Oscar SCHACHTER s'est posé la question suivante "y
a-t-il un droit à renverser un gouvernement
illégitime"?195 Nous posons la question inverse y a-t-il
un droit de rétablir un gouvernement légitime ? Ces deux
questions posent en fait un même problème puisque dans les deux
cas il y a un conflit entre le droit du peuple et celui de l'État.
Dans la plupart des résolutions adoptées par
l'A.G. concernant l'affaire haïtienne, l'O.N.U. rappelle que
conformément à la Charte elle "s ' attache à
encourager le respect des droits de l'Homme et des libertés
fondamentales pour tous", elle rappelle en outre les termes de l'article
21 (3) de la
194 Ibid., p. 101.
195 "Is there a right to overthrow an illegitimate
regime ?" in. Mélanges VIRALLY (M), Paris, A Pedone, 1991, pp.
423-430.
D.U.D.H. selon lesquels "la volonté du peuple est
le fondement de l'autorité des pouvoirs publics". De cette
manière, l'action de l'O.N.U. en vue de rétablir la
démocratie pourrait être fondée sur l'idée que c'est
le droit du peuple à la démocratie qui a été
protégé. Par conséquent, cette action ne porte nullement
atteinte au droit à l'autodétermination interne.
Seulement, une remarque s'impose à cet égard :
cette interprétation comporte le risque d'une dérive.
Contrairement à l'État, un peuple peut ne pas avoir la
possibilité et /ou la volonté de s'exprimer. En plus, cette
dérive peut exister d'abord, parce que les cas où le droit des
peuples au libre de choix de leur système politique a été
"confisqué" par les États ne sont pas rares. L'O.N.0
pourrait alors dénoncer ou condamner tous les gouvernements qu'elle juge
illégitimes. Ensuite, parce que le droit des peuples à
l'autodétermination a été à l'origine d'une
politique interventionniste de certains États. Ainsi, comme l'a
justement relevé Oscar SCHACHTER, l'intervention des États Unis
à Grenade en 1983, au Panama en 1989, celle de l'Union Soviétique
en Afghanistan en 1979 ainsi que celle du Vietnam au Cambodge en 1978; ont
été justifiées par une prétendue
illégitimité des gouvernements concernés196.
Enfin, parce que la pratique de l'O.N.U. en vue de protéger le droit des
peuples à l'autodétermination interne qui s'exprime par le libre
choix du système politique, économique, social et culturel, est
une pratique sélective qui dépend des rapports de forces au sein
de l'Organisation et des intérêts des grandes puissances. Nos
développements antérieurs nous ont permis de voir que l'O.N.U. a
sévèrement agit devant l'interruption du processus
démocratique en Haïti alors que dans des cas similaires elle n'a
pas jugé opportun de le faire.
Mohamed BENNOUNA a prévu une autre
éventualité en posant la question "Qu'en est-il lorsque
l'urne génère des forces dont l'ambition proclamée est de
la faire saccager définitivement ? "197. Dans ce cas,
l'O.N.U. n'a pas jugé nécessaire de protéger le droit du
peuple au libre choix de son système politique, l'interruption du
processus démocratique par l'annulation des élections en
Algérie n'a pas été appréciée, par l'O.N.U.,
comme contraire à la volonté du peuple.
196 "Is there a right to overthrow an illegitimate
regime ?" art. cit., p. 424.
197 "L'obligation juridique dans le monde de
l'après-guerre froide", art. cit., p. 45.
La pratique récente de l'O.N.U. nous permet d'affirmer
que le droit des peuples n'est évoqué qu'en cas de coup
d'État contre les gouvernements librement élus. Une conception
purement Wilsonienne du droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes.
Du reste, le droit international positif n'a pas
consacré une légitimité démocratique, il a
seulement prévu, dans la D.U.D.H., que c'est la volonté du peuple
qui fonde l'autorité des pouvoirs publics. Que ce peuple choisisse la
démocratie libérale ou tout autre modèle politique, le
droit international est indifférent. D'ailleurs, même lorsqu'un
État nie la volonté de son peuple, il y a une "obligation
pour les tiers de laisser le peuple de cet État régler lui
même les contestations qui s'élèvent en son sein, en ce
sens que la position du gouvernement établi n'est juridiquement ni
meilleure, ni plus mauvaise, vis-à-vis des tiers que celle des
insurgés"198.
C'est à notre sens la seule manière pour
éviter toute dérive d'une Organisation fondée sur le
principe de la souveraineté des États Membres. En
vérité, le droit international contemporain a toujours
considéré que la souveraineté des États
émane de la volonté des peuples. Seulement, ce n'est qu'à
la suite de l'échec des régimes communistes que l'O.N.U. commence
à s'intéresser à la volonté des peuples lorsque
cette dernière s'affirme contre l'État. En effet,
"l'idée d'une conformité des régimes politique n'a
fait son entrée dans les instances des Nations Unies qu'à la
faveur de la renonciation de l'Union Soviétique à son rôle
de superpuissance"199.
En définitive, la réponse à la question
de savoir si l'O.N.U. a un droit à rétablir la démocratie
dans des États souverains ne peut être que nuancée.
Une certaine conception du droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes peut fonder ce droit. Reste à savoir si cette
conception autorise l'O.N.U. à utiliser la contrainte contre un
État en vue de rétablir la démocratie. La pratique de
l'O.N.U. nous offre un seul cas où elle a utilisé la contrainte
pour rétablir la démocratie, à savoir le cas
haïtien.
198 CHAUMONT (Ch), Cours Général de
Droit International Public, 1970,
volume I, p. 406.
199 BENNOUNA (M), art. cit., p. 45.