CHAPITRE I
Introduction générale :
La Problématique ; le Questionnement ;
l'Hypothèse de départ ; la Méthodologie
1 - Cadre général de
l'étude :
1 - 1 : La formation agricole et rurale au
Sénégal :
Le Sénégal est un pays essentiellement agricole,
avec près de 80% de sa population active ayant des activités
agricoles comme occupation principale. La part de l'agriculture dans le Produit
Intérieur Brut est estimée à 20% et cette production est
fournie pour plus de 80% par l'agriculture paysanne à travers 450.000
exploitations agricoles familiales.
Cette vocation agricole justifie l'importance accordée
à la formation professionnelle des agriculteurs et des ruraux dans les
politiques agricoles depuis l'Indépendance, et même avant. En 1938
fut créée à St-louis, l'école de formation des
vaccinateurs, qui deviendra plus tard l'école des infirmiers
vétérinaires, puis l'école des agents techniques
d'élevage, et aujourd'hui le Centre National de Formation des
Techniciens de l'Elevage et des Industries Animales (CNFTEIA).
Entre 1960 et 1970, l'Etat a créé une nouvelle
génération de centres de formation agricole pour des techniciens
et des agriculteurs. Il s'agit des écoles d'agents techniques
d'agriculture (EATA), des eaux et forêts (EATEF), d'élevage
(EATE), de l'horticulture (ENH), des monitrices rurales (CNFMER), des cadres
ruraux (ENCR) et d'économie appliquée (ENEA). Pour la formation
des paysans ont été créés des centres d'initiation
et de perfectionnement dans les secteurs de l'agriculture (CPA) de
l'horticulture (CIH), de l'élevage (CPE), de la pêche (CFP), de
l'artisanat (CPAR) et de l'enseignement technique féminin (CRETEF).
La formation des formateurs est assurée par le centre
de Guérina créé en 1985 pour former les maîtres
d'enseignement technique professionnel destinés aux centres publics
ci-dessus. Les cadres supérieurs (ingénieurs et
vétérinaires) enseignant dans ces écoles étaient
quant à eux tous formés dans les pays du nord jusqu'à la
création de l'Ecole Inter-états de Science et Médecine
Vétérinaire (EISMV) en 1976 et l'institut National de
Développement Rural (INDR) en 1980. L'INDR deviendra l'Ecole Nationale
Supérieure d'Agronomie en 1990, puis l'Unité de Formation et de
Recherche (UFR) en Sciences Agronomiques et Développement Rural
(UFR/SADR) en 2006 au terme d'un processus de projet d'établissement.
Cet ensemble d'institutions, riche et diversifié,
était au service d'une politique agricole très volontariste
reposant sur une vision étatique d'un développement rural fort
administré, qui laissait peu de place à l'initiative paysanne.
L'Etat prenait en charge tout le fonctionnement des écoles, et les
techniciens formés étaient recrutés comme fonctionnaires
et affectés dans les structures étatiques d'encadrement du monde
rural (services techniques déconcentrés, sociétés
régionales de développement rural, société de
vulgarisation, etc.). Quant aux paysans formés dans les centres de
perfectionnement, ils bénéficiaient de subventions à
l'installation, avec l'aide du Bureau International du Travail (BIT) et des
coopérations française et belge qui avaient financé la
construction de ces centres.
Ce modèle fonctionnera jusqu'aux années 80 avec
la crise du secteur agricole, avant de s'effondrer avec le système
étatique et centralisateur auquel il était articulé.
L'Etat, en se réajustant, réduit voire supprime ses financements
et bloque les recrutements de fonctionnaires. Les écoles
réduisent leurs effectifs ou gèlent leurs activités, le
système d'encadrement du monde rural est supprimé et
restructuré.
Le désengagement et la libéralisation auxquels
l'Etat était contraint par les bailleurs de fonds, favorisa le
développement de nouveaux acteurs du secteur : les ONG, les
privés et les Organisations de Producteurs. Ces dernières, pour
renforcer leurs capacités à négocier et défendre
leurs intérêts, développent d'importants programmes de
formation de leurs membres, avec l'appui des ONG qui leur proposaient une offre
prétendument adaptée et différente de celle des
écoles et centres de formation qui n'était plus
sollicitée.
Mais en quoi l'offre des nouveaux acteurs est-elle plus
adaptée ?
Cette nouvelle catégorie d'acteurs de la formation
agricole et rurale travaillent sur les préoccupations concrètes
des ruraux en activités. Leurs démarches consistent à
répondre aux besoins par une offre souple et localisée qui
accompagne les acteurs ruraux dans leurs projets. Ainsi ils n'ont pas eu besoin
de créer des centres de formation, mais opèrent directement sur
le terrain pour concevoir et mettre en oeuvre leurs actions.
En cela leur approche diffère de celle des
écoles qui proposent des formations préconçues
malgré les efforts timides de contextualisation tentés avec la
crise. Mais ce n'est là que l'aspect qualitatif (analyse du besoin) de
la demande qui focalise leur approche. La dimension quantitative, qui cible les
effectifs à former pour créer un effet (masse critique), est
restée escamotée. Il en résulte une multiplication des
activités de formations sur le terrain sans impacts significatifs sur
les économies locales, car les effectifs réels et potentiels ne
sont pas cernés clairement. Pas plus que les dispositifs amont
(éducation de base), qui conditionnent la demande à laquelle
s'adressent ces nouveaux acteurs, ne sont suffisamment pris en compte.
Il en est de même pour les « projets de
développement » lancés dans la foulée de la
déconstruction du système d'encadrement rural, et conduits en
dehors des cadres ministériels sur financement des bailleurs de fonds.
Ils développent des volets formation privilégiant les
démarches d'expression des besoins à court et moyen terme. Ils y
consacrent d'importantes ressources pour renforcer les capacités de
leurs agents, et surtout celles des communautés et collectivités
de base bénéficiaires de leurs interventions. Le Programme
National de Développement Local (PNDL) est doté d'un budget de
plus d'un milliard CFA pour le « renforcement des capacités
des acteurs locaux ».
A ce foisonnement de structures et d'activités de
formations rurales, vient s'ajouter le lourd programme des centres polyvalents
de formation des producteurs (P/CPFP) initié en 2001. Dans l'euphorie de
l'alternance politique survenue en 2000, le Président de la
République a formulé l'intention de former des
« agriculteurs modernes » capables de
concrétiser sa vision d'une agriculture productive et
compétitive à brève échéance. La Chine
Taïwan (en quête de reconnaissance internationale) a
manifesté son intérêt pour ce projet en prenant en charge
la construction des infrastructures. Très rapidement, le programme s'est
lancé dans la construction de centres de grand standing en milieu rural
pour former des producteurs. Chaque centre polyvalent est construit sur 10 ha
et équipé pour un coût total de 600 millions CFA (presque 1
million d'euros) et certains à côté d'anciens centres
publics à l'abandon. Il en existe 18 aujourd'hui sur un objectif de 30
(1 par département) mais plus aucun ne fonctionne et tous subissent
déjà les intempéries, faute de budget et de staffs
pédagogiques entreprenants. Les causes de leur léthargie sont
évidentes : il n'y a jamais eu de consensus sur les notions qui ont
présidé à leur création - agriculteurs
modernes ; agriculture productive et compétitive. La mise en place
des infrastructures a précédé les nécessaires
débats sur les politiques agricoles à promouvoir, sur les
contenus et démarches de formation à privilégier, sur les
profils de formateurs à recruter, les modes d'insertion professionnelle
des jeunes ruraux, etc.
En réalité ces « nouveaux
acteurs », contrairement à ce qui était
prétendu, n'ont pris en charge que l'aspect qualitatif, certes
important, de la demande de formation des ruraux. Fort probablement à
cause d'une maîtrise imparfaite de la notion de demande de formation,
qu'ils avaient tous la volonté de promouvoir, pour faire
différence avec les démarches classiques des anciens dispositifs
de formation.
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