I.4. Conclusion partielle
La défense de la rationalité scientifique a
conduit Lakatos à falsifier le falsificationnisme afin de n'en retenir
que les éléments pertinents. La critique lakatosienne
débouche sur le rejet du justificationnisme en tant que théorie
de la rationalité. Nous savons dès lors que la connaissance
scientifique n'est ni prouvée ni probable. Elle est simplement
conjecturale. Ainsi, pris au sérieux, le critère
justificationniste fait s'écrouler, dans un irrationalisme creux toute
l'activité en même temps qu'il laisse droit de cité au
scepticisme.
Dans sa critique de Popper, Lakatos passe d'une version
dogmatique qui s'apparente au justificationnisme à une version
méthodologique du falsificationnisme. Ces deux volets du
falsificationnisme discutent à fond diverses questions liées
à l'activité scientifique, notamment le problème du
critère de démarcation, le statut des théories
scientifiques, le problème du progrès et la définition du
savoir scientifique lui-même.
Il appert clairement que c'est en dégageant une
version méthodologique sophistiquée au coeur du
falsificationnisme de Popper que Lakatos le sauve de l'irrationalisme et des
critiques de Kuhn. La version sophistiquée est une lecture plus subtile
que notre auteur fait de Popper qui, lui-même, n'en prend guerre
conscience. Elle se distingue des deux autres par des normes plus rigoureuses
d'acceptation et plus libérales de rejet des théories.
A vrai dire, le passage de la version naïve à la
version sophistiquée a apporté deux avancées
significatives. Il offre d'abord une conception dynamique du
développement de la science. Celle-ci n'évalue plus une
théorie isolée face à un fait, mais plutôt des
séries de théories fortement liées, voire incompatibles,
en termes de prédiction de faits inédits et de déplacement
théorique. Elle évalue ensuite le juste rôle de
l'expérimentation : la falsification n'entraîne pas
automatiquement le rejet des théories, à moins qu'une
prétendue expérience cruciale apparaisse comme un exemple de
confirmation d'une théorie nouvelle et meilleure.
Cette version sophistiquée détermine le vrai
problème que devrait affronter la science, celui de l'évaluation
objective des théories incompatibles. Ainsi se dégage l'exigence
de continuité des théories dans leurs liens intimes. Cette
exigence permet de reconstruire l'histoire. C'est cela que Lakatos aborde dans
la méthodologie des programmes de recherches scientifiques.
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