Théorie de la Reconstruction Rationnelle. Programmes de Recherche et Continuité en sciences( Télécharger le fichier original )par Julien NTENDO BIASALAMBELE SJ Faculté de Philosophie St Pierre Canisius, KInshasa - Licence en philosophie 2007 |
III.2.2. Le programme conventionnalisteLe conventionnalisme229(*) permet à tout système de classement d'organiser les faits en une totalité cohérente et décide de garder intact le centre de cette totalité aussi longtemps que cela est possible, pour ne modifier, en cas d'anomalies, que les périphéries. Dès lors, « Le conventionnalisme ne considère aucun système de classement comme vrai d'une vérité prouvée, mais seulement comme "vrai par convention" (ou même comme ni vrai ni faux »230(*). Il ne professe pas l'adhésion définitive à un système de classement. Tout système de classement peut être abandonné et remplacé par un autre, s'il devient malcommode ou si un autre plus simple se présente231(*). Le conventionnalisme promeut alors la liberté de la volonté et la créativité. Son code d'honneur, moins rigoureux que celui de l'inductivisme, autorise la construction d'un système de classement autour de n'importe quoi, mais ne proclame pas non-scientifiques les systèmes écartés. De même, il tient pour rationnelle (interne) une part beaucoup plus large des théories scientifiques. Par conséquent, les découvertes majeures qui comptent pour le conventionnaliste sont essentiellement des inventions de systèmes de classement plus simples. Le conventionnaliste compare ces systèmes d'après leur degré de simplicité. Car, La complication des systèmes de classement et leur remplacement révolutionnaire par des plus simples constitue l'épine dorsale de son histoire interne232(*). Le conventionnalisme reste cependant incapable d'offrir une explication rationnelle des motifs ayant conduit à la sélection initiale de certains faits et pas d'autres, et au choix de tel ou tel autre système de classement. A l'instar de l'inductivisme, le conventionnalisme reste compatible avec des programmes complémentaires externalistes. Il se heurte à ce que Lakatos appelle le problème de la fausse conscience, mais le conventionnaliste renvoie ce problème à l'externaliste. D'après Lakatos, le type de reconstruction rationnelle du conventionnalisme est aux antipodes de celle proposée par les hommes de science eux-mêmes233(*). III.2.3. Le programme falsificationniste méthodologiqueD'après Imre Lakatos, le falsisficationnisme méthodologique est une variante du conventionnalisme révolutionnaire, à la seule différence qu'il accepte, par convention, des énoncés de base factuels, spatio-temporellement singuliers, plutôt que des théories universelles. Son code d'honneur veut d'abord qu'une théorie scientifique offre la possibilité de sa mise en conflit avec un énoncé de base (empirique), c'est-à-dire l'élimination de la théorie en cas de conflit avec un énoncé de base accepté par l'élite scientifique. Ensuite, ladite théorie doit prédire des faits inédits, inattendus à la lumière des connaissances antérieures. Le modus tollens reste son arme de la critique. L'histoire interne du falsificationnisme234(*) est faite en premier lieu de grandes théories audacieuses et, ensuite, des grandes expériences cruciales négatives. Mais notre auteur affirme que l'histoire interne de Popper peut être reconstruite et complétée par l'histoire externe. Popper lui-même propose deux thèses qui sont le fondement de la psychologie de la découverte. Premièrement, les principaux stimulants des théories scientifiques sont issus de la métaphysique non-scientifique, et même des mythes. Deuxièmement, les faits ne sont pas de stimulants externes, mais les faits entendus comme découvertes factuelles relèvent de l'histoire interne, en ce sens qu'elles émergent à titre de réfutations d'une théorie scientifique, en sorte que les faits ne sont remarqués que s'ils entrent en conflit avec une certitude antérieure235(*). Lakatos conclut qu'à l'inductivisme, le falsificationnisme est compatible avec une conception marxiste vulgaire du progrès scientifique, à la seule différence que l'inductivisme fait appel au marxisme pour expliquer la découverte des faits, alors le falsificationnisme recourt au marxisme pour expliquer l'invention des théories scientifiques, tandis que le choix des faits (ou choix d'indicateurs potentiels de fausseté) est essentiellement déterminé de manière interne par les théories236(*). Le falsificationnisme ouvre donc la voie à la distinction lakatosienne entre histoire interne et histoire externe. * 229 Le lecteur fera ici référence au débat amorcé dans notre premier chapitre autour du conventionnalisme et de ses deux orientations : le conventionnalisme conservateur avec Henri Poincaré et le conventionnalisme révolutionnaire incarné par Popper et Duhem. Cette séquence ne concerne que la branche révolutionnaire du conventionnalisme, plus précisément, le simplisme de Pierre Duhem. * 230 Idem, p. 190. * 231 Du point de vue logique et épistémologique, affirme Lakatos, la variante révolutionnaire du conventionnalisme est plus simple que l'inductivisme. En effet, elle n'exige pas d'inférences inductives valides et fait de la commodité ou de la simplicité et non pas de la vérité, un critère de démarcation. Elle conçoit le progrès comme un progrès cumulatif des énoncés de base attestant les faits. Les énoncés ne changent pas, seuls changent les instruments d'observation de ces faits. Il y a donc une possibilité d'appliquer le conventionnalisme révolutionnaire aux propositions factuelles, c'est-à-dire à accepter ces propositions par décision plutôt que sur base des preuves expérimentales. Mais dans ce cas, pour conserver l'idée que la croissance de la science factuelle est en rapport avec la vérité objective, il faut l'intervention d'un principe métaphysique qui se superpose aux règles gouvernant la science. Au cas échant, dit Lakatos, le conventionnalisme révolutionnaire risque de verser dans le scepticisme (Cfr. Idem, p. 191). * 232 Idem, pp. 192-193 * 233 Idem, p. 193. * 234 Pour Lakatos, le falsificationnisme est sans faille du point de vue logique. Il séduit par sa clarté et par sa forme. En effet, dans sa version méthodologique, Popper se sert des propositions universelles quant à l'espace et au temps, et à la fois empiriquement falsifiables ainsi que leurs conditions initiales. Ces théories sont le centre du modèle déductif de la critique des théories que Popper propose. C'est dans son aspect épistémologique que le falsificationnisme de Popper présente quelques difficultés. D'abord, la version dogmatique repose sur un faux présupposé, selon lequel on peut prouver des propositions à partir des faits, et par conséquent prouver la fausseté de certaines théories. Le lecteur trouvera une explication plus ample dans le premier chapitre de ce travail. Ensuite, la version méthodologique naïve (ou conventionnaliste) a besoin d'un principe inductif extra-méthodologique pour donner du poids épistémologique à sa décision d'accepter les énoncés de base, et de relier à la vérisimilitude les règles que Popper assigne au jeu scientifique (Idem, p. 195) * 235 Cfr. Idem, p. 197. Feyerabend conçoit la psychologie de la découverte en ce sens que la prolifération des théories rivales peut accélérer, d'un point de vue externe, la falsification poppérienne interne. Mais Lakatos pense que Popper et Feyerabend sont d'avis que les théories rivales jouent le rôle de catalyseur dans l'élaboration des expériences cruciales. Ils sont donc des éléments nécessaires à la falsification (Idem, p. 197, note n°1). * 236 Ibidem. |
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