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L'ONU et la démocratie

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par Salwa HAMROUNI
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis - D.E.A. de droit public et financier 1996
  

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B. La pratique de l'O.N.U.

La pratique de l'O.N.U. revendiquant la légitimité démocratique s'est surtout concrétisée vis-à-vis des coups d'État.

Avant d'analyser cette pratique, quelques précisions méritent d'être faites.

Pour les constitutionnalistes un coup d'État est "un changement de gouvernants opéré, hors des procédures constitutionnelles en vigueur par une action entreprise au sein même de l'État au niveau de ces dirigeants"155.

Ainsi, pour l'O.N.U., en mettant en cause le gouvernement constitutionnel, le gouvernement issu du coup d'État renverse un gouvernement légitime156. Tout autre est le cas de la révolution qui est "la subversion violente du gouvernement et de l'ordre juridique pour créer une nouvelle société, déjà en gestation sous l'ancien ordre politique "157. Cette subversion, étant faite par le peuple et non par l'une des autorités constituées158, peut être tenue pour légitime.

Cela étant dit, la pratique récente de l'O.N.U. à l'égard des coups d'État constitue une innovation dans le sens où l'Organisation s'est attribuée une tâche nouvelle et non prévue par la Charte.

155(155) LEROY (P), Dictionnaire constitutionnel, dir. DUHAMEL (0) et MENY (Y), Paris, P.U.F., 1992, p. 240.

156 H importe ici de définir la légitimité qui "appliquée à un gouvernement, indique que l'investiture de celui-ci est considérée comme conforme à un principe politique ou moral considéré" BASDEVANT (J), Dictionnaire de la terminologie du droit international, Paris, Sirey, 1960, p. 365.

157 Dictionnaire constitutionnel, dir. DUHAMEL (0) et MENY (Y), Paris, P.U.F., 1992, pp. 935 - 936. Cf : BURDEAU (G), Traiter de science politique, Paris, L.G.D.J, 1984, tome IV, pp. 535 - 568, cf contra KELSEN (H), théorie pure du Droit, Paris, Dalloz, 1962, p. 279.

158 voir AVRIL (P) et GICQUEL (J), Lexique, Droit constitutionnel, Paris, P.U.F., 2ème éd., 1989, p. 114.

A priori, nous pouvons dire que cette attitude condamnant les coups d'État menés contre les régimes librement élus s'explique par la volonté de l'Organisation de rétablir l'ordre constitutionnel et donc la légalité dans ces États. Seule une analyse de cette pratique nous permettra de savoir si l'O.N.U. récuse toute prise du pouvoir par la force ou seulement le renversement des régimes qu'elle juge démocratiques.

Nous proposons alors d'étudier successivement trois cas de coups d'État similaires où la réaction de l'O.N.U. a été différente : Le cas haïtien (a), le cas du Burundi (b), et le cas du Niger (c).

a. Le cas haïtien

Notre propos ici n'est pas de résumer l'action de l'O.N.U. dans cet État dans toutes ses dimensions mais plutôt de relever les aspects indiquant cette revendication de la légitimité démocratique.

Indépendante de la France depuis 1804, la République haïtienne est l'un des pays les plus pauvres de l'Amérique latine. Son histoire est marquée par des crises politiques et économiques continues. Depuis son arrivée au pouvoir en 1957, François Duvalier a institué une véritable dictature appuyée par les américains159 et poursuivie par son fils Jean Claude Duvalier. Ce dernier s'est exilé en 1986 après avoir échoué à résoudre la crise économique et politique de l'État. Depuis l'adoption de la constitution haïtienne par référendum en 1987, l'histoire politique de cet État n'est qu'une succession de coups d'État160.

Les élections haïtiennes qui se sont déroulées sous le contrôle de l'O.N.U. ont abouti à l'élection du Président Jean - Bertrand Aristide le 16 décembre 1990 avec une majorité de 67% des voix. Entré en fonction le sept février

159 Voir "Mémo" Larousse, 1990, p. 545.

160 En 1987 le Général Namphy prend le pouvoir, en 1988 Leslie Manigat est renversée quelques mois après son élection par le Général Namphy lui même reversé par le Général Prosper Avril qui quitte le pays en 1990. En cette date Mme. Ertha Pascal Trouillot a été nommée Président de la République haïtienne.

1991, le Père Aristide a été renversé par un coup d'État mené par le Général Raoul Cédras le 30 septembre 1991.

Ce même jour, et au niveau régional, le Conseil permanent de l'Organisation des États Américains a condamné ce coup d'État exigeant le respect de la constitution et du gouvernement légitime ainsi que l'intégrité physique du Président Aristide et des droits du peuple haïtien. De même, les Ministres des relations extérieures de l'O.E.A. ont adopté une résolution en date du 3 octobre 1991 condamnant le coup d'État et exigeant le rétablissement immédiat de l'autorité du Président Aristide. Par ailleurs, la résolution a recommandé l'isolement économique, financier et diplomatique des autorités de faite en Haïti.

Le 8 octobre, une résolution du même organe vient renforcer sa précédente en condamnant le remplacement illégal du Président Aristide et déclarant inacceptable tout gouvernement résultant de cette situation, la résolution a, en plus, décidé le gel des avoirs financiers de l'État haïtien et l'application d'un embargo commercial, sauf pour l'aide humanitaire. A la demande d'Aristide, cette résolution a décidé d'envoyer une mission civile chargée de rétablir et de renforcer la démocratie constitutionnelle en Haïti161.

La pratique de l'O.E.A. vis-à-vis de ce coup d'État n'est pas surprenante. En effet, pour cette Organisation, la défense des régimes démocratiques est une obligation pour les États Membres puisque la Charte de l'O.E.A. a opté pour la démocratie. Il paraît donc "normal que dans la crise haïtienne l'O.E.A. joue un rôle premier, ne serait ce que pour des considérations géographiques. Pourtant(...), cette raison n'a pas été déterminante pour l'O.E.A. qui insiste bien davantage sur la spécificité de sa Charte et des dispositions qu'elle contient en faveur du soutien aux régimes démocratiques sur lesquelles le Secrétaire Général s'appuie pour justifier le rôle moteur que l'O.E.A. doit jouer dans la gestion de cette crise "162.

La situation est différente pour l'Organisation des Nations Unis. Si nous
admettons que "le remplacement d'un gouvernement par un autre

161 Voir les Nations Unis et la situation en Haïti, documents officieux publiés par le département de l'information publique de l'Organisation des Nations Unis, mars 1985, pp. 1 -2.

162 QUOC DINH (N), op. cit., p. 542.

n'intéresse pas, en principe, les autres États" et que "toute prise de position négative serait analysée comme une ingérence dans les affaires intérieures de l'État, à tout le moins comme un geste inamical "163; à plus forte raison l'O.N.U., qui n'est que l'ensemble de ces États ne doit donc pas prendre position à l'égard des coups d'État dès lors que la nouvelle autorité exerce un pouvoir effectif et que l'État respecte ses engagements internationaux.

Tel n'a pas été le cas dans l'affaire haïtienne puisqu'immédiatement après le renversement du Président Aristide, le Secrétaire Général de l'O.N.U. ainsi que, le président du Conseil de Sécurité ont fait une déclaration exprimant leur espoir de voir le processus démocratique se poursuivre conformément à la constitution. Le 3 octobre, une déclaration du président du Conseil de Sécurité a réitéré sa condamnation du coup d'État en demandant le rétablissement du gouvernement légitime. Par ailleurs, le rétablissement de l'ordre constitutionnel en Haïti, a fait l'objet des résolutions de l'organe plénier de l'O.N.U. En effet, par la résolution 46/7 adoptée par consensus le 11 octobre 1991, l'A.G de l'O.N.0 a rappelé son soutien au peuple haïtien pour consolider ses institutions démocratiques et pour tenir des élections libres. C'est dans cette perspective que se situe l'affirmation que "Les Nations Unis sont d'autant plus fondées à se saisir de la situation que, d'une certaine manière, on peut considérer que la crédibilité de l'Organisation est en jeu et qu'elle se doit de réagir vivement en présence d'une situation qui ruine son action antérieure "164.

Dans la résolution 46/7 l'Assemblée Générale de l'O.N.U. "préoccupée par les événements graves survenus en Haïti depuis le 29 septembre 1991, qui ont causé une interruption brutale et violente du processus démocratique dans ce pays, entraînant des violations des droits de l'Homme et des pertes en vies humaines, (..) Considérant qu'il importe que la communauté internationale appuie le développement de la démocratie en Haïti, lequel passe par un renforcement des institutions du pays et par une attention prioritaire accordée aux graves problèmes sociaux et culturels auxquels il se heurte,

163 DAUDET (Y), "l'O.N.U. et l'O.E.A. en Haïti et le Droit Internationale", 1992, p. 90.

164 DAUDET (Y), "l'O.N.U. et l'O.E.A....", art.cit., p. 92.

Consciente que, conformément à la Charte des Nations Unies, l'Organisation s'attache à encourager le respect des droits de l'Homme et des libertés fondamentales pour tous et qu'aux termes de la Déclaration Universelle des droits de l'Homme "la volonté du peuple est le fondement de l'autorité des pouvoirs publics";

- 1- Condamne énergiquement tant la tentative de remplacer illégalement le président constitutionnel d'Haïti que l'emploi de la violence, la coercition militaire et la violation des droits de l'Homme dans ce pays;

- 2 - Déclare inacceptable toute entité issue de cette situation illégale et exige sur le champ le rétablissement du gouvernement légitime du Président Jean -Bertrand Aristide, ainsi qu'un retour à la pleine application de la constitution nationale et, partant, au respect intégral des droits de l'Homme en Haïti "165.

Si nous nous bornons à l'analyse de la condamnation du renversement illégale du Président constitutionnel, nous pouvons affirmer, a priori, qu'il s'agit là d'une remise en cause du droit de l'État à l'autonomie constitutionnelle et du droit du peuple à l'autodétermination, du moins par rapport aux puissances extérieures. Or, dans le cas haïtien, depuis le coup d'État; il y a eu une incompatibilité entre le droit de l'État et celui du peuple qui a déjà fait son choix politique par des élections libres.

L'O.N.U. semble dépasser cette contradiction, inhérente au droit international, en faisant prévaloir le droit du peuple. Toutefois, on se pose la question de savoir si l'O.N.U. aurait réagi de la même manière si le gouvernement renversé n'avait pas opté pour le régime démocratique.

Il est vrai que la résolution 46/7 a exigé le rétablissement de l'ordre constitutionnel et donc de la légalité constitutionnelle mais elle a surtout exigé le rétablissement d'un ordre constitutionnel basé sur les valeurs démocratiques. Ainsi, nous passons de la légalité constitutionnelle à la légitimité démocratique. La première exige le rétablissement du pouvoir choisi par le peuple, quel qu'il soit. La deuxième exige le rétablissement

165 Résolutions et décisions adoptées par l'Assemblée Générale au cours de sa quarante sixième session, volume I, 17 septembre - 20 décembre 1991, documents officiels, supplément n°49.

d'un pouvoir jugé démocratique. Pourtant, nous remarquons que dans le discours de l'O.N.U., ces deux expressions sont équivalentes.

Désormais, le rétablissement de la démocratie doit être appuyé par la communauté internationale "expression curieuse par laquelle l'Assemblée ne peut désigner l'ensemble des États puisque parmi eux se trouvent des États qui ne sont ni se réclament de la démocratie libérale. Elle désigne probablement la communauté des États démocratiques ce qui est une singulière conception de la "communauté internationale" "166.

Il est donc clair que la résolution, objet de ce commentaire, constitue une innovation dans la mesure où elle opte expressément pour la légitimité démocratique qui n'est - selon l'A.G - que la conséquence immédiate des droits civils et politiques de l'Homme

Si on se limite à cette résolution, nous pouvons confirmer que "la résolution de l'Assemblée Générale, tout en étant révélatrice d'un certain état des rapports de force à l'échelle internationale, n'est pas obligatoire en elle-même, et en l'état actuel de la pratique internationale, elle ne déclare pas non plus une coutume générale "167.

Seulement, la reprise de cette résolution par l'Assemblée Générale de l'O.N.U. à chacune de ses sessions ultérieures et la revendication constante du rétablissement de la démocratie en Haïti, nous pousse à nuancer cette affirmation d'autant plus que "La situation de la démocratie et des droits de l'Homme en Haïti" a fait l'objet de la résolution 47/20 A.G/O.N.U.(XXXXVII) du 24 novembre 1992, de la résolution 48/27 A.G/O.N.0 (XXXXVIII) du 20 décembre 1993 et de la résolution 49/27 A.G/O.N.0 (XXXXIX) du 5 décembre 1994. Cette dernière bien qu'adoptée après le rétablissement de l'ordre constitutionnel a décidé d'inscrire la question relative à la démocratie et aux droits de l'Homme en Haïti à l'ordre du jour provisoire de sa cinquantième session.

La répétition des résolutions relatives à la démocratie en Haïti va dans le sens de l'émergence d'une coutume condamnant les coups d'État menés contre les gouvernements démocratiques.

166 LAGHMANI (S), art.cit.p. 262.

167 Ibidloc cit.

Cette condamnation prouve, en outre, l'attachement de l'O.N.U. à rétablir la démocratie en Haïti. Cependant, autre a été le degré de cet attachement dans l'affaire du Burundi.

b. Le cas burundais

Plus grave que celui d'Haïti, le coup d'État survenu au Burundi le 21 octobre 1993 a renversé le Président Melchior Ndadaye entraînant ainsi sa mort et celle d'autres personnalités.

Engagé dans un processus démocratique par la constitution du 13 mars 1992, le Burundi a été présidé par un membre de l'ethnie des Hutus démocratiquement élu. Ces élections ont permis au peuple burundais de mettre fin à la domination de la minorité tutsie.

Le coup d'État a provoqué la déstabilisation du pays et des massacres ethniques. Le 29 octobre le Haut Commissariat pour les Réfugiés annonce que déjà 600 000 burundais avaient fui leur pays168.

Les réactions relatives à ce coup d'État se sont multipliées sur le plan international : les États Unis d'Amérique ont suspendu leur programme d'aide à ce pays, l'Union Européenne et l'Allemagne ont condamné cet acte, la France, quant à elle, a revendiqué le retour à la légalité169.

Au niveau régional, l'Organisation de l'Unité Africaine a décidé d'envoyer au Burundi un contingent de 200 personnes. De même, et à la demande du gouvernement burundais, l'Organisation de l'Unité Africaine a décidé le 19 novembre 1993 d'établir une Commission internationale pour enquêter sur le coup d'État170.

Pour ce qui est de l'O.N.U, immédiatement après ce coup d'État, le
Secrétaire Général de 1 'Organisation a désigné un envoyé spécial chargé
"d'une mission de bons offices pour faciliter le rétablissement

168Cf TORELLI (M) et al, chronique des faits internationaux, in. R. G.D.I.P., 1994, volume I, pp. 135-136.

169 Ibid. op. cit.

170 Ibid., p. 190.

constitutionnel au Burundi et définir les activités que l'Organisation des Nations Unis pourrait entreprendre à cet effet "171.

Le 3 novembre 1993, l'Assemblée Générale de l'Organisation des Nations Unies a adopté la résolution 48/17 concernant la situation au Burundi dans laquelle elle s'est déclarée :

"Profondément préoccupée par le coup d'État militaire survenu au Burundi le 21 octobre 1993, (..)

Très gravement inquiète des conséquences dramatiques du coup d'État qui plonge le Burundi dans les violences, entraînant ainsi des morts, des déplacements massifs des populations avec des répercutions régionales importantes". Par conséquent, l'Assemblée Générale,

" -1- condamne sans réserve le coup de force qui a causé une interruption brutale et violente du processus démocratique engagé au Burundi;

- 2- Exige que les putschistes déposent les armes et retournent dans leurs casernes;

- 3- Exige également la restauration immédiate de la démocratie et du régime constitutionnel;

- 4- Appuie les efforts déployés par le Secrétaires Général, l'Organisation de l'Unité Africaine et les pays la région pour favoriser le retour à l'ordre constitutionnel et la protection des institutions démocratiques au Burundi;

( ..) -7- Décide de rester saisie de la question jusqu'à ce que soit trouvée une solution à la crise "172.

Encore une fois, l'Assemblée Générale condamne le coup d'État qui a rompu le processus démocratique et exige par conséquent le rétablissement de l'ordre constitutionnel et le rétablissement de la démocratie.

171 BOUTROS - GHALI (B), Rapport du Secrétaire Général sur l'activité de l'organisation, "Pour la paix et le développement", 1994, p. 188.

172 Résolutions et décisions adoptées par l'Assemblée Générale au cours de sa quarante huitième session, volume I, 21 septembre - 23 décembre 1993, documents officiels, supplément n°49.

Contrairement à cette attitude ferme de l'Assemblée Générale, le Conseil de Sécurité de l'O.N.U. s'est contenté d'une Déclaration prononcée par son président en date du 25 octobre 1993 dans laquelle :

"Le Conseil de sécurité déplore vivement et réprouve le coup d'État militaire du 21 octobre 1993 contre le gouvernement démocratiquement élu au Burundi,

Le Conseil de sécurité condamne avec force les actes de violence commis par les auteurs du coup d'État et regrette profondément les pertes en vies humaines qui en ont résulté. Il exige que les intéressés s'abstiennent désormais de tout acte qui exacerberait la tension et susciterait une violence encore accrue et de nouvelles effusions de sang qui pourraient avoir des conséquences graves pour la paix et la stabilité dans la région.

Le Conseil de sécurité exige que les auteurs du coup d'État cessent tous actes de violence, fassent savoir où se trouvent les personnalités officielles et ce qu'il est advenu d'elles, libèrent tous les prisonniers, regagnent leurs casernes et mettent fin sur le champ à leur acte illégal, en vue du rétablissement immédiat de la démocratie et du régime constitutionnel au Burundi;

Le Conseil de sécurité rend hommage au président du Burundi S.E.M. Melchior Ndadaye, et aux membres de son gouvernement qui ont sacrifié leur vie à la démocratie. Les responsables de leur mort violente et autres actes de violence devraient être traduits en justice.

Le Conseil de sécurité prie le Secrétaire Général de suivre de près la situation au Burundi, en étroite association avec l'Organisation de l'Unité Africaine (O. U.A.), et de lui faire un rapport d'urgence à ce sujet. Dans ce contexte, il note avec satisfaction que le Secrétaire Général a dépêché un envoyé spécial au Burundi. Le conseil demeurera saisi de la question"173.

Malgré cette revendication du rétablissement de la démocratie par le Conseil de Sécurité, ce dernier a refusé de créer une nouvelle opération de maintien de la paix pour le Burundi. L'envoyé spécial du S. G. des Nations Unies à Bujumbura a indiqué que "le Conseil de Sécurité n'a aucune

173 Documents d'actualité internationale, 15 décembre 1993, N° 24, p. 534.

intention de créer une nouvelle opération de maintien de la paix pour le Burundi. M J. Jonah, secrétaire général adjoint a considéré que ce refus "réduit considérablement les chances de la démocratie dans ce pays". Certains commentateurs ont déclaré, à ce propos, que la délégation américaine "ne veut même plus entendre parler d'une nouvelle force "5174. Il s'est alors limité à envoyer une commission d'enquête du 7 novembre 1993.

Après l'échec du coup d'État au Burundi un nouveau Président a été élu en janvier 1994. Entre mai et avril 1994, le S. G. de l'Organisation a désigné une équipe chargée d'établir les faits au Burundi.

L'action de l'O.N.U. en vue de rétablir la démocratie au Burundi ne s'est donc pas arrêtée avec le rétablissement de l'ordre constitutionnel. Les déclarations du C. S. exigeant le rétablissement de la démocratie se sont multipliées. Ainsi, par sa déclaration du 29 juillet 1994, le président du Conseil de Sécurité a apporté son soutien au dialogue politiquel75.

Par sa déclaration du 21 octobre 1994 relative à la situation au Burundi, "Le conseil de sécurité a examiné la situation au Burundi... Il accueille avec une vive satisfaction l'élection et l'entrée en fonctions du Président, la confirmation du Premier Ministre dans ses fonctions et la constitution du nouveau gouvernement de coalition. Il y voit un important progrès vers la stabilisation de la situation au Burundi. Il demande à toute partie burundaise de concourir au rétablissement de la démocratie et de stabilité"176.

La pratique de l'O.N.U. vis-à-vis du coup d'État du Burundi prouve l'engagement de l'O.N.U. à rétablir les régimes issus d'élections libres et donc bénéficiant d'une légitimité démocratique.

Cependant, une remarque s'impose à propos de cette pratique : s'il est vrai
qu'aussi bien l'A.G. que le C. S. de l'O.N.U. ont énergiquement revendiqué

174 Cf TORELLI (M) et al., "Chronique de faits internationaux", R. G.D.LP., 1994, volume I, p. 186.

175 BOUTROS-GHALI (B), "Pour la paix et le développement", 1994, Rapport annuel sur l'activité de l'Organisation, pp. 188-192.

176 Résolutions et déclarations du Conseil de Sécurité, 1994, documents officiels.

ce retour à la légalité constitutionnelle et à ce rétablissement de la démocratie en Haïti et au Burundi, dans ce dernier cas la pratique de l'O.N.U. a été moins contraignante puisque le C. S. n'a pas jugé nécessaire d'assister le Burundi par les casques bleues et s'est contenté d'adopter des déclarations. D'ailleurs, dans une Déclaration du 9 mars 1995 et devant le climat d'insécurité régnant au Burundi, l'organe restreint de l'O.N.0 a avoué que "L'impunité était un problème fondamental au Burundi"177.

Nous le constatons donc, devant de cas pareils, l'O.N.U. a agi différemment cela "ne peut s'expliquer que par le peu d'intérêt qu'ont les membres du Conseil de Sécurité et notamment, les membres permanents à s'impliquer directement dans la situation. A la différence de Haïti, le Burundi n'est pas un pays voisin des États Unis d'Amérique"178.

c. Le cas du Niger

Au Niger, le 27 janvier 1996, un coup d'État a renversé le Président Mohamane Ousmane, premier Chef d'État démocratiquement élu en avril 1993, entraînant ainsi la dissolution du gouvernement et de l'Assemblée Nationale et la suspension des partis politiques. Ce coup d'État a donc mis "entre parenthèses trois ans de pluralisme marqué par une cohabitation plus que difficile entre le Président Ousmane et son Premier Ministre et adversaire politique, Hama Amadou"179.

En réagissant contre ce coup d'État militaire, la France a suspendu sa coopération civile et militaire avec le Niger, les États Unis d'Amérique ont suspendu leur aide à ce pays. De son côté, le Danemark a interrompu toute assistance au Niger afin de contraindre les militaires à rétablir l'ordre constitutionne1180.

Les déclarations des États condamnant le coup d'État nigérien n'ont pas
seulement émané des pays occidentaux traditionnellement attachés aux
principes démocratiques. En effet, au niveau régional, le Bénin ainsi que le

177 Voir Chronique. O.N. U., juin 1995, Volume XXXII, N° 2, p. 9.

178 LAGHMANI (S), art.cit., p. 266.

179 Voir La Presse du 29 janvier 1996, p. 1 et 6.

180 Voir La Presse du 30 janvier 1996, p. 1 et 8.

Mali ont récusé ce coup de force qui a interrompu le processus démocratique. Le Mali a condamné cet "acte illégal qui porte un sérieux coup à la marche du processus démocratique en Afrique" en invitant la communauté internationale "à prendre toutes les mesures pour le retour de l'ordre constitutionnel normal au Niger"181.

Par un communiqué de son ministère des affaires étrangères, la Tunisie a déclaré unilatéralement qu'elle "a appris avec vive préoccupation la nouvelle du coup d'État militaire intervenu au Niger. Tout en regrettant les pertes en vies humaines et les arrestations qui s'ensuivirent, la Tunisie exprime son indignation face au renversement par la force d'un régime élu. La Tunisie qui accorde une grande importance à la stabilité et à l'enracinement des valeurs démocratiques en Afrique, appelle au retour de la légalité constitutionnelle au Niger frère"182.

Malgré cette multiplication des déclarations unilatérales des États, l'Organisa des Nations Unies, qui s'est mobilisée pendant trois ans pour rétablir la démocratie en Haïti, s'est contentée d'une déclaration prononcée par son Secrétaire Général qui a "fermement condamné" le coup d'État et "espère sincèrement que le pays retrouvera bientôt une situation normale fondée sur le processus démocratique"183.

Cette réaction timide de l'O.N.U. face au coup d'État du Niger ne peut que prouver la pratique incontestablement sélective de cette Organisation en vue de rétablir la démocratie. Dans des situations identiques, le degré de l'engagement de l'O.N.U. pour rétablir la démocratie n'a pas été le même. Le Conseil de Sécurité de l'Organisation Mondiale a activement agi dans le cas d'Haïti, beaucoup moins dans celui de Burundi alors qu'au Niger il n'a pas jugé opportun de le faire. Nous ne pouvons alors que confirmer qu' "il y a dans cette politique des poids et des mesures tout le danger qui pourrait résulter d'un Conseil de sécurité qui s'érigerait comme le gardien de la démocratie dans le monde"184.

181 Voir La Presse du 30 janvier 1996, p. 1 et 8.

182 Voir La Presse du 30 janvier 1996, p. 8.

183 Ibid .loc cit

184 LAGHMANI (S), art., cit., p. 266.

Par ailleurs, il importe de signaler que suite au coup d'État survenu aux Comores le 29 septembre 1995, le Secrétaire Général de l'O.N.U. s'est limité à condamner ce coup de force en exigeant la libération du Président Comorien et des autres dirigeants détenusl85.

L'attitude générale de l'O.N.U. condamnant les coups d'États contre les régimes démocratiquement élus témoigne de l'attachement de l'Organisation des Nations Unies à rétablir la démocratie lorsque celle-ci est réduite à néant par un coup d'État.

Au niveau international et indépendamment de l'Organisation des Nations Unies, les déclarations unilatérales non seulement des pays occidentaux mais aussi celles de certains pays du sud renforcent l'idée selon laquelle nous assistons probablement à l'émergence d'une pratique constituant l'élément matériel d'une coutume internationale qui condamne tout régime issu d'un coup d'État contre un gouvernement démocratiquement élu.

Reste à savoir si cette coutume s'affirme à l'encontre des principes du droit international.

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