B. La pratique de l'O.N.U.
La pratique de l'O.N.U. revendiquant la légitimité
démocratique s'est surtout concrétisée vis-à-vis
des coups d'État.
Avant d'analyser cette pratique, quelques précisions
méritent d'être faites.
Pour les constitutionnalistes un coup d'État est
"un changement de gouvernants opéré, hors des
procédures constitutionnelles en vigueur par une action entreprise au
sein même de l'État au niveau de ces dirigeants"155.
Ainsi, pour l'O.N.U., en mettant en cause le gouvernement
constitutionnel, le gouvernement issu du coup d'État renverse un
gouvernement légitime156. Tout autre est le cas de
la révolution qui est "la subversion violente du gouvernement et de
l'ordre juridique pour créer une nouvelle société,
déjà en gestation sous l'ancien ordre politique
"157. Cette subversion, étant faite par le peuple et non
par l'une des autorités constituées158,
peut être tenue pour légitime.
Cela étant dit, la pratique récente de l'O.N.U.
à l'égard des coups d'État constitue une innovation dans
le sens où l'Organisation s'est attribuée une tâche
nouvelle et non prévue par la Charte.
155(155) LEROY (P), Dictionnaire constitutionnel,
dir. DUHAMEL (0) et MENY (Y), Paris, P.U.F., 1992, p. 240.
156 H importe ici de définir la
légitimité qui "appliquée à un gouvernement,
indique que l'investiture de celui-ci est considérée comme
conforme à un principe politique ou moral considéré"
BASDEVANT (J), Dictionnaire de la terminologie du droit international,
Paris, Sirey, 1960, p. 365.
157 Dictionnaire constitutionnel, dir.
DUHAMEL (0) et MENY (Y), Paris, P.U.F., 1992, pp. 935 - 936. Cf :
BURDEAU (G), Traiter de science politique, Paris, L.G.D.J, 1984,
tome IV, pp. 535 - 568, cf contra KELSEN (H), théorie pure
du Droit, Paris, Dalloz, 1962, p. 279.
158 voir AVRIL (P) et GICQUEL (J), Lexique, Droit
constitutionnel, Paris, P.U.F., 2ème éd., 1989, p. 114.
A priori, nous pouvons dire que cette attitude
condamnant les coups d'État menés contre les régimes
librement élus s'explique par la volonté de l'Organisation de
rétablir l'ordre constitutionnel et donc la légalité dans
ces États. Seule une analyse de cette pratique nous permettra de savoir
si l'O.N.U. récuse toute prise du pouvoir par la force ou seulement le
renversement des régimes qu'elle juge démocratiques.
Nous proposons alors d'étudier successivement trois cas
de coups d'État similaires où la réaction de l'O.N.U. a
été différente : Le cas haïtien (a), le cas
du Burundi (b), et le cas du Niger (c).
a. Le cas haïtien
Notre propos ici n'est pas de résumer l'action de
l'O.N.U. dans cet État dans toutes ses dimensions mais plutôt de
relever les aspects indiquant cette revendication de la
légitimité démocratique.
Indépendante de la France depuis 1804, la
République haïtienne est l'un des pays les plus pauvres de
l'Amérique latine. Son histoire est marquée par des crises
politiques et économiques continues. Depuis son arrivée au
pouvoir en 1957, François Duvalier a institué une
véritable dictature appuyée par les
américains159 et poursuivie par son fils Jean
Claude Duvalier. Ce dernier s'est exilé en 1986 après avoir
échoué à résoudre la crise économique et
politique de l'État. Depuis l'adoption de la constitution haïtienne
par référendum en 1987, l'histoire politique de cet État
n'est qu'une succession de coups d'État160.
Les élections haïtiennes qui se sont
déroulées sous le contrôle de l'O.N.U. ont abouti à
l'élection du Président Jean - Bertrand Aristide le 16
décembre 1990 avec une majorité de 67% des voix. Entré en
fonction le sept février
159 Voir "Mémo" Larousse, 1990, p. 545.
160 En 1987 le Général Namphy prend
le pouvoir, en 1988 Leslie Manigat est renversée quelques mois
après son élection par le Général Namphy lui
même reversé par le Général Prosper Avril qui quitte
le pays en 1990. En cette date Mme. Ertha Pascal Trouillot a été
nommée Président de la République haïtienne.
1991, le Père Aristide a été renversé
par un coup d'État mené par le Général Raoul
Cédras le 30 septembre 1991.
Ce même jour, et au niveau régional, le Conseil
permanent de l'Organisation des États Américains a
condamné ce coup d'État exigeant le respect de la constitution et
du gouvernement légitime ainsi que l'intégrité physique du
Président Aristide et des droits du peuple haïtien. De même,
les Ministres des relations extérieures de l'O.E.A. ont adopté
une résolution en date du 3 octobre 1991 condamnant le coup
d'État et exigeant le rétablissement immédiat de
l'autorité du Président Aristide. Par ailleurs, la
résolution a recommandé l'isolement économique, financier
et diplomatique des autorités de faite en Haïti.
Le 8 octobre, une résolution du même organe vient
renforcer sa précédente en condamnant le remplacement
illégal du Président Aristide et déclarant inacceptable
tout gouvernement résultant de cette situation, la résolution a,
en plus, décidé le gel des avoirs financiers de l'État
haïtien et l'application d'un embargo commercial, sauf pour l'aide
humanitaire. A la demande d'Aristide, cette résolution a
décidé d'envoyer une mission civile chargée de
rétablir et de renforcer la démocratie constitutionnelle en
Haïti161.
La pratique de l'O.E.A. vis-à-vis de ce coup
d'État n'est pas surprenante. En effet, pour cette Organisation, la
défense des régimes démocratiques est une obligation pour
les États Membres puisque la Charte de l'O.E.A. a opté pour la
démocratie. Il paraît donc "normal que dans la crise
haïtienne l'O.E.A. joue un rôle premier, ne serait ce que pour des
considérations géographiques. Pourtant(...), cette raison n'a pas
été déterminante pour l'O.E.A. qui insiste bien davantage
sur la spécificité de sa Charte et des dispositions qu'elle
contient en faveur du soutien aux régimes démocratiques sur
lesquelles le Secrétaire Général s'appuie pour justifier
le rôle moteur que l'O.E.A. doit jouer dans la gestion de cette crise
"162.
La situation est différente pour l'Organisation des
Nations Unis. Si nous admettons que "le remplacement d'un gouvernement
par un autre
161 Voir les Nations Unis et la situation en
Haïti, documents officieux publiés par le département
de l'information publique de l'Organisation des Nations Unis, mars 1985, pp. 1
-2.
162 QUOC DINH (N), op. cit., p. 542.
n'intéresse pas, en principe, les autres
États" et que "toute prise de position négative serait
analysée comme une ingérence dans les affaires intérieures
de l'État, à tout le moins comme un geste inamical
"163; à plus forte raison l'O.N.U., qui n'est que
l'ensemble de ces États ne doit donc pas prendre position à
l'égard des coups d'État dès lors que la nouvelle
autorité exerce un pouvoir effectif et que l'État respecte ses
engagements internationaux.
Tel n'a pas été le cas dans l'affaire
haïtienne puisqu'immédiatement après le renversement du
Président Aristide, le Secrétaire Général de
l'O.N.U. ainsi que, le président du Conseil de Sécurité
ont fait une déclaration exprimant leur espoir de voir le processus
démocratique se poursuivre conformément à la constitution.
Le 3 octobre, une déclaration du président du Conseil de
Sécurité a réitéré sa condamnation du coup
d'État en demandant le rétablissement du gouvernement
légitime. Par ailleurs, le rétablissement de l'ordre
constitutionnel en Haïti, a fait l'objet des résolutions de
l'organe plénier de l'O.N.U. En effet, par la résolution 46/7
adoptée par consensus le 11 octobre 1991, l'A.G de l'O.N.0 a
rappelé son soutien au peuple haïtien pour consolider ses
institutions démocratiques et pour tenir des élections libres.
C'est dans cette perspective que se situe l'affirmation que "Les Nations
Unis sont d'autant plus fondées à se saisir de la situation que,
d'une certaine manière, on peut considérer que la
crédibilité de l'Organisation est en jeu et qu'elle se doit de
réagir vivement en présence d'une situation qui ruine son action
antérieure "164.
Dans la résolution 46/7 l'Assemblée
Générale de l'O.N.U. "préoccupée par les
événements graves survenus en Haïti depuis le 29 septembre
1991, qui ont causé une interruption brutale et violente du processus
démocratique dans ce pays, entraînant des violations des droits de
l'Homme et des pertes en vies humaines, (..) Considérant qu'il importe
que la communauté internationale appuie le développement de la
démocratie en Haïti, lequel passe par un renforcement des
institutions du pays et par une attention prioritaire accordée aux
graves problèmes sociaux et culturels auxquels il se heurte,
163 DAUDET (Y), "l'O.N.U. et l'O.E.A. en Haïti et
le Droit Internationale", 1992, p. 90.
164 DAUDET (Y), "l'O.N.U. et l'O.E.A....",
art.cit., p. 92.
Consciente que, conformément à la Charte des
Nations Unies, l'Organisation s'attache à encourager le respect des
droits de l'Homme et des libertés fondamentales pour tous et qu'aux
termes de la Déclaration Universelle des droits de l'Homme "la
volonté du peuple est le fondement de l'autorité des pouvoirs
publics";
- 1- Condamne énergiquement tant la tentative de
remplacer illégalement le président constitutionnel d'Haïti
que l'emploi de la violence, la coercition militaire et la violation des droits
de l'Homme dans ce pays;
- 2 - Déclare inacceptable toute entité
issue de cette situation illégale et exige sur le champ le
rétablissement du gouvernement légitime du Président Jean
-Bertrand Aristide, ainsi qu'un retour à la pleine application de la
constitution nationale et, partant, au respect intégral des droits de
l'Homme en Haïti "165.
Si nous nous bornons à l'analyse de la condamnation du
renversement illégale du Président constitutionnel, nous pouvons
affirmer, a priori, qu'il s'agit là d'une remise en cause du
droit de l'État à l'autonomie constitutionnelle et du droit du
peuple à l'autodétermination, du moins par rapport aux puissances
extérieures. Or, dans le cas haïtien, depuis le coup d'État;
il y a eu une incompatibilité entre le droit de l'État et celui
du peuple qui a déjà fait son choix politique par des
élections libres.
L'O.N.U. semble dépasser cette contradiction,
inhérente au droit international, en faisant prévaloir le droit
du peuple. Toutefois, on se pose la question de savoir si l'O.N.U. aurait
réagi de la même manière si le gouvernement renversé
n'avait pas opté pour le régime démocratique.
Il est vrai que la résolution 46/7 a exigé le
rétablissement de l'ordre constitutionnel et donc de la
légalité constitutionnelle mais elle a surtout exigé le
rétablissement d'un ordre constitutionnel basé sur les valeurs
démocratiques. Ainsi, nous passons de la légalité
constitutionnelle à la légitimité démocratique. La
première exige le rétablissement du pouvoir choisi par le peuple,
quel qu'il soit. La deuxième exige le rétablissement
165 Résolutions et décisions
adoptées par l'Assemblée Générale au cours de sa
quarante sixième session, volume I, 17 septembre - 20 décembre
1991, documents officiels, supplément n°49.
d'un pouvoir jugé démocratique. Pourtant, nous
remarquons que dans le discours de l'O.N.U., ces deux expressions sont
équivalentes.
Désormais, le rétablissement de la
démocratie doit être appuyé par la communauté
internationale "expression curieuse par laquelle l'Assemblée ne peut
désigner l'ensemble des États puisque parmi eux se trouvent des
États qui ne sont ni se réclament de la démocratie
libérale. Elle désigne probablement la communauté des
États démocratiques ce qui est une singulière conception
de la "communauté internationale" "166.
Il est donc clair que la résolution, objet de ce
commentaire, constitue une innovation dans la mesure où elle opte
expressément pour la légitimité démocratique qui
n'est - selon l'A.G - que la conséquence immédiate des droits
civils et politiques de l'Homme
Si on se limite à cette résolution, nous
pouvons confirmer que "la résolution de l'Assemblée
Générale, tout en étant révélatrice d'un
certain état des rapports de force à l'échelle
internationale, n'est pas obligatoire en elle-même, et en l'état
actuel de la pratique internationale, elle ne déclare pas non plus une
coutume générale "167.
Seulement, la reprise de cette résolution par
l'Assemblée Générale de l'O.N.U. à chacune de ses
sessions ultérieures et la revendication constante du
rétablissement de la démocratie en Haïti, nous pousse
à nuancer cette affirmation d'autant plus que "La situation de la
démocratie et des droits de l'Homme en Haïti" a fait l'objet
de la résolution 47/20 A.G/O.N.U.(XXXXVII) du 24 novembre 1992, de la
résolution 48/27 A.G/O.N.0 (XXXXVIII) du 20 décembre 1993 et de
la résolution 49/27 A.G/O.N.0 (XXXXIX) du 5 décembre 1994. Cette
dernière bien qu'adoptée après le rétablissement de
l'ordre constitutionnel a décidé d'inscrire la question relative
à la démocratie et aux droits de l'Homme en Haïti à
l'ordre du jour provisoire de sa cinquantième session.
La répétition des résolutions relatives
à la démocratie en Haïti va dans le sens de
l'émergence d'une coutume condamnant les coups d'État
menés contre les gouvernements démocratiques.
166 LAGHMANI (S), art.cit.p. 262.
167 Ibidloc cit.
Cette condamnation prouve, en outre, l'attachement de
l'O.N.U. à rétablir la démocratie en Haïti.
Cependant, autre a été le degré de cet attachement dans
l'affaire du Burundi.
b. Le cas burundais
Plus grave que celui d'Haïti, le coup d'État
survenu au Burundi le 21 octobre 1993 a renversé le Président
Melchior Ndadaye entraînant ainsi sa mort et celle d'autres
personnalités.
Engagé dans un processus démocratique par la
constitution du 13 mars 1992, le Burundi a été
présidé par un membre de l'ethnie des Hutus
démocratiquement élu. Ces élections ont permis au peuple
burundais de mettre fin à la domination de la minorité tutsie.
Le coup d'État a provoqué la
déstabilisation du pays et des massacres ethniques. Le 29 octobre le
Haut Commissariat pour les Réfugiés annonce que
déjà 600 000 burundais avaient fui leur pays168.
Les réactions relatives à ce coup d'État
se sont multipliées sur le plan international : les États Unis
d'Amérique ont suspendu leur programme d'aide à ce pays, l'Union
Européenne et l'Allemagne ont condamné cet acte, la France, quant
à elle, a revendiqué le retour à la
légalité169.
Au niveau régional, l'Organisation de l'Unité
Africaine a décidé d'envoyer au Burundi un contingent de 200
personnes. De même, et à la demande du gouvernement burundais,
l'Organisation de l'Unité Africaine a décidé le 19
novembre 1993 d'établir une Commission internationale pour
enquêter sur le coup d'État170.
Pour ce qui est de l'O.N.U, immédiatement après
ce coup d'État, le Secrétaire Général de 1
'Organisation a désigné un envoyé spécial
chargé "d'une mission de bons offices pour faciliter le
rétablissement
168Cf TORELLI (M) et al, chronique des faits
internationaux, in. R. G.D.I.P., 1994, volume I, pp. 135-136.
169 Ibid. op. cit.
170 Ibid., p. 190.
constitutionnel au Burundi et définir les
activités que l'Organisation des Nations Unis pourrait entreprendre
à cet effet "171.
Le 3 novembre 1993, l'Assemblée Générale
de l'Organisation des Nations Unies a adopté la résolution 48/17
concernant la situation au Burundi dans laquelle elle s'est
déclarée :
"Profondément préoccupée par le coup
d'État militaire survenu au Burundi le 21 octobre 1993, (..)
Très gravement inquiète des
conséquences dramatiques du coup d'État qui plonge le Burundi
dans les violences, entraînant ainsi des morts, des déplacements
massifs des populations avec des répercutions régionales
importantes". Par conséquent, l'Assemblée
Générale,
" -1- condamne sans réserve le coup de force qui a
causé une interruption brutale et violente du processus
démocratique engagé au Burundi;
- 2- Exige que les putschistes déposent les armes et
retournent dans leurs casernes;
- 3- Exige également la restauration immédiate
de la démocratie et du régime constitutionnel;
- 4- Appuie les efforts déployés par le
Secrétaires Général, l'Organisation de l'Unité
Africaine et les pays la région pour favoriser le retour à
l'ordre constitutionnel et la protection des institutions démocratiques
au Burundi;
( ..) -7- Décide de rester saisie de la question
jusqu'à ce que soit trouvée une solution à la crise
"172.
Encore une fois, l'Assemblée Générale
condamne le coup d'État qui a rompu le processus démocratique et
exige par conséquent le rétablissement de l'ordre constitutionnel
et le rétablissement de la démocratie.
171 BOUTROS - GHALI (B), Rapport du
Secrétaire Général sur l'activité de
l'organisation, "Pour la paix et le développement", 1994, p.
188.
172 Résolutions et décisions
adoptées par l'Assemblée Générale au cours de sa
quarante huitième session, volume I, 21 septembre - 23 décembre
1993, documents officiels, supplément n°49.
Contrairement à cette attitude ferme de
l'Assemblée Générale, le Conseil de Sécurité
de l'O.N.U. s'est contenté d'une Déclaration prononcée par
son président en date du 25 octobre 1993 dans laquelle :
"Le Conseil de sécurité déplore
vivement et réprouve le coup d'État militaire du 21 octobre 1993
contre le gouvernement démocratiquement élu au Burundi,
Le Conseil de sécurité condamne avec force
les actes de violence commis par les auteurs du coup d'État et regrette
profondément les pertes en vies humaines qui en ont
résulté. Il exige que les intéressés s'abstiennent
désormais de tout acte qui exacerberait la tension et susciterait une
violence encore accrue et de nouvelles effusions de sang qui pourraient avoir
des conséquences graves pour la paix et la stabilité dans la
région.
Le Conseil de sécurité exige que les auteurs
du coup d'État cessent tous actes de violence, fassent savoir où
se trouvent les personnalités officielles et ce qu'il est advenu
d'elles, libèrent tous les prisonniers, regagnent leurs casernes et
mettent fin sur le champ à leur acte illégal, en vue du
rétablissement immédiat de la démocratie et du
régime constitutionnel au Burundi;
Le Conseil de sécurité rend hommage au
président du Burundi S.E.M. Melchior Ndadaye, et aux membres de son
gouvernement qui ont sacrifié leur vie à la démocratie.
Les responsables de leur mort violente et autres actes de violence devraient
être traduits en justice.
Le Conseil de sécurité prie le
Secrétaire Général de suivre de près la situation
au Burundi, en étroite association avec l'Organisation de l'Unité
Africaine (O. U.A.), et de lui faire un rapport d'urgence à ce sujet.
Dans ce contexte, il note avec satisfaction que le Secrétaire
Général a dépêché un envoyé
spécial au Burundi. Le conseil demeurera saisi de la
question"173.
Malgré cette revendication du rétablissement de
la démocratie par le Conseil de Sécurité, ce dernier a
refusé de créer une nouvelle opération de maintien de la
paix pour le Burundi. L'envoyé spécial du S. G. des Nations Unies
à Bujumbura a indiqué que "le Conseil de
Sécurité n'a aucune
173 Documents d'actualité internationale,
15 décembre 1993, N° 24, p. 534.
intention de créer une nouvelle opération
de maintien de la paix pour le Burundi. M J. Jonah, secrétaire
général adjoint a considéré que ce refus
"réduit considérablement les chances de la démocratie dans
ce pays". Certains commentateurs ont déclaré, à ce propos,
que la délégation américaine "ne veut même plus
entendre parler d'une nouvelle force "5174. Il s'est alors
limité à envoyer une commission d'enquête du 7 novembre
1993.
Après l'échec du coup d'État au Burundi
un nouveau Président a été élu en janvier 1994.
Entre mai et avril 1994, le S. G. de l'Organisation a désigné une
équipe chargée d'établir les faits au Burundi.
L'action de l'O.N.U. en vue de rétablir la
démocratie au Burundi ne s'est donc pas arrêtée avec le
rétablissement de l'ordre constitutionnel. Les déclarations du C.
S. exigeant le rétablissement de la démocratie se sont
multipliées. Ainsi, par sa déclaration du 29 juillet 1994, le
président du Conseil de Sécurité a apporté son
soutien au dialogue politiquel75.
Par sa déclaration du 21 octobre 1994 relative
à la situation au Burundi, "Le conseil de sécurité a
examiné la situation au Burundi... Il accueille avec une vive
satisfaction l'élection et l'entrée en fonctions du
Président, la confirmation du Premier Ministre dans ses fonctions et la
constitution du nouveau gouvernement de coalition. Il y voit un important
progrès vers la stabilisation de la situation au Burundi. Il demande
à toute partie burundaise de concourir au rétablissement de la
démocratie et de stabilité"176.
La pratique de l'O.N.U. vis-à-vis du coup
d'État du Burundi prouve l'engagement de l'O.N.U. à
rétablir les régimes issus d'élections libres et donc
bénéficiant d'une légitimité
démocratique.
Cependant, une remarque s'impose à propos de cette
pratique : s'il est vrai qu'aussi bien l'A.G. que le C. S. de l'O.N.U. ont
énergiquement revendiqué
174 Cf TORELLI (M) et al.,
"Chronique de faits internationaux", R. G.D.LP., 1994, volume I,
p. 186.
175 BOUTROS-GHALI (B), "Pour la paix et le
développement", 1994, Rapport annuel sur l'activité de
l'Organisation, pp. 188-192.
176 Résolutions et déclarations du
Conseil de Sécurité, 1994, documents officiels.
ce retour à la légalité
constitutionnelle et à ce rétablissement de la démocratie
en Haïti et au Burundi, dans ce dernier cas la pratique de l'O.N.U. a
été moins contraignante puisque le C. S. n'a pas jugé
nécessaire d'assister le Burundi par les casques bleues et s'est
contenté d'adopter des déclarations. D'ailleurs, dans une
Déclaration du 9 mars 1995 et devant le climat
d'insécurité régnant au Burundi, l'organe restreint de
l'O.N.0 a avoué que "L'impunité était un
problème fondamental au Burundi"177.
Nous le constatons donc, devant de cas pareils, l'O.N.U. a
agi différemment cela "ne peut s'expliquer que par le peu
d'intérêt qu'ont les membres du Conseil de Sécurité
et notamment, les membres permanents à s'impliquer directement dans la
situation. A la différence de Haïti, le Burundi n'est pas un pays
voisin des États Unis
d'Amérique"178.
c. Le cas du Niger
Au Niger, le 27 janvier 1996, un coup d'État a
renversé le Président Mohamane Ousmane, premier Chef
d'État démocratiquement élu en avril 1993,
entraînant ainsi la dissolution du gouvernement et de l'Assemblée
Nationale et la suspension des partis politiques. Ce coup d'État a donc
mis "entre parenthèses trois ans de pluralisme marqué par une
cohabitation plus que difficile entre le Président Ousmane et son
Premier Ministre et adversaire politique, Hama
Amadou"179.
En réagissant contre ce coup d'État militaire,
la France a suspendu sa coopération civile et militaire avec le Niger,
les États Unis d'Amérique ont suspendu leur aide à ce
pays. De son côté, le Danemark a interrompu toute assistance au
Niger afin de contraindre les militaires à rétablir l'ordre
constitutionne1180.
Les déclarations des États condamnant le coup
d'État nigérien n'ont pas seulement émané des
pays occidentaux traditionnellement attachés aux principes
démocratiques. En effet, au niveau régional, le Bénin
ainsi que le
177 Voir Chronique. O.N. U., juin 1995,
Volume XXXII, N° 2, p. 9.
178 LAGHMANI (S), art.cit., p. 266.
179 Voir La Presse du 29 janvier 1996, p. 1
et 6.
180 Voir La Presse du 30 janvier 1996, p. 1
et 8.
Mali ont récusé ce coup de force qui a
interrompu le processus démocratique. Le Mali a condamné cet
"acte illégal qui porte un sérieux coup à la marche du
processus démocratique en Afrique" en invitant la communauté
internationale "à prendre toutes les mesures pour le retour de
l'ordre constitutionnel normal au Niger"181.
Par un communiqué de son ministère des affaires
étrangères, la Tunisie a déclaré
unilatéralement qu'elle "a appris avec vive préoccupation la
nouvelle du coup d'État militaire intervenu au Niger. Tout en regrettant
les pertes en vies humaines et les arrestations qui s'ensuivirent, la Tunisie
exprime son indignation face au renversement par la force d'un régime
élu. La Tunisie qui accorde une grande importance à la
stabilité et à l'enracinement des valeurs démocratiques en
Afrique, appelle au retour de la légalité constitutionnelle au
Niger frère"182.
Malgré cette multiplication des déclarations
unilatérales des États, l'Organisa des Nations Unies, qui s'est
mobilisée pendant trois ans pour rétablir la démocratie en
Haïti, s'est contentée d'une déclaration prononcée
par son Secrétaire Général qui a "fermement
condamné" le coup d'État et "espère
sincèrement que le pays retrouvera bientôt une situation normale
fondée sur le processus démocratique"183.
Cette réaction timide de l'O.N.U. face au coup
d'État du Niger ne peut que prouver la pratique incontestablement
sélective de cette Organisation en vue de rétablir la
démocratie. Dans des situations identiques, le degré de
l'engagement de l'O.N.U. pour rétablir la démocratie n'a pas
été le même. Le Conseil de Sécurité de
l'Organisation Mondiale a activement agi dans le cas d'Haïti, beaucoup
moins dans celui de Burundi alors qu'au Niger il n'a pas jugé opportun
de le faire. Nous ne pouvons alors que confirmer qu' "il y a dans cette
politique des poids et des mesures tout le danger qui pourrait résulter
d'un Conseil de sécurité qui s'érigerait comme le gardien
de la démocratie dans le monde"184.
181 Voir La Presse du 30 janvier 1996, p. 1
et 8.
182 Voir La Presse du 30 janvier 1996, p.
8.
183 Ibid .loc cit
184 LAGHMANI (S), art., cit., p. 266.
Par ailleurs, il importe de signaler que suite au coup
d'État survenu aux Comores le 29 septembre 1995, le Secrétaire
Général de l'O.N.U. s'est limité à condamner ce
coup de force en exigeant la libération du Président Comorien et
des autres dirigeants détenusl85.
L'attitude générale de l'O.N.U. condamnant les
coups d'États contre les régimes démocratiquement
élus témoigne de l'attachement de l'Organisation des Nations
Unies à rétablir la démocratie lorsque celle-ci est
réduite à néant par un coup d'État.
Au niveau international et indépendamment de
l'Organisation des Nations Unies, les déclarations unilatérales
non seulement des pays occidentaux mais aussi celles de certains pays du sud
renforcent l'idée selon laquelle nous assistons probablement à
l'émergence d'une pratique constituant l'élément
matériel d'une coutume internationale qui condamne tout régime
issu d'un coup d'État contre un gouvernement démocratiquement
élu.
Reste à savoir si cette coutume s'affirme à
l'encontre des principes du droit international.
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