Denis Meuret (2007) dans son approche comparée de la
gouvernance des systèmes éducatifs français et
américain démontre que notre système scolaire, s'il
s'oriente vers une plus grande liberté accordée aux familles,
n'accompagne pas cette évolution sensible d'une modification du pilotage
des EPLE en termes d'autonomie de décision et de projet. C'est la notion
« d'accountability » qui est de nouveau en question. Quelle
responsabilité pour les EPLE dans un système social qui
revendique le choix comme un axe de construction de l'identité
collective ?
Cette analyse nous renvoie à la notion de centres de
décision. Peut-on s'interroger sur cette notion alors que l'EPLE est une
émanation
Quelle gouvernance pour l'EPLE : de l'institution à
l'organisation, vers un nouveau
modèle public ?
de l'État, premier décideur, dont il tire sa
légitimité et son cadre d'exercice ? Qu'est ce qu'un centre de
décision dans l'environnement de l'EPLE étant donné que
son caractère institutionnel le rattache, sans discontinuité,
à sa tutelle première ?
Il nous faut à ce stade travailler la notion de
réseaux, à la lumière de rôle renforcé des
parties prenantes, dans un schéma territorial des plus complexes. Robert
Reix (2004) explicite la notion de « réseaux d'organisation »
comme une conséquence d'un besoin des « partenaires entretenant des
relations régulières de type transactionnel ou coopératif
».
Cette analyse nous semble bien caractériser la
fonction de chacun des acteurs de l'EPLE. Si réseaux il y a, c'est bien
une demande d'organisation autre (de l'espace et des fonctions) afin de pouvoir
fonctionner en partenariat, au quotidien.
La prolifération des centres de décision
devient problématique dans le cadre de la réalisation des
objectifs assignés aux établissements21 :
· Ils doivent communiquer, ce qui implique l'avis de
l'autorité de tutelle académique avec la prise en compte de
chacun des acteurs, qui veulent être informé de façon
identique et pérenne ;
· Ils doivent anticiper sur leur devenir en termes de
structures, ce qui implique la double tutelle de la collectivité de
rattachement et de l'état ;
· Ils sont évalués selon des critères
de « performance » dans leur Bassin, au sein de leur réseau
même (une forme de benchmarking
21 Nous reprendrons le référentiel des
Personnel des Direction (2001 ; 2005) et la Charte de Pilotage des EPLE (2007)
afin d'en extraire les missions essentielles.
Quelle gouvernance pour l'EPLE : de l'institution à
l'organisation, vers un nouveau
modèle public ?
permet de les situer sur le plan du Bassin de Formation, du
Département, de L'Académie). La constitution de réseaux
avec les partenaires devient alors primordiale.
Comment caractériser alors ce nouveau centre de
décision ?
Il est multiple, n'occupe aucun espace en particulier mais
les investit tous, il prescrit, évalue et contrôle, disposant des
corps (techniques, inspections) qui mettent en mouvement ses décisions.
Il est un lieu de pouvoir parce qu'il est un lieu de contrôle des
incertitudes (Friedberg,).
L'environnement des l'EPLE est diffus et son centre
d'équilibre précaire car évolutif. On peut dire que l'EPLE
est son propre centre car il est le seul à regrouper à certains
moments des besoins spécifiques l'ensemble des acteurs. Il est le
réceptacle des décisions éducatives (nationale,
académique, territoriales) car il est le seul lieu où ces
dernières peuvent êtres vues, appréciées,
évaluées par l'ensemble des parties prenantes.
Il nous faut revenir sur la nature du pilotage de l'EPLE afin
de mieux le cerner comme centre de décision, voire même le
Centre22 des centres de décision
zz Cette notion de pluralité (centre(s))
est essentielle car elle définit bien le flou sémantique et
managérial de cette réalité. L'EPLE est une sorte de
territoire central complexe, un centre organisant la vie d'une
multiplicité d'autres pôles/centres de décision et d'action
qui occupent ce territoire essentiel au développement de leurs
activités. On retrouve ici la thématique des pôles de
compétitivité.
Quelle gouvernance pour l'EPLE : de l'institution à
l'organisation, vers un nouveau
modèle public ?
Bouvier (2003) rappelle le caractère partagé de
son pilotage. Pupion, Leroux et Latouille (2007) définisse les
modalités de fonctionnement de l'EPLE comme « participatif »
tout en soulignant le rôle des différents réseaux,
notamment en ce qui concerne la mise en place des Projets
d'établissement. Les Rapports des Inspection Générales
(2006, 2007) mettent en valeurs cette pluralité
d'influences.
C'est ce pilotage, partagé par nature, qui vient
renforcer cette réalité que nous qualifierons de creuset
décisionnel. L'EPLE assure six fonctions essentielles comme
centre de décision :
· Ilcollecte, trie, et rapporte tout type
d'informations23 venant des différents partenaires et lui
donnant sa valeur éducative (on pense par exemple à certaines
revendications des familles, des élèves qui ne peuvent avoir une
visibilité éducative que dans l'établissement même)
;
· Ilhiérarchise les décisions permettant
de mettre en exergue certaines priorités nationales (La Loi sur le
handicap de 2005 en est l'exemple parfait : c'est bien dans les murs de
l'établissement même que ce texte prend sa valeur éducative
et symbolique).
· L'EPLE recentre le champ collectif, médiatique et
social, sur certaines priorités;
· Ilpermet d'accroître la visibilité des
territoires. Tel ou tel EPLE représentera mieux un type de territoire ou
un autre (on pense ici aux problématique de l'éducation
prioritaire) ;
23 On soulève alors la question du
Système d'information de l'EPLE, qui, selon nous, définit son
modèle de fonctionnement. Ce système exemplifie le passage d'une
structure verticale à une conception partenariale de la gestion des
ressources et des compétences.
Quelle gouvernance pour l'EPLE : de l'institution à
l'organisation, vers un nouveau
modèle public ?
· 6lcatalyse les actions des différentes parties
prenante en matérialisant un lieu d'exercice, et donc de
visibilité (on pense aux plans d'équipements gérés
par les Collectivités territoriales ou tout simplement à la
construction de nouveaux établissements selon des critères
environnementaux dont la visibilité est essentielle.
· Enfin, il est le lieu d'exercice de la
Responsabilité des différentes parties prenantes :
pédagogique et matérielle pour l'état et la
collectivité de rattachement ; individuelle et collective pour les
familles et association ; juridique pour tout les acteurs.
Définir le réseau EPLE c'est mettre en exergue
le caractère local24 des établissements ;
définir leur espace organisationnel comme un espace stratégique
pour l'ensemble des parties prenantes et, enfin, le positionner comme
le lieu « central » dans l'environnement économique et
politique qu'il construit.
Ces analyses nous permettent de qualifier les
caractéristiques de acteurs de l'EPLE au regard de cet environnement
complexe. Quatre caractéristiques principales se dégagent de
cette lecture :
· L'acteur est avant tout pro actif sur la scène
territoriale et l'EPLE lui sert de lieu de réalisation de ses objectifs
:
· L'acteur est parti prenante de l'ensemble de la
chaîne décisionnelle éducative. Les associations de parents
d'élève, par
4 En termes juridiques et managériaux.
Quelle gouvernance pour l'EPLE : de l'institution à
l'organisation, vers un nouveau
modèle public ?
exemple, sont présentes depuis les procédures de
choix d'établissement jusqu'à l'évaluation des
résultats des EPLE ;
· L'acteur n'existe que par sa participation au
réseau de l'EPLE, lequel est variable dans sa taille et son espace
d'influence ;
· L'acteur est une composante essentielle du
territoire25 de l'EPLE.
Il permet d'en définir les
contours par ses attentes et ses revendications.
Il nous faut alors proposer une première cartographie de
la place de ses parties prenantes au sein du réseau EPLE, Centre de
décision(s).
Les parties prenantes et L'EPLE
Une cartographie du centre de décision
Familles & Représentation
Associations Parents Communication
Action
Visible Forte
Personnel non Action
enseignant Représentation
Communication
Personnel enseignant Représentation
Action Communication
Tutelle hiérarchique Représentation
Académique Action
Communication
Tutelle Hiérarchique Action Départementale
Communication
Représentation
Association Locales Action
Représentation
Collectivité de Action
rattachement Communication
Acteurs politiques Communication
Action
Neutre Neutre
Visible Forte
Visible Forte
Visible Forte
Neutre Forte
Visible Forte
Neutre Forte
5 Au sens géographique, symbolique mais
surtout en tant qu'espace de réalisation de l'organisation et/ou des
réseaux qu'elle intègre.
Quelle gouvernance pour l'EPLE : de l'institution à
l'organisation, vers un nouveau
modèle public ?
Nous distinguons huit familles d'acteurs dans l'environnement
de l'EPLE. Le choix hiérarchique dépend du pouvoir (influence,
création de contraintes) exercé au sein de ce territoire.
Nous avons retenus trois catégories pour nommer et
classer les acteurs :
· Communication : fonction de reliance (Morin,
2005) au sein du réseau ;
· Représentation : parler au nom de et/ou exercer
le pouvoir pour des acteurs de niveau inférieur ;
· Action : porter une parole audible sur la scène
publique ; recherche des liens, former des coalitions pour rendre une
demande visible au sein du réseau ;
Deux niveaux nous permettent de qualifier la présence
(visibilité, efficience) des acteurs sur le réseau :
· visible : forte, permanente, pérenne,
organisée ;
· Neutre : leur action permet de créer du lien, de
soutenir des actions mais n'influence pas la vie du réseau.
Enfin, nous qualifions la nature de l'interaction mise en
mouvement par ces acteurs de deux façons :
· Forte pour la pérennité de cette
dernière et la densité des réseaux mis en
mouvements et sollicités.
· Neutre pour une mise en réseau qui ne demande
pas une construction et/ou un investissement permanent dans l'environnement
EPLE.
Quelle gouvernance pour l'EPLE : de l'institution à
l'organisation, vers un nouveau
modèle public ?
Nous pouvons dresser un certain nombre de remarques sur le
fonctionnement de ses acteurs :
Le caractère paradoxal de certains acteurs est
particulièrement signifiant. Tous interagissent clairement avec les
autres acteurs du Réseau mais certains (associations) ne souhaitent une
visibilité trop forte. La collectivité de rattachement est
l'exemple même de l'acteur détenant une influence nette sur
l'ensemble des partenaires : centrée sur l'action, ses décisions
ont une visibilité forte et une écoute certaine.
Certaines parties prenantes sont en
recherche/élaboration de réseaux : les Agents Technique qui ont
« optés26 » pour la collectivité
territoriale et qui constituaient auparavant un groupe « muet », se
positionnent sur cette nouvelle scène locale en jouant de leur double
tutelle hiérarchique et fonctionnelle.
L'action est le premier motif d'appartenance au
réseau. C'est cette capacité à se « relier »,
selon Lemoigne (1993), à se re-créer, à se projeter ainsi
qu'à apprendre des autres acteurs qui caractérisent les
partenaires de l'EPLE. Chacun est donc une organisation complexe, dans son
environnement particulier, un réseau au sein du réseau EPLE.
26 Ce corps (Techniciens Ouvriers Service) avait le choix
entre une gestion territoriale (acte II de la décentralisation) et la
continuité (gestion par l'État). Cette situation introduit une
situation duale dans l'exercice de leur quotidien : Chef d'établissement
qui assure la tutelle fonctionnelle et tutelle hiérarchique de la
collectivité territoriale. Cette dualité explicite clairement le
couple fonctionnel/hiérarchique qui détermine le positionnement
des parties prenante et leur marge d'action.
Quelle gouvernance pour l'EPLE : de l'institution à
l'organisation, vers un nouveau
modèle public ?
Cette deuxième partie nous a conduit à analyser
les acteurs de l'EPLE et leur zone d'influence. Ces modalités affinent
notre approche de la gouvernance des établissements secondaires. Son
caractère pluriel (parfois flou) est présent à en chacune
de ses composantes. La nature même des différentes parties
prenantes, et leur besoin, fait de l'EPLE le réceptacle de leurs
doléances. C'est plus une gouvernance des
réseaux27 qu'une gouvernance en réseau qui se
dessine, une gouvernance fragmentée dans ses lieux de décisions
comme dans ses modalités de communication ; une gouvernance au
caractère diffus.
Gouverner l'EPLE est-ce comprendre, gérer, piloter
le réseau EPLE? Si cette situation s'avère pertinente,
alors, la question éthique est posée : dans quel cadre cette
gouvernance prend-t-elle forme ? Quel projet éthique et quel code
déontologique pour quelle gouvernance de l'EPLE ?
27 Faisant ici écho à la
définition de la gouvernance que nous avions retenue : management du
management (Pesqueux, 2007).
Quelle gouvernance pour l'EPLE : de l'institution à
l'organisation, vers un nouveau
modèle public ?