PARTIE II
LA SURVENANCE DU HANDICAP AU TRAVAIL : L'INAPTITUDE
PARTIELLE À TRAVAILLER
Dans bon nombre de cas, la reprise du travail avec un handicap
après un accident peut rendre le salarié inapte à son
poste, mais dans cette hypothèse l'employeur se doit de chercher
à le reclasser à un poste pour lequel il serait apte.
L'inaptitude à travailler n'est alors que « partielle » et
l'employeur se doit d'étudier avec la collaboration de certains acteurs,
quels sont les postes pour lesquelles la personne est apte (Chapitre I).
L'employeur peut aussi aménager spécialement le poste de travail
de la personne « nouvellement handicapée »54. En
aucun cas, il n'a le droit de la licencier. Alors, ces aménagements
fonctionnent-ils en pratique ? Des mesures pour aménager ces postes de
travail et les subventions apportées à l'employeur peuvent aller
jusqu'à 80% de montant total des travaux.
Pourtant, malgré ces aides, rares sont les employeurs
qui adoptent cette solution d'adaptabilité. Le risque des «
licenciements maquillés » et l'absence d'embauche de travailleurs
handicapés sont une réalité qui reste bien
présente. Pourtant des solutions de maintien dans l'emploi existent
(Chapitre II).
54 L'article L.122-32-5 dispose en son
troisième alinéa que « les transformations de postes peuvent
donner lieu à attribution d'une aide financière de l 'Etat dans
les conditions fixées à l'article L.323-9 », L'article
L.323-9 concernant les travailleurs handicapés.
CHAPITRE I
LA DETERMINATION DE L'INAPTITUDE PARTIELLE
Il faut l'admettre, les cas où le handicap ne
pénalise pas la personne dans l'évolution de son emploi sont
rares. En effet, le handicap entraîne la plupart du temps une inaptitude
(I). Toutefois, les caractéristiques des populations au travail,
marquées par le vieillissement des âges, le contexte
législatif et réglementaire, l'évolution des conditions de
réalisation du travail ainsi que les pratiques des entreprises en
matière de ressources humaines, nous font considérer ces
relations non plus exclusivement sous l'angle du statut et de la reconnaissance
de travailleur handicapé mais également sous celui, plus large,
de l'inaptitude partielle au travail. La personne handicapée n'est-elle
pas aujourd'hui celle pour qui l'enjeu majeur est de conserver le plus
longtemps possible sa capacité de travailler ? Face à cet
élargissement incontournable de la problématique, la question qui
se pose est celle de la mobilisation des acteurs susceptibles d'apporter leur
expertise. Afin de permettre à la personne « nouvellement
handicapée » d'intégrer une entreprise ou de rester en son
sein, des acteurs doivent donc travailler en coopération et se
mobiliser, que ce soit à l'intérieur de l'entreprise ou bien au
niveau institutionnel. (II)
I. Le handicap entraînant une inaptitude
Certes, il arrive que le handicap contracté
entraîne une inaptitude à travailler (A) mais celle-ci n'est que
partielle dans la majorité des cas. En effet, la personne conserve sa
faculté à travailler, même si elle rencontre des
restrictions dans ses gestes, postures ou déplacements. Et il appartient
à l'employeur de faire en sorte que cette personne reste
intégrée au sein de l'entreprise. A travers quelques histoires
vécues, nous verrons que c'est de la volonté du chef d'entreprise
que cette possibilité existe. Licencier la personne reviendrait pour
l'employeur à ne pas respecter l'esprit de la loi, c'est pourquoi
souvent il trouve des motifs détournés pour arriver à
cette fin. (B)
A. L'inaptitude au poste n'entraîne pas l'inaptitude
à l'emploi
Avant toute chose, il convient de rappeler quelques points qui
aideront la compréhension des exemples cités par la suite.
Il y a des erreurs à ne pas commettre. En effet, il ne
faut pas assimiler « handicap » (notion générale),
« invalidité » (notion de droit de la Sécurité
sociale), « inaptitude » (notion de droit du travail) et «
incapacité » (notion de droit de la responsabilité
civile).
Par exemple, l'invalidité diffère de
l'inaptitude médicale55 en plusieurs points. Elle est
décidée par un médecin de la caisse primaire d'assurance
maladie, elle traduit non pas une incapacité du salarié à
travailler à son poste, mais une incapacité à travailler
de façon générale. Cette décision n'influe pas sur
la relation de travail, seule la décision du médecin du travail
est susceptible d'avoir des incidences sur cette relation. Enfin, handicap ne
veut pas dire nécessairement invalide, une personne pouvant être
porteuse d'un handicap sans pour autant être reconnue invalide en vertu
du droit de la sécurité sociale.
Ainsi, le processus qui s'opère est le suivant :
lorsque le salarié est malade ou victime d'un accident, son
médecin traitant va estimer le temps nécessaire à la
guérison ou au rétablissement. Lorsque l'arrêt de travail
arrive à sa fin, il faut envisager la reprise du salarié à
son poste de travail. C'est alors que se pose la question de savoir s'il sera
capable de reprendre, si son handicap n'altère pas son état de
santé au point qu'il ne puisse plus travailler. La situation la plus
fréquente n'est pas cette dernière mais celle dans laquelle le
salarié va certes être reconnu handicapé par la COTOREP
mais pour autant ne l'empêchera pas de travailler sur tout poste de
travail, seuls quelques-uns seront « bannis ».
Dans certaines hypothèses, un salarié peut
être déclaré inapte médicalement à son emploi
par la médecine du travail et être déclaré apte au
travail par la COTOREP. Ces divergences d'appréciation résident
entre autres, dans l'existence de deux notions distinctes : la première
à trait à l'aptitude au travail et est appréciée
par la COTOREP. A ce titre, elle reconnaît le cas échéant,
la qualité de travailleur handicapé et la préconisation
des mesures relatives à son orientation professionnelle ou sur celles
d'un éventuel reclassement56. La seconde notion porte sur
l'aptitude au poste de travail et qui ressort de la compétence du
médecin du travail57 en charge de la surveillance
médicale des salariés d'une entreprise donnée. Cette
notion est plus précise que celle d'aptitude au travail dans la
mesure
55 l'inaptitude médicale du salarié est
une prévision du médecin du travail qui estime que si le
salarié revient à son poste, sa santé en pâtira
56 Cf. infra, Chapitre II, Paragraphe II
57 Cf. supra, Partie I, Chapitre I, Paragraphe I
où elle prend en compte à la fois les conditions de
travail de l'entreprise et les contraintes du poste auquel le salarié
est affecté.
Il est à noter que l'on observe, parfois, que dans
certaines régions, les orientations portent majoritairement vers les
milieux spécialisés plutôt que vers le milieu ordinaire
où la formation et la réadaptation professionnelle sont
réduites et en France, selon le rapport Fardeau, on serait en
présence d'un système rigide et bureaucratique, loin des
préoccupations des personnes handicapées58. Consciente
des problèmes posés par ces divergences d'approche et de la
gêne que cela entraîne pour les usagers, la COTOREP s'est
engagée dans un processus d'homogénéisation de ses
méthodes de travail au niveau de chaque siège
départemental d'autant plus que certains usagers ont le sentiment
à tort ou à raison, d'être les victimes de ces
dysfonctionnements. C'est pourquoi la réforme du 11 février 2005
a été initiée en vue d'uniformiser les procédures,
en fusionnant notamment les deux sections afin d'avoir une vision globale des
problématiques soulevées par le handicap, comme nous l'avons
récemment évoqués dans la première partie de ce
mémoire.
Au delà de cette procédure de reconnaissance
d'une inaptitude à un poste de travail, connaître effectivement le
parcours suivi par une personne handicapée pour trouver ou retrouver un
emploi permet de mieux comprendre les difficultés de ces demandeurs
d'emploi.
C'est au travers de quelques témoignages que nous
allons donc voir comment la vie professionnelle59 d'une personne
subissant un handicap peut prendre des allures de « batailles quotidiennes
».
Pour commencer, il paraît nécessaire de montrer
que le chemin pour accéder à un emploi en milieu ordinaire de
travail relève vraiment du parcours du combattant et demande une grande
patience et persévérance de la part de la personne
handicapée. De nombreux partenaires accompagnent ces personnes dans le
cadre des dispositifs départementaux60. C'est au travers le
témoignage de Thierry61, 40 ans, que nous allons voir le
genre de difficultés rencontrées.
58 Cf. Rapport, 1998, IGF et IGAS
59 car au delà de la vie professionnelle, il
est évident que la vie personnelle de la personne est autant voir
même plus difficile dans certains aspects et selon les cas.
60 Cf. supra, Partie I, Chapitre I et Infra., Chapitre
I, paragraphe I
61 Témoignage recueilli par Marie-Jo GARIN,
Secrétaire chez Ohé Prométhée
Thierry vient de fêter ses 40 ans. Victime à
l'âge de 14 ans d'un grave accident de la circulation, il raconte le long
combat mené contre lui-même et contre les autres pour arriver
aujourd'hui à obtenir un poste en milieu ordinaire de travail :
« Le 26 juin 1979: Un jour de mes 14 ans, je
prends ma mobylette, je me réveille à l'hôpital un jour de
juillet. Je retombe dans le coma. Les médecins, très pessimistes,
déclarent à mes parents qu' « il vaut peut-être mieux
perdre un fils que de garder un grand infirme ! »
Quelques semaines plus tard, la découverte du fauteuil
roulant provoque en moi un déclic : je réagis à la vie, je
sens en moi une envie nouvelle de lutter pour vivre, de combattre mon
handicap.
Après une rééducation de neuf mois, j'ai
déjà fait de nombreux progrès mais tout ce qui touche au
langage et à la mobilité est à reconstruire...Le
médecin affirme que je ne remarcherai jamais. Cette affirmation me
révolte et, même si je ne peux m'exprimer, je fais comprendre
à mon kinésithérapeute « je veux et j'arriverai
à marcher ». Le premier pas, c'est la victoire.
Fin 1980: Je retrouve l'usage de mes jambes et, en
septembre 1981, je suis admis à l'A.P.F (Association des
Paralysés de France). J'y resterai cinq années durant lesquelles
non seulement je réapprends le langage mais aussi je reçois une
formation : maths, comptabilité, droit, histoire, informatique. Je
parviens à acquérir un niveau d'employé de bureau.
Fin 1985: Je participe à l'ouverture du C.A.T
(Centre d'Aide par le Travail) l'Armarine à Beaurepaire.
Aide-économe, je suis chargé de la gestion manuelle des stocks et
de l'inventaire.
En 1991 : Je participe à une formation de 6 mois
à l'IFRIS, dont un mois de stage pratique. Premier contact avec le monde
de l'entreprise où je suis intégré en tant
qu'opérateur dans un cabinet comptable.
Juillet 1992: Le cabinet me propose mon premier contrat
de travail : six mois à 24 heures par semaine en tant
qu'opérateur de saisie. Pour moi, c'est déjà une victoire,
même si je ne suis pas complètement satisfait.
Juin 1993 : Je me vois proposer un contrat de cinq mois
chez un huissier de justice. Malheureusement, ce contrat prend fin et
malgré les nombreux courriers que j'adresse, les portes de l'emploi
restent interminablement fermées. Je décide alors de changer de
méthode et de me mettre directement dans les entreprises pour
présenter ma candidature et les informer sur les mesures qui peuvent
être mises en place pour mon embauche.
Avril 1995 : Enfin l'aboutissement de mes efforts. Avec
le soutien d'Ohé Prométhée, j'obtiens un poste
d'opérateur de saisie dans le transport où je suis chargé
de scanneriser les disques de camions. Intégré au sein de
l'équipe, je sais que mon rôle est important. Il aura fallu tout
ce temps pour qu'enfin on me donne ma chance et qu'on me laisse le droit au
travail. »
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Les projets de Thierry ne s'arrêtent pas là pour
autant...Publier un livre sur sa vie, fonder une famille et continuer à
se battre pour acquérir à chaque instant l'estime et le respect
des autres. Vivre intensément, tout simplement...
Heureusement, certains employeurs demeurent moins obtus. En
effet, lorsque le handicap survient au cours de son emploi, nous allons voir
grâce à ces quelques témoignages que le salarié peut
être maintenu à un poste et garder par conséquent un
emploi, qui plus est souvent adapté à ses désirs.
Voici un témoignage illustrant cette situation et qu'il ne
serait pas trop de développer.
PORTRAIT CROISE ENTRE SOPHIE MANUELIAN, POTIERE,
PARAPLEGIQUE ET SON EMPLOYEUR PHILIPPE DURIEZ
Sophie est devenue paraplégique suite à un accident
de moto survenu en octobre 2001.
Auparavant, elle était potière et travaillait
depuis 1996 dans l'atelier de Philippe DURIEZ , son employeur. Il et venu la
voir une semaine après l'accident et lorsqu'elle lui a dit qu'il allait
être obligé de trouver quelqu'un d'autre, il lui a répondu
qu'il trouverait en effet quelqu'un mais seulement jusqu'à son
retour.
« Ce qu'il a dit, et ce qu'il a fait pour moi, c'est
énorme, parce que la poterie pour moi, c'est un métier, mais
aussi une passion »
Philippe DURIEZ a tenu sa promesse et a adapté son poste
avec l'aide de l'AGEFIPH afin que Sophie puisse continuer à
travailler.
Témoignage de Philippe, son employeur :
« Je crois que lorsque j'ai proposé à
Sophie de la garder, je n'avais pas conscience de ce que cela allait
représenter comme charge de travail supplémentaire.
Aménager son poste de travail, les démarches
administratives...mais de toutes façons la question de faire autrement
ne s'est jamais posée. Sophie est une battante et surtout une
très bonne professionnelle, j'avais donc aussi intérêt
à la garder ; de plus, je suis céramiste, je ne suis pas
là que pour faire du profit, je suis aussi là pour faire des
choses intéressantes, et garder Sophie quelles que soient les
difficultés allait dans ce sens. Si c'était à refaire, je
le referais. »
Au travers de ce dernier témoignage, on le remarque
bien, même si Sophie a certes un champ d'aptitude restreint pour
travailler toutefois, avec quelques aménagements, le maintien de son
poste est possible. Que ce soit l'employeur (avec les aides et la bonne
prestation de travail du salarié) ou la salariée, les deux y ont
gagné.
Pourtant, ce genre de situation ne se rencontre pas tous les
jours malheureusement. En effet, certains employeurs utilisent les ficelles du
système juridique pour se « débarrasser » d'un
salarié devenu handicapé et qui devient à ses yeux alors
un poids pour l'entreprise.
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