définir un cadre
éthique original dans un contexte managérial ou tout doit
être pensé en termes de finalité et de limites.
Comment peut-il alors interagir avec son environnement
organisationnel?
Voilà les fondamentaux qui guider l'analyse que nous
allons proposer sur l'éthique de l'EPLE. Cette dernière
s'articulera en deux temps :
29 Nous introduisons ce vocable, hybride, comme un
outil de travail pour définir l'entité de l'EPLE, entre
institution publique et organisation.
Quelle gouvernance pour l'EPLE : de l'institution à
l'organisation, vers un nouveau
modèle public ?
· Une tentative d'approche et de définition du
concept éthique comme fondement de la gouvernance de l'EPLE ;
· La mise en place d'un savoir actionnable sous la forme
d'un code déontologique qui expliciterait une des
caractéristiques propres de sa gouvernance. La question d'un possible
transfert des outils ainsi défini à un modèle de
management des structures publiques sera alors posée.
Valeur et valeurs
Il nous faut revenir sur ce concept de valeur. La question de
fond est de savoir si la mise en oeuvre d'une gouvernance spécifique
à l'EPLE peut (doit ?) générer de la valeur pour la
collectivité ? Le discours n'est plus iconoclaste à ceci
près que c'est la notion de performance qui se substitue à celle
de valeur (Rapport des Inspections Générales).
Là encore il nous faut qualifier la notion de valeur
au sein de l'EPLE, ce qui nous permettra de mieux appréhender les
valeurs qui en sont à l'origine.
Deux domaines spécifiques peuvent êtres
identifiés ; domaine où l'organisation EPLE est créateur
de valeur :
· Le domaine de la formationJ0, qu'elle soit
continue ou initiale Les connaissances produites permettront d'accroître
le potentiel de nombre d'organisations extérieures. Le
bénéfice est
essentiellement exogène ;
30 Nous distinguerons la formation en tant que
structure de la formation en tant que vecteur de compétences.
Quelle gouvernance pour l'EPLE : de l'institution à
l'organisation, vers un nouveau
modèle public ?
· Le domaine des compétences, celle de
l'ensemble de ses personnels. Sa politique de formation interne lui permet de
générer une valeur en termes organisationnels. Le
bénéfice est alors endogène.
On notera que ces deux pôles sont conditionnés
par un principe éthique : permettre à chacun d'accroître
son potentiel et ses compétences en dehors de toute visée
utilitariste. On constatera que tout ce qui concourt à la valorisation
des compétences au sein de l'EPLE n'est pas pensé en termes
d'apprentissage organisationnel31. L'individu n'accroît pas
son potentiel pour la structure. Nous rejoignons notre réflexion sur le
caractère unique de cette institution et de ses acteurs et
l'autonomisation des démarches.
La production de valeur au sein de l'EPLE est
découplée de son apport à la structure même. En fait
c'est le réseau et les partenaires qui en bénéficient.
On déduira de l'analyse du couple valeurs/valeur que
l'EPLE est tourné vers la satisfaction de son environnement. Ses
modalités d'apprentissage (et celles de ses acteurs) nourrissent
l'ensemble de son réseau et donc la communauté.
31Nous nous référons ici aux travaux
de Ferrary et Pesqueux, sur le Management de la connaissance. Ils y
développent notamment la spécificité du domaine «
public » en termes de connaissance et d'apprentissage.
Quelle gouvernance pour l'EPLE : de l'institution à
l'organisation, vers un nouveau
modèle public ?
Une question de principes ?
Quels principes éthiques met-il en mouvement ? En
croisant les sources professionnelles (Charte des EPLE et Protocole d'accord
sur les personnel de direction) et nos référents conceptuel, six
aires éthiques se dessinent et rejoignent nos trois axes de gouvernance
: l'unique --le réseau -- l'espace.
· Une éthique constitutive de l'organisation
même. L'organisation est sa propre éthique. Son existence est
d'essence éthique. La transmission en matière
éducative est détachée des contingences de son
environnement, tout en répondant à ses attentes.
· Une éthique participative au sens où
l'organisation accroît son cadre éthique en fonction de ses
membres. Le réseau vient en modifier les contours et la mise en oeuvre
même si le coeur reste intact.
· Un éthique Républicaine où l'EPLE
incarne la chose publique au sein d'une sphère spécifique. Une
éthique qui émane de l'ensemble de la communauté et rend
compte à cette même communauté.
· Une éthique du conflit parce qu'elle est
éthique de partage. L'EPLE est un noeud de conflit et sa gouvernance
repose sur ce principe de confrontation préalable à
l'unité. Sa démarche même vise à permettre le
conflit, dans une pluralité d'expression(s).
· Une éthique du creuset culturel, du lien
social. L'EPLE est cet « espace réceptacle » de l'ensemble des
codes éthique de la communauté, des communautés
éducatives ; code de la pluralité.
Quelle gouvernance pour l'EPLE : de l'institution à
l'organisation, vers un nouveau
modèle public ?
· Une éthique de l'unité, de la
synthèse. La nature des valeurs transmises et donc de la valeur produite
(un savoir fondateurs ; des compétences actionnable et
transférables) tend à l'unité des communautés, des
parties prenantes, des acteurs (opposants et adjuvants).
Ces principes posent la question de leur mise en oeuvre
fonctionnelle au sein des EPLE et donc la problématique d'un
véritable code déontologique. Ce dernier pourrait donner une
lisibilité accrue aux principes diffus dans le Réseau EPLE.