Théorie de la Reconstruction Rationnelle. Programmes de Recherche et Continuité en sciences( Télécharger le fichier original )par Julien NTENDO BIASALAMBELE SJ Faculté de Philosophie St Pierre Canisius, KInshasa - Licence en philosophie 2007 |
III.2.4. Le programme de la méthodologie de programme de recherchesLa méthodologie lakatosienne évalue le progrès scientifique en termes de changements de problèmes progressifs ou dégénératifs et reconnaît la révolution scientifique lorsqu'un programme supplante un autre. Elle propose une nouvelle reconstruction rationnelle de la science, héritière du conventionnalisme et du falsificationnisme. Au conventionnalisme, elle emprunte la possibilité d'accepter rationnellement, par convention, aussi bien des énoncés spatio-temporellement singuliers, que des théories universelles. C'est, poursuit Lakatos, ce facteur qui devient l'indice le plus important du progrès scientifique237(*). En ce sens, la méthodologie lakatosienne prend comme unité de base de la reconstruction, non pas une théorie isolée, mais une série de théories ou un programme de recherche. Ce dernier contient un noyau dur conventionnel et provisoirement irréfutable et une heuristique qui définit le choix rationnel de problèmes ; il esquisse la construction des hypothèses servant de glacis protecteur et prévoit les anomalies, tout en les transformant en exemples de corroboration. Par conséquent, la méthodologie des programmes de recherche scientifiques présente l'avantage de transformer en aspects internes plusieurs facteurs que Popper considère comme externes. Ces facteurs constituent le noyau dur. Cette méthodologie offre par ailleurs un tableau très différent du jeu scientifique : son point de départ est un programme de recherche, et non pas une hypothèse singulière falsifiable ; et la falsification n'implique pas le rejet des théories. En plus, cette méthodologie fait disparaître les "expérience cruciales" : ce concept devient un titre d'honneur conféré à certaines anomalies plusieurs années après, lorsqu'un programme a supplanté un autre. La méthodologie de Programmes de recherche diffère pourtant du conventionnalisme dans sa version simpliste, par le fait qu'elle est plus complexe et plus inclusive. La preuve en est qu'elle intègre certains éléments pertinents du falsificationnisme. Il convient alors de s'interroger sur les que éléments Lakatos emprunte de Karl Popper. Lakatos affirme emprunter à Popper les critères de progression et de stagnation des théories à l'intérieur d'un programme de recherche, et des critères d'élimination des programmes tout entier. Ainsi il écrit : « Un programme de recherche est en progression tant que sa croissance théorique anticipe sa croissance empirique, c'est-à-dire tant qu'il continue à prédire des faits avec succès (...) ; il stagne si sa croissance théorique est à la remorque de sa croissance empirique, c'est-à-dire lorsqu'il se contente de donner une explication post hoc, soit pour des découvertes faites par hasard, soit pour des faits découverts dans le cadre d'un programme rival et anticipés par celui-ci »238(*). Ainsi, un programme peut être dégénératif même s'il anticipe des faits inédits, c'est-à-dire si, au lieu de le faire à l'aide d'une heuristique positive cohérente et planifiée d'avance, il découvre les faits simplement à partir des hypothèses ad hoc. Quant aux critères d'élimination, notre auteur reconnaît qu'à l'intérieur d'un même programme, une théorie peut être remplacée par une meilleure (celle qui a un contenu empirique excédentaire) sans que la théorie faible ne soit falsifiée ou réfutée, au sens poppérien. En effet, « Le progrès se marque par des exemples qui vérifient le contenu excédentaire, plutôt que par des exemples qui réfutent; "falsification" empirique et rejet effectif deviennent indépendant »239(*). Avant la modification d'une théorie, on ne peut pas savoir comment elle a été réfutée. Les modifications les plus importantes sont déterminées par l'heuristique positive et non pas par les anomalies. Cette différence, précise Lakatos, a des conséquences graves et importantes pour la reconstruction rationnelle : car il s'agit d'intégrer, comme internes, certains facteurs que Popper considère comme des catalyseurs externes. Une théorie catalyseur externe ne peut être rejetée, elle demeure à l'intérieur de l'histoire interne. De même qu'on ne peut exiger un progrès imminent à chaque étape d'un programme de recherche, de même on ne peut décider du moment de dégénérescence, ou de la victoire décisive d'un programme sur un rival pour la simple raison que : « il ne saurait y avoir de rationalité dans l'instant et moins encore de rationalité mécanique. Ni la preuve d'incompatibilité due au logicien, ni le verdict d'anomalie établi par l'expérimentateur scientifique ne peuvent assurer la défaite d'un programme d'un seul coup. Il n'est possible d'être avisé qu'après l'événement. (...) Le triomphe d'un programme de recherche n'a rien d'inévitable. De même sa défaite n'a jamais rien d'inévitable non plus »240(*). En face d'une telle situation, le code d'honneur est non simplement la tolérance méthodologique, mais la modestie et l'obstination devant la défaite et la victoire d'un programme de recherche. Après une reconstruction de l'histoire interne ou noyaux durs de quatre grandes théories de la rationalité, Lakatos souligne l'urgence, pour une reconstruction rationnelle, d'adjoindre une histoire externe à l'histoire interne à cause de la relation dialectique existant entre l'internalisme et l'externalisme. * 237 Cfr. Idem, p. 198 Lakatos précise que Karl Popper ne serait pas de cet avis, car pour ce dernier, les conventions déterminent l'acceptation des énoncés singuliers et non pas des énoncés universels. Cfr. P. 198, note n° 2. * 238 Idem, p. 200. * 239 Idem, p. 201. La rivalité entre deux programmes de recherches est un processus de très longue haleine, et pour Imre Lakatos, il est rationnel de travailler sur les deux programmes rivaux. * 240 Idem, p. 202. |
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