Evaluation de l'impact psychologique de la mise en place d'un système d'assurance qualité (ISO9001) sur les travailleurs d'une PME( Télécharger le fichier original )par Eric Trillet Universtié Catholique de Louvain (UCL) - Licence en sciences du travail 2007 |
3.4.4 L'ambiguïté de la norme ISO 9001Comme nous avons déjà pu le constater dans les chapitres précédents, l'application de la norme ISO 9001 dans l'entreprise présente un certain nombre d'ambiguïtés. Ce sont ces ambiguïtés qui nous semblent centrales dans le sentiment provoqué chez les opérateurs. Nous proposons dans un premier temps de dresser une liste des ambiguïtés constatées dans les entreprises certifiées avant de discuter de l'ambivalence de la procéduralisation. Les ambiguïtés résultant de l'application de la norme ISO 9001 et les sources de craintes des travailleurs : o Tout d'abord, le but même de cette recherche de certification n'est pas unanime. Malgré les discours du management, si le sens de cette norme est une maîtrise de la qualité, elle s'avère également une nécessité pour rester sur le marché. o La similitude apparente avec le taylorisme laissant craindre un contrôle poussé à l'extrême et un appauvrissement des tâches (division du travail) ne semble qu'un cas extrême. Si le taylorisme apparaît comme une application extrême de la norme ISO, rien dans la norme ISO n'oblige à aller aussi loin. o D'une manière générale l'ISO impose une forme à la procéduralisation mais ne se prononce jamais sur le fond. La norme nécessite donc une interprétation qui s'effectuera différemment d'une entreprise à l'autre. Nous sommes loin d'une homogénéisation des organisations. Nous pouvons même évoquer un renforcement de l'identité locale et une utilisation opportuniste de la part des chefs d'entreprises.80(*) o L'opérateur gagne en autonomie par la possibilité de participer à la rédaction des procédures, mais trouve une première contrainte dans l'obligation de forme (syntaxe ISO, éventuellement via un scripteur qualifié). o Cette formalisation des pratiques informelles par l'écriture à tout niveau (« écrire ce que l'on fait ») donne une autonomie, un droit de regard aux travailleurs sur le contenu des procédures encadrant leur travail.81(*) Cependant la seconde phase clé de ce concept étant « faire ce qu'on a écrit » oblige par la suite à respecter scrupuleusement des règles jusque là implicites, soumises désormais à la surveillance hiérarchique. o Cette démarche qualité consistant en l'officialisation de la régulation autonome pour l'inscrire dans une nouvelle forme de régulation de contrôle est elle-même déroutante82(*). Elle ne prétend pas à une disparition de l'informel mais à sa délocalisation par la remontée de l'oral.83(*) L'énoncé suivant de l'ouvrage de J.-M. Compère en résume bien l'ambivalence : « Autorisez une dérive contrôlée de la réalité par rapport à la théorie ».84(*) o La formalisation donne d'une part une légitimité voire une reconnaissance au travail pratique des travailleurs. D'un autre côté elle les dépossède de leur savoir et contribue à les rendre substituables. Cette peur de perdre un certain pouvoir se pose plus encore pour les employés car plus les objectifs sont clairs plus il est aisé de vérifier qu'ils sont atteints.85(*) o Si l'ISO a pour but le contrôle des produits en cours de production, il impose également l'identification des opérateurs dans le but de traçabilité. o Dans un premier temps tout du moins, la mise en place du système d'assurance qualité signifie améliorer et maîtriser la qualité dans une contrainte de temps plus serrée (surcharge de travail). Les opérateurs craignent ainsi de devoir supporter les coûts, qu'on ait des exigences trop importantes sans leur donner les moyens suffisants pour y répondre.86(*) o Si dans un premier temps il s'agit de formaliser le travail (faire un instantané de la situation), cela entraînera de nouvelles exigences. C'est une source de crainte face à la certaine nécessité de formation, un retour sur les bancs de l'école avec une remise en question et le risque d'échec.87(*) Paradoxalement J.-M. Compère évoque pourtant un effet de réduction du stress du personnel.88(*) o Par rapport à l'organisation hiérarchique, l'organisation horizontale et la procéduralisation peuvent paraître plus « souples ». Toutefois ce modèle de contrôle s'avère plus ambitieux encore car il y a une meilleure régulation des procédés au plus près du terrain. D'une manière générale on peut observer une ambiguïté majeure autour du thème de la régulation (du contrôle) induit par la norme ISO 9001. Nous pouvons en ce sens opposer les points de vues de Dejours et de De Munck : o D'un côté nous pouvons voir l'implémentation de la norme ISO 9001 dans l'entreprise comme le développement d'une nouvelle régulation de contrôle, une rigidification, un renfort insidieux des règles. o D'un autre côté, la normalisation peut être envisagée sous son aspect de procéduralisation, comme une source de négociation, de réflexivité, d'apprentissage collectif. Nous pensons qu'il n'y a pas nécessairement de contradiction entre ces deux théories. En effet, tout comme nous l'avons évoqué dans le chapitre 3.4.3 (Contrôle et norme ISO) à propos de l'autonomie, on peut certainement différer ces points de vue dans le déroulement spatial et temporel de la démarche de gestion de la qualité. 3.4.4.1 Mise en place du système qualité (certification)Si les discours du management autour de la démarche qualité portent sur une meilleure maîtrise et une amélioration des processus de production (forme d'apprentissage, de réflexivité) et non comme une accroissement du contrôle. Dans la pratique le point de vue des opérateurs au centre de notre étude est celui de l'introduction par une certaine extériorité (direction, responsable qualité, organisme de certification...) de règles régissant leur travail. N'oublions pas que le pouvoir reste nécessairement aux mains de la direction de l'entreprise qui après quelques ajustements intégrera ce nouvel outil dans son arsenal de gestion (pilotage). Cet outil permettant la traçabilité par l'enregistrement constant des paramètres de production s'avère très efficace dans l'évaluation des performances. Son utilisation, malgré l'éthique liée à l'assurance qualité, se limite-t-elle vraiment dans la pratique au suivi des produits ? Nous pouvons avancer que dans certaines circonstances l'assurance qualité a pu être utilisée pour argumenter des sanctions. La hiérarchie du personnel est respectée dans la hiérarchie des documents. Les opérateurs formalisent leur savoir-faire, les opérations élémentaires, dans les « modes opératoires », tandis que les responsables rédigent les « procédures » relatives aux processus de production et le responsable qualité les procédures plus générales. Nous pouvons donc supposer que dans cette première phase l'aspect réflexif concerne avant tout la hiérarchie (direction et responsables d'unités) et les personnes directement impliquées dans le processus (auditeurs...). L'intervention des opérateurs est plus descriptive que réflexive. Si l'écrit permet de rendre le savoir public89(*), il s'agit surtout d'une mise en place concertée de la nouvelle régulation de contrôle. * 80 SEGRESTIN D. (1997), « L'entreprise à l'épreuve des normes de marché ». * 81 COCHOY F., GAREL J.-P., DE TERSSAC G. (1998), « Comment l'écrit travaille l'organisation ? ». * 82 COCHOY F., GAREL J.-P., DE TERSSAC G. (1998), « Comment l'écrit travaille l'organisation ? ». * 83 COCHOY F., GAREL J.-P., DE TERSSAC G. (1998), « Comment l'écrit travaille l'organisation ? ». * 84 COMPERE J.-M. (2000), « La qualité pour la vie ». * 85 BEGUIN H. (2005), Mémoire de fin d'études. * 86 BEGUIN H. (2005), Mémoire de fin d'études. * 87 BEGUIN H. (2005), Mémoire de fin d'études. * 88 COMPERE J.-M. (2000), « La qualité pour la vie ». * 89 COCHOY F., GAREL J.-P., DE TERSSAC G. (1998), « Comment l'écrit travaille l'organisation ? ». |
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