PARAGRAPHE DEUXIÈME
LA LÉGITIMITÉ DÉMOCRATIQUE : UNE
NOUVELLE REVENDICATION DE L'O.N.U.
L'idée d'une légitimité
démocratique n'est pas tout à fait étrangère
à la pratique internationale des États. En effet, le principe de
l'autonomie constitutionnelle et donc la liberté du choix du
système politique, économique, social et culturel a subi quelques
atteintes doctrinales depuis le début de ce siècle. Ainsi, en
1907, le Docteur Tobar a élaboré une doctrine qui exige la non
reconnaissance d'un gouvernement issu d'un coup de force et dont la
légitimité n'a pas été établie par les
élections. De même, la doctrine de la souveraineté
limitée de Brejnev prévoit la primauté de
l'internationalisme prolétarien sur la souveraineté des
États.
Malgré ces atteintes, l'O.N.U. n'a jamais
expressément manifesté une préférence pour un
régime politique quelconque143. Cette attitude s'explique par
l'idée que "Le droit de la coexistence pacifique a même fait
de l'absence d'un modèle politique universel une condition sine-qua-non
de l'établissement de la paix de la sécurité
internationales"144.
143 Nous utilisons le mot expressément parce
que l'attitude de l'O.N.U. vis-à-vis de la question espagnole prouve que
l'article 4 de la Charte a été utilisé pour refuser la
candidature de l'Espagne à devenir Membre de l'O.N.U. en 1946 alors
qu'en 1955 cet État a été admis non pas parce qu'il
devient pacifique mais parce qu'il est avant tout doté d'un
régime anticommuniste.
144 BEN ACHOUR (R), "Égalité
souveraine des États, Droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes et liberté de choix du système politique,
économique, culturel et social", in. Solidarité,
Égalité, Liberté, (Le livre d'hommage offert à
Federico MAYOR), Bruxelles, Bruylant, 1995, p. 786.
Cet état des choses a manifestement changé
lorsque l'O.N.U. a adopté un discours politique faisant du respect de la
légalité constitutionnelle et de la démocratie un
impératif dans les relations internationales (A). Ce discours s'est
traduit en action du moment que l'O.N.U. mène une pratique revendiquant
le respect de la légalité constitutionnelle et de la
légitimité démocratique (B).
A. Le discours politique de l'O.N.U.
Nonobstant l'affirmation continue des organes de l'O.N.U. du
principe de l'égalité souveraine et de celui de l'autonomie
constitutionnelle des États, le discours politique de l'Organisation
mondiale n'est plus indifférent aux systèmes politiques des
États. La préférence qu'a l'O.N.U. pour la
démocratie libérale a coïncidé avec le changement de
l'ordre politique international en faveur de ce modèle.
Le Secrétaire Général de l'O.N.U.,
principal auteur de ce discours, semble mettre entre parenthèse le
principe de l'autonomie constitutionnelle des États en affirmant que
"l'impératif de démocratisation est l'enjeu fondamental de
cette fin de siècle. Seule la démocratie, à
l'intérieur des États et à l'intérieur de la
communauté des États, est le véritable garant des droits
de l'Homme. C'est par la démocratie que se réconcilient les
droits individuels et les droits collectifs, les droits des peuples et les
droits des personnes. C'est par la démocratie que se réconcilient
les droits des États et les droits de la communauté des
États "145. La démocratie apparaît alors
comme la seule valeur politique capable de résoudre les contradictions
du droit international. Ce discours a fait écho dans les écrits
de certains auteurs qui vont jusqu'à parler d'une "conversion
à la démocratie"146. "L'impératif
démocratique" a toujours été présenté
comme un moyen réalisant les buts des Nations Unies. Ainsi, "les
droits de l'Homme sont intimement liés à la manière dont
ils gouvernent leurs
145 BOUTROS-GHALI (B), "Déclaration liminaire",
in. Conférence Mondiale sur les droits de l'Homme, Nations
Unies, 1993, pp. 10-11.
146 Cf BEIGBEDER (Y), "Le contrôle
international des élections" op. cit.
peuples, c'est-à-dire encore, au caractère
plus ou moins démocratique de leur régime
politique"147.
Le Secrétaire Général de l'O.N.U. a, en
outre, fait de la démocratie le corollaire du développement. En
effet, "La démocratie et le développement sont liés
pour diverses raisons fondamentales. Tout d'abord, la démocratie offre
la seule solution permettant de concilier, à long terme des
intérêts ethniques, religieux et culturels antagonistes tout en
minimisant le risque de conflits internes violents. De plus, la
démocratie est par définition, un mode de fonctionnement de
l'État, qui lui même influe sur tous les aspects des efforts de
développement"148.
Devant cette association démocratie - droit de l'Homme
et développement, nous ne pouvons que confirmer l'idée que
"pour ce qui est de leur mise en oeuvre tout au moins, cet ensemble de
valeurs se trouve en situation de contrariété avec les principes
les plus avérés de l'ordre politique et de l'ordre juridique
internationaux actuels (..) Le trait fondamental et contradictoire à la
fois, de l'idéologie "droits de l'Homme - démocratie -
développement" est d'un côté, leur vocation à
l'universalité, sans laquelle ils perdraient une grande partie de leurs
valeurs et de leur signification mais d'un autre côté, le fait que
ces valeurs ne peuvent se réaliser qu'à l'échelle de
l'État, dans le cadre de l'État et avec la bonne volonté
de 1 'État"149.
Le Secrétaire Général de l'O.N.U. n'a pas
seulement associé démocratie, droits de l'Homme et
développement "Désormais l'exigence démocratique
investit le domaine du maintien de la paix en assignant aux opérations
des Nations Unies une double mission : La réconciliation nationale et la
consolidation démocratique"150. Dans le même sens,
Monsieur BoutrosGhali a estimé que "seule la démocratie
permet tout à la fois d'arbitrer et de régler, de façon
durable, les nombreuses tensions politiques, sociales,
147 BOUTROS-GHALI (B), "Déclaration liminaire",
op. cit., p. 9.
148 BOUTROS-GHALI (B), "Agenda pour le
développement" mai 1994, p. 24.
149 BELAID (S), "Rapport de synthèse" in.
Les nouveaux aspects du Droit International, op. cit., pp. 301-302.
150 (B), "L'O.N.U. et les opérations de maintien de la
paix à la
croisée des chemins", in. Relations Internationales et
Stratégiques, 1993, N° 11, p. 11.
économiques et ethniques qui menacent sans cesse de
déchirer les sociétés et de détruire les
États"151.
En conclusion, nous pouvons affirmer que la démocratie
constitue aujourd'hui une nouvelle idéologie de l'Organisation mondiale.
Une idéologie qui se veut universelle, certes, mais aussi et ce qui est
à notre sens frappant, une idéologie qui tend à être
ce que le S. G. de l'O.N.U. voudrait appeler "Un droit international de la
démocratie"152. Cette dernière idée
suscite deux remarques : primo, au plan strictement juridique,
l'intégration de la démocratie comme une norme en droit
international ne peut se réaliser sans heurter certains principes
fortement ancrés en droit tel que le principe de l'autonomie
constitutionnelle. Par conséquent, cette intégration
"supposerait qu'au préalable, un réajustement profond ait
été effectué au niveau des principes de droit
international les plus solidement ancrés dans la société
internationale"153. Secundo, ce discours comprend la
possibilité d'une dérive : la démocratie, comme toute
idéologie, risque en effet de se transformer en un nouveau dogme Du
reste, "si on ne peut que se féliciter des progrès de
l'idée de démocratie dans le monde, dans le sens d'une
participation des peuples à la gestion de leurs affaires, (..), on ne
doit pas perdre de vue que chaque société élabore son
expérience historique à son rythme avec ses erreurs, des
hésitations et des adaptations progressives. Il n'existe pas en la
matière de normes ou de critères universels, et encore moins un
droit des puissances extérieures ou d'un pouvoir
hégémonique de les apprécier et d'imposer leur
respect"154.
Seulement, il est clair que le discours politique de l'O.N.U.
témoigne d'un recul du principe du libre choix du système
politique, économique, social et culturel. Ce discours qui a voulu
s'adapter à "l'accélération de l'histoire" et aux
profondes mutations qu'a connu l'ordre politique international n'est
151 BOUTROS-GHALI (B), "Agenda pour le
développement", mai 1994, p. 24.
152 Voir le message adressé par le
Secrétaire Général de l'O.N.U. à l'occasion du
colloque international organisé par la Faculté des Sciences
Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis du 11 au 13 avril 1996, ayant pour
thème "Harmonie et contradictions en droit international".
153 BELAID (S), "Rapport de synthèse", in.
Les nouveaux aspects..., op. cit., p. 303.
154 BENNOUNA (M), "L'obligation juridique dans le
monde de l'après-guerre froide", A.F.D.I., 1993, pp. 44-45.
pas resté sans influence sur la nouvelle pratique de
l'organisation des Nations Unies.
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