SectioN 2 : L'exigeNce D'uN écrit
Le législateur pose l'obligation de constater la
cession des parts sociales par écrit57.
L'importance des incidences de cet acte sur la situation des parties, de la
société et des tiers justifie pleinement cette exigence qui
constitue un facteur de sécurité juridique à plusieurs
titres.
D'abord, la rédaction d'un écrit permet
d'éviter les contestations futures entre les parties. Ensuite, un
écrit est de rigueur parce qu'il donne la possibilité aux tiers
de connaitre les changements survenus dans la société avec
laquelle ils traitent ;
55
Cass. Com., 21
mars 1995. Rev. Sociétés 1996, Chron., p.77, note
CHARTIER, Yves.
56
Cass. Com., 7
juillet 2004. Dr. sociétés, Octobre 2004, Comm., p.21,
note MONNET, Joël.
57 Art. 110 alinéa premier du C.S.C. :
« La cession des parts sociales doit être constatée par un
écrit comportant une signature légalisée des
parties».
c'est un support nécessaire aux formalités de
publicité. Enfin, l'écrit est nécessaire pour accomplir la
formalité d'enregistrement auprès de la Recette des
Finances58.
Malgré l'importance de l'écrit lors de la
cession des parts sociales, sa qualification reste incertaine. Le
législateur n'indique pas s'il s'agit d'une condition de
validité, de preuve ou de publicité (premier paragraphe). La
qualification est pourtant importante car c'est seulement si l'écrit est
une condition de validité que son absence entrainera la nullité
de la cession. De plus, le législateur précise, depuis la
promulgation du C.S.C., que cet écrit doit comporter une signature
légalisée des parties (deuxième paragraphe). Cette
nouvelle exigence mérite d'être analysée pour en
déterminer la portée.
Premier paragraphe : L'écrit : condition de
validité, de preuve ou de publicité ?
L'article 110 du C.S.C. prévoit que « la cession
des parts sociales doit être constatée par un écrit...
». Mais à quels desseins cet écrit est- il exigé ?
Est-ce une condition de validité ou de preuve ou peut être une
simple mesure préalable aux formalités de publicité ?
La lecture des dispositions du C.S.C. peut nous amener
à déduire que l'écrit exigé pour la cession des
parts sociales est une
58 Art. 13 et 14 du C.D.E.T.
condition de validité de celle-ci. En effet, le
défaut d'écrit entraine la nullité de la cession puisqu'il
fait obstacle à l'accomplissement de la formalité de
publicité59.
Cette ampleur que le législateur risque d'attribuer
à l'écrit n'est pas justifiée. En effet, l'écrit ne
peut être conçu comme une condition de validité de la
cession des parts sociales, et ce, pour deux raisons au moins : la
première est que la cession est un contrat
consensuel60. En tant que vente, elle est parfaite
entre les parties dès l'accord des volontés sur la chose, sur le
prix et sur les autres clauses du contrat61. La
deuxième raison est que l'article 110 du C.S.C. prévoit que la
cession est seulement « constatée » par écrit et non
« conclue » ou « passée » par écrit. On en
déduit que cet article se réfère seulement à une
condition probatoire ou de publicité. L'écrit constate un accord
de volontés préalable ou concomitant, qui seul réalise la
cession62.
Il faut noter cependant que l'écrit devient une
condition de validité si la cession s'opère en tant que
donation63 ou si une des parties est
analphabète64.
59 Article 17 du C.S.C.
60 Article 204 du C.O.C : « La cession
contractuelle d'une créance, ou d'un droit ou d'une action, est parfaite
par le consentement des parties, et le cessionnaire est substitué de
droit au cédant, à partir de ce moment ».
61 Article 580 du C.O.C. : « La vente
est parfaite entre les parties, dès qu'il y a consentement des
contractants, l'un pour vendre, l'autre pour acheter, et qu'ils sont d'accord
sur la chose, sur le prix et sur les autres clauses du contrat. »
62
Cass. Com., 10
mars 1992. JCP éd. E, 1992, II, p.167, note GUYON,
Yves.
63 Art. 204 du C.S.P.
64 Art. 454 du C.O.C.
La thèse de la nullité de la cession des parts
sociales pour défaut d'écrit, pourtant soutenable, est
rejetée65. Elle cède sa place
à celle envisageant l'écrit comme étant une condition de
preuve de la cession. Il importe de noter que cet écrit est de rigueur
pour la preuve de la cession et qu'aucune mesure supplétive ne peut en
dispenser. C'est ce qu'affirme le législateur en prévoyant que
« lorsque la loi prescrit une forme déterminée, la preuve de
l'obligation ou de l'acte ne peut être faite d'aucune autre
manière, sauf dans les cas spécialement exceptés par la
loi66 ». Cette règle est rigoureusement
appliquée par la Cour de cassation tunisienne selon laquelle la preuve
de la cession des parts sociales ne peut résulter que de l'écrit
exigé par la loi. C'est pour cette raison qu'elle a écarté
le recours aux moyens de preuve édictés par l'article 598 du C.C.
pour prouver la cession des parts sociales d'une
SARL67.
Contrairement à la jurisprudence tunisienne, la
jurisprudence française estime que la formalité de l'écrit
n'est pas exigée pour la preuve de l'opération. En effet, il a
été jugé que la preuve de la cession peut être
rapportée par un acquéreur à l'égard du
cédant suivant les règles ordinaires de la
preuve68. Elle peut notamment résulter d'un
simple échange de correspondances69. De
plus, si la cession est de nature commerciale elle peut être
prouvée contre
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C.O.C.
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67
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68 Cass. 1re Civ., 11 déc. 1973. JCP
éd. G, 1974, II, n°17826, obs. DAGOT,
Michel.
69
Cass. Com., 10
mars 1992. Rev. Sociétés, déc. 1992, p. 732, note
LIBCHABER, Rémy.
l'une des parties qui a la qualité de commerçant
par tous les moyens70.
Une autre thèse se profile et semble être
pertinente. Selon cette thèse, l'écrit se justifie seulement pour
l'opposabilité de la cession étant donné qu'il est le
support nécessaire aux formalités de publicité. Encore
faut-il observer que les tribunaux français ont une conception
très large de l'écrit. Ainsi, il a été jugé
que le procès- verbal constatant l'accord de tous les associés
à une cession de parts d'une SARL constitue l'écrit
requis71.
On pourrait soutenir cette thèse en se
référant au contexte dans lequel l'exigence de l'écrit a
été édictée. En effet, on remarque que cette
exigence figure dans le cadre de l'article 110 du C.S.C. qui traite de
l'opposabilité de la cession ce qui semble une raison suffisante pour
estimer que l'écrit n'est pas une condition de validité, ni une
condition de preuve, mais juste une exigence préalable aux
formalités de publicité.
En se basant sur cette interprétation, on pourrait
déduire que la cession des parts sociales obéit à deux
règles distinctes. Entre les parties, la cession est soumise au principe
du consensualisme et au droit commun de la preuve, y compris la liberté
de la preuve en matière commerciale. À l'égard des tiers
et de la société, l'opposabilité de la cession requiert
l'accomplissement des formalités de publicité dont l'écrit
est un préalable nécessaire. En
70
Cass. Com., 10
mars 1992. JCP éd. E, 1992, II, p.167, note GUYON,
Yves.
71
T. Com. Paris, 24
déc. 1973. RJ Com., 1974, p.104.
adoptant une telle interprétation, on libère
partiellement le régime de la cession des parts sociales du formalisme
qui l'accable tout en s'inclinant aux impératifs de
sécurité juridique.
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